Ce récit est à la limite du soutenable, mais il ne peut en être autrement: la victime directe d'une agression sexuelle, quelle qu'elle soit, n'a pas d'autres choix, si elle n'est pas crédible dans le détail de son récit, que ce soit devant un tribunal ou en littérature, elle ne sera pas crue.
Et ce récit est d'autant plus fort que
Christine Angot adopte un ton neutre, factuel pour nous narrer des scènes d'horreur absolue, terriblement crues, subies jour après jour. Jamais elle n'interprète un geste ou un comportement, jamais elle ne porte un jugement, elle reste dans la précision minutieuse et la description concrète, neutre. C'est sobre, comme la langue employée, simple mais jamais relâchée, sans dialogues ni discours rapportés, à la troisième personne.
Le titre, léger et innocent, neutre, crée le contraste avec ce qui se passe au cours de cette semaine de vacances. C'est progressivement que le lecteur comprend que « elle », c'est une petite fille, une pré-adolescente, et que « il », c'est son père.
Impossible d'écrire mieux sur
l'inceste. Si ce livre a eu moins de poids que celui de
Camille Kouchner, c'est à mon avis pour plusieurs raisons, hélas, mais pas forcément parce que la société n'était pas prête. D'abord parce que Camille n'étant pas la victime, elle est exonérée du récit précis et détaillé, insupportable pour certains qui se bouchent les oreilles. D'autre part, parce que
l'inceste dont est victime Christine est très particulier, ce qui le rend encore plus abject, mais rend difficile de l'ériger en modèle, exemple ou avertissement… le père ici n'est pas simplement un père incestueux, il est aussi un pervers narcissique. Si Christine cède et se tait, ce n'est pas tant comme souvent dans
l'inceste, parce que sa parole va faire éclater sa famille. Quelle famille, dans son cas ? Il n'a reconnu, tardivement, sa fille, que pour pouvoir en abuser. Quand elle prend la parole, pour simplement lui raconter le rêve qu'elle a fait, quelle est la réaction de son père ? L'abandonner sur le quai d'une gare… le reste du temps, il l'écrase par sa parole, car il est linguiste, et son arme est la rhétorique : Ce que tu fais, tu l'aimes. Je ne fais rien de mal et rien de ce que tu ne veux pas. Soit elle fait ce que veut son père, soit il l'humilie et elle se sent idiote. Après avoir lu «
Un amour impossible », écrit après, mais qui raconte les amours de ses parents, c'est clair, ce père est un pervers narcissique qui ne trouve la jouissance que dans la transgression et en particulier dans la transgression sociale, ses amours avec la mère ne sont qu'un moyen pour lui d'écraser celle-ci par sa condition sociale et culturelle élevée, et il ne peut que répéter avec la fille, de façon à humilier une fois de plus la mère. Il ne lui suffit pas de la violer, il faut qu'il s'en fasse intellectuellement admirer pour mieux la réduire à néant.
Par ce récit glaçant et d'une remarquable qualité littéraire,
Christine Angot remet magistralement, et avec son arme favorite, ce monsieur à sa place : celle d'un immonde manipulateur pervers.