A partir d'une histoire relativement classique d'un capitaine de police fraîchement débarqué de Paris dans une improbable destination, le genre de bled qui est normalement dévolu aux futurs retraités ou alors à ceux qui ont quelque chose à se reprocher, ce meurtre d'une brutalité inouïe qui survient presque à son arrivée, des personnages bien sous tout rapport,
Les Mutilés est un thriller d'une redoutable efficacité, retors à souhait, plus qu'une énième histoire se fondant sur les codes attendus (crime, investigation, suspects potentiels, indices, fausses pistes, les incontournables nantis ou encore les clichés du flic tourmenté et ses acolytes cachant aussi des cadavres dans leur placard), l'intrigue prend le temps de distiller son venin, il ne s'agit pas autant de dérouler une enquête déjà tortueuse par ses ramifications que de dresser
le portrait du mal sous différentes facettes !
Délaissant le genre fantastique, l'auteure toulousaine ose bousculer toutes les conventions en mettant un bon coup de pied dans la fourmilière du thriller, quitte à désarçonner parfois mais surtout à prendre à rebrousse-poil les aficionados rompus à l'exercice, c'est un voyage au coeur de la noirceur des âmes, celles qui aspiraient à trouver la paix, ce poids du passé qui resurgit au moment inattendu, les nombreuses surprises parsemant la narration ne sont que l'ersatz de ce qui attend le lecteur, une méthode indolore pour endormir la méfiance et quand l'impensable se produit, c'est toute la quintessence du roman qui fait chavirer l'esprit, l'extase produit devient alors encore plus percutante, comment se relever après ce coup de massue, quand on peut deviner qu'on est encore loin d'avoir été au bout de ses peines ?
Je suis un monstre ...
Tout paraîtrait dans l'évidence trompeuse des certitudes, dans cette atmosphère alternant volontiers la lumière du décor bucolique et ces zones d'ombre qui grandissent au gré des pages, entre huis-clos irrespirable et secrets de famille, le machiavélisme des uns contrastent avec la perdition de personnages en rupture avec la réalité, cette frontière n'a jamais paru aussi mince à l'idée de se frotter aux fantômes de ses sombres souvenirs, rien n'est délivré comme un cadeau bien emballé,
Gwenn Ael déteste les grosses ficelles narratives, ce qui était déjà le cas dans ses romans teintés de paranormal ou d'irrationalité, explorer la psychologie des personnages en les poussant au plus près de leur désarroi ou autres affects, j'ai fusionné avec eux, fondu dans cette masse pour tenter d'extirper ce qu'il y a de pire dans l'humanité des sentiments écorchés, appuyer un peu plus sur les blessures afin de savoir, de se rapprocher peut-être de la vérité ...
Tu es un monstre ...
Sonder le coeur des âmes sensibles et en proie aux turpitudes des pires mensonges, des rejets qui torpillent tous les espoirs permis, les faux-semblants démontrent encore leur fourberie et magistral entêtement à rendre l'ambiance poisseuse, le protagoniste Gabriel Lestasse court après des chimères et l'envie de croire, malgré tout, à la rédemption, l'enfer n'est jamais loin, le purgatoire pourrait-il exister sans heurt ni soumission au point de devoir vendre son âme au diable ?
La plume se révèle addictive en ce sens que le rythme oscille entre accélération foudroyante des rebondissements multiples et plongée édifiante dans la psyché de bon nombre de personnages, le poids des décisions varient dans la tenue des comportements imprévisibles, par définition l'être humain est une entité complexe à en définir tous les pourtours, la violence à l'oeuvre se voudra hybride à travers chaque page, délétère comme ce nuage qui voyage dans le gris du ciel, menaçant comme la déferlante qui peut s'abattre à tout instant, le parti-pris de l'auteure d'égarer le lecteur dans ces chutes émotionnelles, de ces déchaînements intraitables devant l'aliénation mentale et c'est tout le roman qui évolue dangereusement vers des abysses de folie habitée, se protéger contre vent et marées, à tout prix.
Monstre un jour ...
L'auteure n'est ni la première ni la dernière à se revendiquer de l'oeuvre de
Graham Masterton, cet auteur britannique est l'un des plus grands romanciers connus notamment pour ses romans d'horreur et fantastique, s'il a souvent eu recours au surnaturel ou autres créatures mythologiques,
Masterton avoue
lui-même trouver son inspiration dans l'oeuvre de
H.P. Lovecraft, le point convergeant reste le constat devant
l'indicible, la thématique de la différence d'être, du noyau familial qui reste le moteur d'évolution de tout un chacun, comment réagir et cristalliser ses peurs et ses angoisses face à son miroir, ce
lui que l'on regardera en grandissant tous les matins (et tous les soirs), l'émancipation peut-elle tracer sa route au fil des épreuves, aussi insoutenables et impossibles soient-elles ?
Monstre toujours ...
Fort d'une construction machiavélique à varier le tempo d'un style en alerte permanente, une lecture intensément prenante qui n'a finalement que faire de ses presque 540 pages, je me suis pris un envol en frôlant souvent la syncope, voir défiler les chapitres comme un film en accéléré rappelle combien il est un exercice difficile de maintenir le suspense, de se permettre de plonger dans l'inconnu, de laisser cette ombre vous happer, au risque de vous manger tout cru ...