Voilà un récit que je trouve particulièrement intéressant :
Roald Amundsen — est-il besoin de le présenter ? — futur premier vainqueur du pôle sud, en est encore à faire son apprentissage des subtilités de la vie (survie ?) en milieu polaire après une expérience d'hivernage en Antarctique à bord de la Belgica en 1898 sous les ordres d'Adrien de Gerlache de Gomery.
Roald Amundsen, en bon Norvégien qui se respecte, en connaît déjà un rayon en matière de froid, mais également en matière de locomotion dans la neige, notamment au moyen de raquettes et — ce qui est plus rare pour l'époque — de skis, s'inscrivant de facto dans la lignée de son brillant devancier, le scientifique explorateur
Fridtjof Nansen, déjà élevé au rang de héros national dans son pays.
Amundsen, contrairement à Nansen, est moins animé d'une soif primaire de savoir scientifique que d'une volonté de laisser son nom à la postérité. Vanité, penseront certains, peut-être, mais une vanité que je qualifierais de « bien placée », car, pour atteindre son objectif, Amundsen n'en est pas moins un excellent allié de la science. Ce n'est pas parce qu'il veut décrocher un record qu'il laissera tomber la science et les fastidieux relevés physiques et météorologiques qu'elle exige, ni qu'il ménagera sa peine dans le seul but d'accroître le savoir universel. C'est vrai qu'il est ambitieux cet Amundsen, mais il est également couillu comme un renne, car il n'hésite pas à prendre tous les risques pour arriver à ses fins.
Au travers de son récit, on sent une intelligence vive, doublée d'un sens aigu de l'observation et d'une bonne finesse d'interprétation psychologique pour mener les hommes. Il est ambitieux, certes, et on ne le soulignera jamais assez, mais il n'est absolument pas fier, au sens lamentable du terme. Il avoue sans ambages ses propres erreurs, notamment en ce qui concerne la navigation où une simple erreur de débutant a bien failli transpercer irrémédiablement la coque pourtant robuste du Gjøa, ce modeste petit bateau de pêche au hareng, plus tard reconverti pour la chasse à la baleine et qui, sous la direction d'Amundsen, s'avérera devenir le premier bateau de l'histoire de l'humanité à franchir le mythique passage du nord-ouest, faisceau de baies et de canaux peu profonds qui enchâssent les très nombreuses îles du nord du Canada, entre l'Atlantique et le Pacifique.
D'ailleurs, l'explorateur n'hésite jamais à faire l'éloge de ses compagnons d'expédition, vantant leurs qualités, qui à la chasse ou à la maîtrise des attelages de chiens, qui à l'endurance ou à l'ingéniosité, minorant au besoin ses propres mérites personnels pour mettre en avant son équipage. Il en va de même à propos des talents qu'il souligne chez divers membres des populations autochtones rencontrées lors de son périple. Cependant, toujours avec un souci d'honnêteté intellectuelle : s'il faut évoquer un défaut, il le fait également, sans emphase, sans esprit colonial.
À cet égard,
Roald Amundsen se mue presque en ethnologue à propos des indiens natifs du grand nord qu'on regroupe par simplification sous les termes génériques et simplificateurs d'esquimaux ou d'Inuits.
Roald Amundsen a la sagesse de prendre exemple sur ces tribus de peuples autochtones pour acquérir le savoir essentiel à la survie dans ce milieu effroyablement hostile et, à n'en pas douter, sa réussite ultérieure en Antarctique a très certainement débuté ici, au contact des tribus amérindiennes et de son remarquable sens interprétatif et logique des techniques employées par ces hommes parfaitement adaptés à cet environnement si particulier et si exigeant.
Le Norvégien ne s'appesantit pas sur ses douleurs et sur la rudesse des conditions : il utilise volontiers l'humour et l'ironie pour décrire ses propres déboires ce qui témoigne d'un certain sens de l'autodérision. On avance donc, à la voile le plus souvent car, par sa maladresse, il a abîmé son hélice assez tôt dans la traversée. Il nous décrit l'évolution des paysages selon les saisons, attire notre attention sur des petits détails cocasses et potentiellement insoupçonnés, tel le fait qu'au coeur de l'été, sous les très hautes latitudes arctiques, il est quasiment impossible de mettre le nez dehors pour un humain ordinaire car les nuages de moustiques vous en dissuade bien davantage que les - 50°C des mois d'hiver.
Bref, un récit que j'ai trouvé très intéressant, je n'irai pas jusqu'à captivant, car j'aurais aimé avoir d'autres descriptions, notamment sensitives, mais une lecture que je recommande très volontiers pour les personnes que ce type de sujet et d'aventure humaine motive.