En exergue:
Pas nécessairement une aile
Steven Jay Gould ( L'adaptation, La foire aux dinosaures)
Association d'idées pendant cette lecture,
Louis Aragon avec:
Il n'aurait fallu
Qu'un moment de plus
Pour que la mort vienne
Mais une main nue
Alors est venue
Qui a pris la mienne
Qui donc a rendu
Leurs couleurs perdues
Aux jours aux semaines
Sa réalité
A l'immense été
Des choses humaines
La " main" étant remplacée par ce "tu"...La " main" viendra après.Le "tu" fait..grandir.
Première phrase:" Tu es mort. Derniers mots:parce que bien sûr tu n'es pas mort encore; parce que bien sûr, depuis toujours , tu meurs."
Entre-temps, dans le bref moment d'existence de ce personnage , le " tu" va dominer. le "tu qui lui parle en permanence. de tout. le "tu" qui lui dit , par exemple, que sur les choses simples, naturelles, il faut mettre des noms pour qu'elles existent. Et qu' il faut les regarder. En botanique, il sait bien le faire. Dans d'autres domaines, un peu moins.
Le "tu" qui le dérange, quand même, qui dérange sa quiétude, son sommeil alors qu'il n'a pas l'impression de dormir . le "tu" qui traverse la carapace de défenses mises en place au fil des années pour des raisons qui lui sont propres et qui le protègent de la souffrance . Mais qui parvient à lui faire prendre conscience juste d'un détail, que la couleur de ses dessins pâlit avec le temps..
Le temps...
"Oui, c'est bien comme ça qu'il faudrait faire, comme Jules, quand il joue sur son ordinateur: sauvegarder! Il est fort, ce mot, grandiloquent; il y a là quelque chose de crucial: sauvegarder, garder sauf, afin de pouvoir y revenir en cas d'erreur, en cas d'errance, à ce moment là, à cette situation, et la retrouver telle quelle, inchangée, aussi vive, aussi présente qu'au premier jour, prête à se développer, à croître, à former de nouveaux rameaux , à mettre tes vies au pluriel. C'est comme ça qu'on peut envisager l'infini, l'éternité; plutôt que d'essayer vainement de tout connaître, de tout savoir faire. Plutôt que d'essayer de compter, un, deux, trois, quatre, jusqu'au bout; se contenter de deux et trois, par exemple , se les approprier, sans rien chercher ni au-delà ni en deçà, se contenter de leur intervalle, et le partager, le partager encore, dès que le besoin s'en fait sentir, à perpétuité: après tout, le temps qui te sépare de ta mort, quelque court qu'il soit, tu pourras toujours le diviser."
Mais l'espace de temps de la vie ne se divise pas à l'infini. Et la sauvegarde n'existe pas.
Il n'est pas mort, ce personnage, mais il n'est pas vivant non plus. Il attend de vivre.
Cette sorte de mentisme insistant, presque pathologique, c'est un .. réveil. Un tournant. Une naissance? Ou du moins une sortie de l'enfance où l'on croit que tout est éternel et qu'on peut prendre son temps. Où on tue des personnages dans des jeux vidéos, sauf qu'ils renaissent à chaque fois. Où on pense qu'à ses parents, on parlera la prochaine fois. Où on a des amies "du moment".
Mais le temps, c'est comme les couleurs, ça passe.
C'est un beau roman sur la possibilité de l'évolution d'un être humain, la naissance d'un " Je". D'un " moi". D'un homme.