L'ouvrage est composé de différentes contributions sur le sujet du punk en tant que subculture subversive, le tout étant coordonné par
Catherine Guesde, philosophe et musicienne.
À savoir, les auteurs disent bien plus que ce que j'en rapporte ci-dessous étant donné que je ne parle ici que des éléments qui m'ont interpellé, positivement ou négativement. Je passerai d'ailleurs très vite sur certaines contributions.
Punk féministe
L'ouvrage dans son ensemble, avec des contributions majoritairement féminines, fait la part belle au punk version féministe.
Louise Barrière évoque les Ladyfests, réseau de festivals entrecroisant culture punk et militantisme féministe. Inspirées des Riot Grrrls, il s'agit du « premier mouvement féministe d'ampleur à rompre avec une histoire masculine du rock en revendiquant un positionnement délibérément féministe ». Parti de l'Amérique du Nord au début des années 2000, le réseau s'est étendu à l'international en Europe dans les années 2010. Louise Barrière nous fait ainsi découvrir ces allemandes qui se battent pour imposer des pratiques féministes dans un univers où le virilisme n'est pas nécessairement en reste. Elle aborde le sujet sous l'angle philosophique des « savoirs situés ».
Affiche d'une Ladyfest allemande de 2011
Affiche d'une Ladyfest allemande de 2011
Punk et libération animale
Nicolas Delon tente de sonder le lien entre punk et libération animale. Il nous fait découvrir une scène musicale engagée, avec des groupes comme NOFX, Earth Crisis, Cro Mags, avec un focus particulier sur le groupe canadien Propagandhi, dont le militantisme en faveur de la cause animale est particulièrement explicite.
Leur chanson Nailing
Descartes to the wall – avec son titre réagissant à la consternante opinion de
Descartes tenant les animaux pour de simples automates dénués de toute conscience et de raison,– est un véritable appel à la libération animale :
Propagandhi, Nailing
Descartes to the Wall
Propagandhi, Nailing
Descartes to the Wall
Nicolas Delon rappelle les liens forts, quoique non systématiques, entre la culture punk rejetant le consumérisme des sociétés capitalistes, et la mouvance végane (ou végétarienne) souhaitant se défaire des rapports de domination que l'humain impose aux animaux, pour sa seule satisfaction. L'essai de
Jean-Marc Gancille,
Carnage (2020), rappelait fort à propos que, malgré la possibilité de se nourrir d'une autre manière, l'humanité produit, élève et tue chaque année plus de 67 milliards d'animaux.
L'auteur ne se fait bien sûr pas d'illusion : « Aucune de ces chansons ne sauvera les milliards de vies exploitées et détruites par l'industrie animale, mais elles peuvent, parfois mieux que les meilleurs livres de philosophie, mettre des auditeurs, jeunes et moins jeunes, sur un chemin jonché de questions et de raisons » (p56). Petit clin d'oeil à la belle formule de
Baptiste Morizot,
Sur la Piste Animale (2016) : « on ne change de métaphysique qu'en changeant de pratique ».
Dharma Punx
Catherine Guesde focalise son article sur l'étonnant phénomène du Dharma Punx.
Le Dharma Punx est le nom d'un courant initié par Noah Levine, punk s'étant converti au bouddhisme. Levine défend une forme de parenté entre le bouddhisme et la culture punk. Ce qui, au premier abord, peut paraître paradoxal compte tenu du fait que le punk cultive une image d'agressivité, de violence et de vélocité tandis que le bouddhisme se complaît dans le calme et la contemplation.
La philosophe tente d'examiner un possible lien entre ces deux cultures. On peut effectivement relever la coïncidence de certaines valeurs : végétarisme, anti-consumérisme, etc. Il y a surtout, à l'évidence, un rapprochement à faire entre l'esprit de communauté punk et celui d'une communauté religieuse.
Catherine Guesde rappelle à quel point pour les punks « l'appartenance à la communauté est centrale dans la constitution de leur identité ». Bien sûr, « ce point n'est certes pas spécifique au punk » (je retrouve la même chose par exemple dans la communauté Metal), et la philosophe précise que plutôt que de parler de religion, il serait plus pertinent de parler de substitut de religion, un substitut qui ne fait que « prolonger des modes d'appartenance, des types d'engagement, des rapports entre individus et communauté, déjà existant dans le punk » (p85).
Ceci ne suffisant pas à établir un lien solide entre le punk et la religion spécifique qu'est le bouddhisme,
Catherine Guesde s'appuie sur un essai de Levine qui à coeur de montrer que la convergence entre punk et bouddhisme n'a rien d'un artifice.
Elle explique ainsi que « la continuité entre son identité punk et celle bouddhiste, qui cessent, d'après l'auteur, de paraître incompatibles lorsque l'on s'attache à observer non plus leurs manifestations extérieures, mais leur source : l'insatisfaction, qui donne aussi bien naissance à la révolte punk qu'à la pratique bouddhiste » (p78).
