Tous les maux humains, sans excepter la guerre, viennent de ce que l'on croit trop vite et avec bonheur.
Vertu, de quelque façon qu’on l’entende, est toujours puissance. Et, d’un autre côté, vertu c’est toujours renoncement. Cette contradiction accable les esprits sans courage ; mais au contraire, elle doit piquer, éveiller, provoquer, quand ce ne serait même que pour le bon style. Vertu n’est assurément pas renoncement par impuissance, mais plutôt renoncement par puissance. Si je suis trop peureux ou trop timide pour faire l’escroc, ce n’est pas vertu. Si je suis courageux par folle colère, ce n’est point vertu. Si je suis résigné par lâcheté, ce n’est point vertu. Ce qui est vertu, c’est pouvoir de soi et sur soi. Personne n’est fier de se laisser aller à d’inutiles récriminations ; personne n’est fier de ne savoir plus ce qu’il dit ; personne n’est fier de tirer la langue devant le plaisir, comme on voit les chiens à la porte du boucher ; nul ne se vante de régler ses opinions sur l’argent qu’il gagne ; nul n’aime flatter son maître. Dire ce qu’on pense, et d’abord examiner ce qu’on pense et ce qu’on dit, dans des circonstances où l’on sait qu’on y perdra, c’est vertu.
Le prophète essaie de voir l'avenir, ce qui suppose que l'avenir est fait et irrévocable. Le prophète annonce, au mieux, ce qui sera si on laisse aller. C'est estimer qu'on ne peut rien; c'est se démettre, et, comme on dit, lâcher la barre. Or c'est une faute, et c'est même la faute. Je vois deux choses à dire là-dessus, deux choses entre mille. La première est que cette pensée n'a pas d'objet, l'avenir n'est pas encore, et n'est nullement objet. (…) La seconde chose à dire est que ce qui va de soi et qu'on laisse aller est toujours mal. Par exemple, la guerre va de soi, au lieu que la paix ne va pas de soi.
Etre vaincu en soi-même par soi-même animal, c'est la faute. Supposer que la faute ne soit point sentie, ou même qu'on en tire quelquefois vanité, c'est supposer qu'un homme qui a le vertige ne sent point le vertige ou bien qu'il est fier d'avoir été vaincu par cette stupide agitation.
Où loger la liberté ? Hors du monde, elle ne peut rien; dans le monde et rouage dans le monde, elle dépend de tout. Au reste il est clair que la liberté ne peut être.
La nature même de cette notion exclut qu'on la possède comme un organe. Et, pour abréger, je dirai que la doctrine de la liberté ne peut être qu'une mystique de la liberté; mais attention, je l'oppose à une autre mystique, qui est la mystique du destin. C'est à choisir, et non pas à prouver. Au reste n'est-il pas raisonnable que si on refuse de choisir d'être libre, on ne soit point libre ?
"Alain et le bonheur" par André Maurois. Première diffusion le 13/09/1954 sur la Chaîne Nationale. La mauvaise humeur est une maladie, il ne faut jamais parler de ses malheurs, de ses malaises moraux, il ne faut jamais se plaindre…et, certes, il y a un héroïsme à bâtir son bonheur ! André Maurois parlait en 1954 de celui qui avait été son professeur de khâgne au lycée Henri IV, à Paris : le philosophe Alain.
Source : France Culture