S'inspirant de cinq tableaux peints par Mary Cassatt et représentant la soeur aînée de l'artiste,
Harriet Scott Chessman ébauche avec «
Lydia Cassatt lisant le journal du matin » un portrait intime et émouvant de ce modèle mystérieux dont l'Histoire nous a laissé peu de traces.
Alors que l'état de santé de Lydia, atteinte de la maladie de Bright, décline inexorablement, sa soeur la sollicite afin qu'elle pose pour elle. Au-delà du simple avantage financier, la volonté de Mary d'avoir sa soeur pour modèle semble surtout relever d'une nécessité pour l'artiste. Incapable de soutenir la perspective de la maladie ou de la mort, Mary semble en effet éprouver toutes les difficultés pour exprimer ses sentiments à son ainée, tandis que Lydia, réservée et peu expressive, se laisse progressivement ronger par la culpabilité, supportant de plus en plus mal d'être un fardeau pour sa famille.
Eprouvant toutes les peines du monde à mettre des mots sur leurs sentiments respectifs, les séances de peinture deviennent autant d'instants intimes et de moments de communion précieux pour Mary et Lydia. Au fil de ces longues heures de pose, il s'instaure ainsi, entre la peintre et son modèle, un émouvant dialogue silencieux, positionnant bientôt le lecteur en témoin privilégié de cette relation empreinte d'amour et d'admiration qui lie les deux soeurs. de la pointe de son pinceau, Mary créée autour de sa soeur un écrin de tendresse et de douceur dans lequel la malade rêve de se réfugier. Tableau après tableau, l'artiste tente ainsi de sonder l'âme et de percer les secrets de cette soeur si réservée et secrète.
Rongée par la maladie et percluse de douleurs, il émane de cette personnalité en apparence impassible une force tranquille et une sérénité fascinantes. Alors qu'elle dresse un état des lieux de sa vie et s'interroge sur la trace qu'elle laissera dans le monde, Lydia se remémore les drames de son existence, ses premiers émois amoureux ainsi que ses rêves déchus. Pourtant, derrière l'apparente inertie du modèle et sa posture contemplative, le lecteur ne tarde pas à découvrir un esprit bouillonnant, luttant à la fois contre la douleur et la force des émotions qui l'habitent. Alors que les séances de pose se succèdent, au rythme des rares instants de répit que laisse la maladie, Lydia assiste, de portrait en portrait, aux ravages progressifs de la maladie sur son corps et sent peu à peu sa vie lui glisser entre les doigts.
Les pensées du modèle, ainsi captées sur le vif, prennent la forme d'un courant de conscience continu qui plonge le lecteur au coeur des réflexions de Lydia. Et en filigrane de ce récit introspectif et intimiste qui nous livre les états d'âme d'une femme au crépuscule de sa vie, se dessine peu à peu la dichotomie qui existe entre les deux soeurs.
Vive, audacieuse et dévorée par l'ambition, Mary saisit la vie à bras le corps et cultive une indépendance pour laquelle elle s'est farouchement battue, jusqu'au sein même de sa famille. La mère de Mary a en effet longtemps nourri des projets de mariage pour sa fille, rêvant de voir cette dernière épouser un homme fortuné. Ayant des idées très arrêtées sur le rôle de la femme et sa place dans la société, elle peine ainsi à accepter le choix de vie de la jeune artiste.
Au gré des ellipses temporelles qui séparent chacune des cinq oeuvres dont l'auteure s'est inspirée pour construire son récit, le lecteur devine également les grandes étapes de la carrière de Mary Cassatt dont il suit ainsi indirectement le parcours, de ses expositions successives au salon des Impressionnistes à sa relation avec Degas, en passant par son amitié avec
Berthe Morisot ou la famille
Alcott.
Eblouie par son courage et son impassibilité, Mary s'échine à travers ses toiles à crier tout l'amour qu'elle porte à son aînée. Poussée par le besoin irrépressible d'immortaliser Lydia à travers sa peinture et habitée d'un sentiment d'urgence, la peintre entend laisser à travers ses oeuvres une trace immuable de celle qui fut à la fois une soeur et un modèle, et d'ainsi témoigner à la face du monde du rôle essentiel et indispensable qu'elle joua dans sa vie.
Harriet Scott Chessman s'est largement documentée sur la vie de la famille Cassatt pour rédiger son roman. Elle s'est notamment appuyée sur de nombreux ouvrages et articles, et a construit autant que possible son histoire sur la base de faits historiques. Néanmoins, peu d'éléments concernant la vie de Lydia Cassatt sont parvenus jusqu'à nous. Ne disposant d'aucune lettre, journal intime ou autre document susceptible de la renseigner sur ce personnage aussi énigmatique qu'intimement lié à l'oeuvre de Mary Cassatt, l'auteure n'a pu tenter d'en dresser un portrait que sur la base de conjectures. Afin de combler les nombreuses zones d'ombre de la vie de Lydia,
Harriet Scott Chessman a donc puisé dans son imagination afin de livrer un récit aussi réaliste et crédible que possible. le portrait qui en résulte ne saurait donc prétendre à la vérité historique… il n'en reste pas moins un récit introspectif terriblement émouvant et un remarquable hommage à l'art.
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A partir d'une sélection de cinq oeuvres réalisées par Mary Cassatt (d'ailleurs reproduites au centre du livre),
Harriet Scott Chessman ébauche un portrait intime et émouvant de la soeur de l'artiste, personnage énigmatique et secret, dont l'Histoire nous a laissé peu de traces.
S'appuyant sur une solide documentation, l'auteure mêle habilement fiction et faits historiques afin de donner une voix à cette femme à la fois discrète et secrète qui tint néanmoins une place de premier plan dans l'oeuvre de la peintre impressionniste. Puisant dans son imagination pour combler les zones d'ombre de la vie de Lydia, elle nous plonge au coeur des pensées du modèle afin de nous en dévoiler les doutes et les sentiments.
Avec sensibilité et pudeur,
Harriet Scott Chessman nous livre ainsi, sous la forme d'un récit introspectif et dans un style sans fioritures, le portrait émouvant d'une femme qui, se sachant condamnée, dresse un état des lieux de sa vie et s'interroge sur la trace qu'elle laissera dans ce monde. Soulevant des questions essentielles, «
Lydia Cassatt lisant le journal du matin » est à la fois un roman puissant et juste qui serre le coeur, ainsi qu'un vibrant hommage à l'art.
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