Toutefois, je dois reconnaître que je ne trouve pas cet argument beaucoup plus probant que les autres. de l'insatisfaction face au monde, il me semble que tout peut résulter ! Personnellement, en tant que metalhead depuis les 80's, j'ai longtemps estimé que la communauté Metal était principalement constituée d'individus réprouvant la société marchande et l'individualisme forcené promu par le capitalisme, et défendant une vision plus solidaire et humaniste de la société. Des groupes comme Rage Against The Machine, Sepultura, Trust, Sacred Reich, Gojira ou encore Napalm Death appuient cette idée. Nonobstant, on ne saurait nier l'existence dans le monde Metal de groupes aux tendances d'extrême-droite, fort heureusement très minoritaires, mais prouvant par là que du sentiment de révolte peut naître le jour et la nuit.
Rapprocher punk et bouddhisme sur cette base reste donc arbitraire. Ou plus précisément cela ne suffit pas à faire de la fusion Dharma/Punk autre chose qu'une rencontre fortuite et contingente.
Punk et écologie profonde
Fabien Hein, de son côté, propose d'éclaircir les liens entre mouvement punk et écologie profonde. On remarque d'ailleurs qu'il reprend un peu le même schéma que
Catherine Guesde. En l'absence de réelle explication, le sociologue remonte en effet lui aussi aux « sources ». Alors que « l'insatisfaction face au monde » expliquait un rapprochement entre Punk et Dharma, cette fois, c'est « le sentiment de révolte », citation d'Arne Næss à l'appui, qui est appelé à faire un lien entre écologie profonde et punk.
La contribution ne s'arrête évidemment pas à cela. L'auteur met à juste titre en lumière une profonde identité de pensée entre la culture punk et l'écologie profonde telle que définie par Arne Næss :
« Tout indique que la contre-culture punk exerce, depuis plus de quarante ans, une influence considérable dans la diffusion des idées et de pratiques en matières politique et écologique. Sur un grand nombre de thèmes et de types de mobilisation, du véganisme à la permaculture, de la défense des animaux contre l'industrie agroalimentaire à celle des espaces naturels face au saccage productiviste, de la création de zones autonomes temporaires urbaines à la recherche de l'autosuffisance collective en milieu rural, les punks ont su détecter ou inventer avant l'heure de nouvelles modalités de résistance à l'ordre néolibéral triomphant. En ce sens, le punk rock offre à bien des égards une conduite existentielle en capacité de conférer une cohérence à un ensemble de perceptions et d'expériences mais aussi de déterminer un certain type de rapport au monde. C'est précisément cette dimension structurante qui donne toute sa valeur à l'expérience punk. Une expérience holistique qui, à bien des égards, la rapproche de l'écologie profonde d'Arne Næss » (p93).
Le sociologue affirme ainsi que la sensibilité environnementale de la communauté punk a sans doute permis de populariser la pensée d'Arne Næss en son sein.
L'écologie profonde, que Næss distingue radicalement de l'écologie superficielle, reconnaît pour primordiale la reconnaissance du fait que l'humanité ne soit qu'une composante parmi d'autres de la dynamique du vivant. Cette reconnaissance implique de changer complètement de rapport au monde, de rapport à la production, de rapport à l'exploitation, de rapport au vivant… Et c'est en effet cela qu'on retrouve dans l'esprit punk qui, selon l'auteur, favorise « un délaissement du capitalisme pour un attachement inconditionnel au
Do-It-Yourself (DIY) ».
Effectivement, le DIY, d'ailleurs mentionné dans plusieurs chapitres de cet essai, semble être une pratique inconditionnelle et constitutive de la communauté punk. Il s'agit de pratiques quotidiennes et permanentes permettant d'éviter les relations marchandes (squat, auto-stop, récup', permaculture, etc). Se passer des biens de consommation pour ne pas rentrer dans un système que l'on rejette, que l'on sait mortifère pour la planète.
Le rapprochement entre punk et écologie profonde, comme celui entre punk et bouddhisme ne va pas sans poser problème : dans les deux cas, les auteurs (C. Guesde et F. Hein) relèvent le risque d'une dépolitisation notoire du punk et d'un repli individualiste. On le conçoit aisément pour le bouddhisme qui invite à la contemplation intérieure, mais l'écologie profonde telle que la conçoit Arne Næss n'est pas en reste puisqu'elle invite également à « la réalisation de soi ».
Catherine Guesde répond à cette objection que le punk se préserve du repli égocentriste car le lien entre individuel et collectif est toujours sauvegardé : « Ces discours centrés autour du bien-être et de l'action positive gardent toujours en vue l'articulation entre l'individuel et le collectif. Contre une idée de développement personnel qui replierait l'individu sur lui-même, Dharma Punx maintient le sens de la communauté... » (p92).
Fabien Hein donne une réponse semblable : « la réalisation de soi procède d'un élargissement de la conscience […] Ce processus suppose une identification avec toutes les autres formes de vies. le philosophe
Hicham-Stéphane Afeissa, fin connaisseur de l'oeuvre d'Arne Næss, estime que ‘la thèse de l'identification signifie exactement que le fait de devenir soi-même passe, d'une certaine manière, par la médiation de tous les autres (individus, entités du monde naturel, systèmes écologiques) avec lesquels l'on s'identifie et pour lesquels l'on finit par éprouver une forme d'empathie et de compréhension, inspirée par le sentiment de notre commune appartenance à un même destin évolutif' » (p97).
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