En 1936 Edmond Charlot a 21 ans lorsqu'il ouvre la librairie "
Les vraies richesses" à Alger. Sa devise "Un homme qui lit en vaut deux" est inscrite en français et en arabe sur la vitrine. Avec très peu de moyens financiers, il crée un établissement de sept mètres sur quatre qui est à la fois une librairie et une maison d'édition. Ce lieu conçu pour les amis de la littérature et de la Méditerranée est aussi un lieu de rencontres et de lecture où sont exposées des oeuvres d'art. D'illustres écrivains dont
Albert Camus, ont fréquenté assidûment le lieu. " C'est pour l'essentiel une affaire de circonstances, d'amitiés et de rencontres."
Edmond Charlot a publié les premiers livres de Camus,
Kessel,
Emmanuel Robles,
Gide,
Garcia Lorca,
Max-Pol Fouchet... et a bénéficié du soutien de
Giono qui l'a autorisé à utiliser le titre d'un de ses livres pour nommer sa librairie. Camus restera toute sa vie d'une fidélité exemplaire envers son ami. Certains des auteurs édités par Edmond Charlot seront récompensés par des prix prestigieux (
Henri Bosco et
Jules Roy recevront le prix Renaudot en 1945 et 1946)
Kaouther Adimi relate la vie d'Edmond Charlot au travers de faux
carnets qu'elle imagine avoir dénichés, sorte de
journal intime dans lequel Edmond Charlot ra
conte son histoire de 1935 à 1961. Elle fait alterner ces
carnets avec des points historiques qui font défiler l'histoire de l'Algérie avec la colonisation de 1830 où les algériens se sentent perçus comme des indigènes pittoresques, la mobilisation en 1940, le débarquement américain en 1942, les massacres de 1945 puis l'organisation et la montée de l'insurrection et la révolution armée de 1954. Pour le troisième volet du récit l'auteur imagine la fermeture de la librairie et raconte l'histoire de Ryad, un jeune homme à qui est confiée en 2016 la mission de vider et repeindre la librairie car le local a été vendu, un marchand de beignets doit s'y installé. Ryad vide le local sous les yeux d'Abdallah qui l'observe du trottoir d'en face qu'il ne quitte pas. Ce vieil homme solitaire qui n'a jamais pu aller à l'école s'est occupé de la librairie durant les dernières années.
Kaouther Adimi fait alterner, chapitre après chapitre, le récit contenu dans les
carnets, les éléments historiques et la mission de Ryad.
Mobilisé de 39 à 40, Edmond Charlot connaitra les difficultés de publication en temps de guerre dûes aux problèmes d'approvisionnement en papier et en encre et à la censure. Lors de l'ouverture d'une succursale des éditions Charcot à Paris, il se retrouvera en prise avec les grands éditeurs. Ce roman illustre parfaitement le combat des petites librairies indépendantes et des petites maisons d'édition face aux géants de l'édition.
J'ai aimé découvrir l'histoire d'Edmond Charlot dont
Kaouther Adimi dresse un très beau portrait, on découvre un homme passionné, généreux et idéaliste qui "aime publier, collectionner, faire découvrir, créer du lien par les arts " et refuse de croire aux trahisons de certains de ses amis "Nous étions tous des amis et c'était cela, les éditions Charlot". J'ai aimé la jolie vision de la vie quotidienne dans le quartier, de la solidarité des commerçants qui refusent tous de fournir de la peinture à Ryad pour rénover le local qu'ils n'admettent pas de voir fermer même s'il est très peu fréquenté depuis plusieurs années.
Ce roman est un bel hommage aux livres, aux libraires et aux éditeurs. Par contre, en ce qui concerne l'évocation de l'Algérie, il est loin pour moi d'avoir la même envergure que le roman d'
Alice Zeniter qui situe également son récit pour partie en Algérie.
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