Je suis les forêts d'eucalyptus et de fougères, les mines d'étain et les montagnes de dolérite. Je suis les coquillages et les algues brunes, je suis l'herbe grasse des prairies où paissent les wombats.
Je suis le sel incrusté dans la peau du pêcheur, celui qui trouve en l'otarie la moitié qui lui fait défaut depuis sa naissance, compagne à sa dangereuse tâche. Je suis le Sang-pourpre, un thon massif d'écailles et de muscles qui ne se pêche que dans l'agonie de ses chasseurs. Je suis le rakali qui remonte la rivière vers ma bien-aimée, je suis le rat d'eau dont la fourrure abrite un dieu. Je suis le cormoran qui fait son nid entre vos côtes, qui frappe l'intérieur de votre poitrine à coups de bec, attisant l'envie de sang et de mort.
Je suis la première étincelle, le feu originel. Celui qui grandit à mesure qu'on le rappelle sans cesse. L'immortel qui sait prendre la forme d'homme.
Je suis le bois dont on fait les cercueils. Je suis l'acacia noir où un oiseau fera son nid, prêt à le défendre bec et serres. Je suis le gommier des neiges, qui fossilise les corps que même le temps ne pourra altérer dans leur beauté.
Je suis les femmes de la famille McAllister qui reviennent à la vie, changées, après que mes cendres aient été dispersées. Que je respire par des poumons, des branchies, des stomates, ou pas du tout. L'espace de quelques jours.
Je suis Levi qui se refuse à voir sa soeur revenir de la sorte et lui construit un cercueil, et je suis Charlotte qui fuit la folie de son frère, pour mieux se retrouver elle-même.
Je suis une histoire (sur)prenante de deuil, d'incompréhension, de solitude et d'amour.
Je suis les merveilleuses et terrifiantes étrangetés de l'île que tout le monde accepte, je suis la polyphonie de Tasmanie sans cesse renouvelée qui se fait pourtant écho, traçant les sillons d'une même rivière aux multiples bras à travers l'état.
Je suis le feu qui crépite au bout des doigts, les flammèches qui coulent des yeux ou des lèvres, l'incendie qui embrase tout – même notre être.
Je suis
Flammes.