Ougarit de
Camille Ammoun est un roman ambitieux, aux facettes multiples. Ses diverses parties nous promènent d'une ville à l'autre au hasard des souvenirs de son héros, au nom prédestiné pour la profession de pointe qu'il a contribué à créer, l'urbanologie. Il s'appelle en effet
Ougarit Jérusalem ;
Ougarit, un prénom qui évoquait pour son père le prestigieux passé d'une grande Syrie imaginaire et pré-arabe ; Jérusalem, son nom de famille, n'est pas élucidé dans le roman. C'est un architecte alépin, cosmopolite et acculturé, en exil sur la planète depuis que son père l'a exfiltré à Erevan en Arménie pour éviter à son fils adolescent la conscription dans l'armée syrienne. Il a erré de ville en ville, d'Alep à Erevan, à Beyrouth, Barcelone, puis à Paris, où il se fixe. Il se retrouve maintenant à Dubaï, à la demande d'Ali al Jumeiri, un vieillard amoureux de sa cité, pour qu'il y cherche ou y crée l'âme de la ville, à l'origine un village de pécheurs de perles, devenu une ville-champignon trop vite surgie des sables. A cette recherche se mêle la notion de
l'aleph, notion nébuleuse et mythique qu'
Ougarit a trouvé décrite dans une mauvaise traduction russe d'un roman de
Borges,
L'Aleph. Cet aleph est censé concentrer en un objet, un point dans l'espace qui contient simultanément tous les autres espaces, la vision absolue du présent et du passé d'un lieu.
Lors de la présentation du projet d'
Ougarit au Conseil des neuf de Dubaï la seule mention de
l'aleph déchaîne l'enthousiasme des participants, et avant même que le héros ait expliqué de quoi il s'agit, la décision est prise. Dubaï aura son aleph, même si nul ne sait vraiment de quoi il est question.
Des intrigues secondaires viennent compliquer le fil du récit, le destin d'
Oriol, ancien libraire espagnol pris dans les imbroglios de marchandises de contrebande ; celui d'Azadeh, directrice de galerie d'art moderne égarée dans ce pays musulman rétrograde ; celui de Fahd bin Butti, chef de la sécurité intérieure ; celui d'un policier dubaïote en quête de
Borges et de ses écrits, et bien d'autres encore.
Chacun, à son niveau de compréhension de ce qu'est
l'aleph, tente de s'approprier cette notion pour servir ses intérêts. Ali al Jumeiri cherche la renommée; Fahd bin Butti le pouvoir et le contrôle omniscient et omniprésent, Azadeh la gloire d'avoir introduit la modernité à Dubaï.
Oriol lui ne cherche pas
l'aleph, mais plus prosaïquement à régler ses problèmes financiers et à échapper à de mystérieux et menaçants financiers. C'est son assassinat qui entraîne l'emprisonnement d'
Ougarit Jérusalem alors que les habitants de Dubaï, en proie à une frénésie incompréhensible, se lancent tous dans la recherche de
l'aleph.
Les villes sont les véritables héroïnes du récit, et leurs descriptions parsèment les pages du roman. Seule exception, la quête de
l'aleph dans les montagnes du Chouf et la rencontre d'
Ougarit avec un cheikh druze.
Ces villes seront transfigurées et sublimées par la découverte finale du héros et c'est l'écriture d'un roman qui prendra finalement le rôle de
l'aleph, en décrivant dans le détail les événements, dans ce que le héros qualifie d'éblouissante épiphanie.
Ce roman mené à la fois à la deuxième et à la troisième personne du singulier, et ce pour le même héros, nous le rend à la fois proche et distant. le récit à certains moments devient franchement onirique et s'il témoigne d'une extrême culture, le foisonnement des thèmes et des personnages secondaires peut donner au lecteur une impression d'étouffement.
C'est un roman long, riche, complexe, touffu, qui embrasse une multitude de thèmes mais peine à certains moments à les rassembler harmonieusement.
Conclusion
J'avoue être restée perplexe à la fin de la lecture. C'est certes un premier roman très prometteur mais qui gagnerait à être épuré, les récits secondaires étant parfois trop développés.