Tout d'abord, c'est un beau livre grâce aux jolies illustrations fortes et émouvantes de
Claudia Amaral qui restituent toute la luxuriance de l'île dans sa végétation, la dureté de l'esclavage, mais surtout la force des personnages féminins et leur entraide collégiale, sororale même. Solitude est rarement seule sur les dessins, elle est souvent représentée avec d'autres femmes, entourée d'autres femmes. Vive les illustrations, même dans les romans pour adultes !
Le roman lui-même est la biographie romancée de Solitude, jeune femme mûlatresse, c'est-à-dire à une esclave métisse, née du viol de sa mère africaine captive sur un navire négrier par un des marins européens. Elle a donc la peau assez claire – ce qui est un critère de beauté dans cette société fondée sur une hiérarchisation raciale des individus, où même un pauvre colon, un « petit blanc » est mieux considéré qu'un « libre de couleur », même s'il est l'homme le plus riche de l'île. La beauté et l'intelligence de Solitude lui permettent donc d'avoir un statut privilégié, celui de demoiselle de compagnie. Elle apprend à lire, à écrire de la poésie, à jouer du violon, elle brode, elle parle plusieurs langues, elle mange à sa faim... A l'abri des coups et des privations, elle reste néanmoins une esclave, au statut précaire ; même si elle porte des robes de soie, elle dort sur une natte et mange les restes.
Et, surtout, surtout, elle sans cesse menacée par le regard des hommes, de tous les hommes. Les femme esclaves sont des proies pour les désirs des maîtres comme des esclaves importants. Mais plus largement, toutes les femmes sont menacées par les hommes, quels que soient leur couleur ou leur statut. Ainsi, la maîtresse de Solitude est elle-aussi battue par son mari, la jeune fille est elle aussi abandonnée par son séducteur.
Solitude va apprendre peu à peu des autres qu'elle aussi est dominée, et elle va apprendre à se révolter en s'instruisant, jusqu'à mettre ses talents d'écriture et de traduction au service de la cause de la fuite des esclaves, et même à plus petite échelle de leur libération.
Solitude s'avère être un personnage fascinant, car particulièrement moderne – même si parfois, j'avais l'impression de lire davantage l'autrice que la femme présentée, ayant réellement existé, certes, mais dont on ne connaît pas tout. Ainsi, Solitude semble cocher toutes les cases des idées progressistes actuelles : féminisme, sororité, conscience environnementale, liberté sexuelle...
Oui, c'est une vision moderne et moderniste, et même si le contexte est particulièrement difficile, on en ressort avec un certain optimiste et une foi dans l'humanité grâce à de tels personnages.