Qui connait Mme de Staël ? Les écoliers, peut-être, à condition qu'ils se souviennent de leur cours d'histoire et ne confondent pas avec Madame de Lafayette.
Et pourtant voici une femme qui vaut que l'on s'y intéresse. Pas pour sa beauté. Ce n'est pas Mme Récamier, sa contemporaine et meilleure amie, qui faisait tourner les têtes mais restait sage et dont on a surtout retenu le nom de la banquette sans dossier sur laquelle elle posait pour le peintre David.
Le tableau de Gérard donne une idée du style de Germaine (de Staël) : turban sur la tête, robe au couleurs vives. Sa cousine dit de sa toilette qu'elle "tenait à l'idée du pittoresque plus qu'à celle de la mode".
C'est son intelligence et son caractère passionné qui séduisent. Fille unique de Necker, le banquier suisse et protestant, ministre de Louis XVI, elle s'affranchit des opinions conservatrices de son père bien aimé. Elle multiplie les amants. Son intelligente de la chose politique lui permet de développer (avec Benjamin Constant, l'un des amants) une analyse politique du libéralisme qui marquera son siècle.
Après avoir admiré Bonaparte, elle s'oppose crânement à Napoléon, qui ne voyait dans les femmes que des génitrices et qui la poursuit de sa vindicte, envoyant ses livres au pilon, l'exilant loin du Paris où elle adore tenir salon. "J'ai un profond mépris pour tous ces politiques dont l'habileté consiste à se montrer supérieurs à la vertu", écrit-elle dans les Considérations sur les principaux évènements de la Révolution française.
C'est dans le château de famille, à Coppet, sur les bords du lac Léman, que se réunit le groupe éponyme de l'opposition intelligente à l'Empire.
Michel Aubouin, qui a réuni les textes, a choisi d'illustrer tous les aspects de l'oeuvre de Mme de Staël. "Kaléidoscope", dit-il, à l'image de la vie mouvementée et du foisonnement de la pensée de son auteur. "Auteure" au féminin, tant on sent frémir un féminisme engagé pour la liberté des femmes, "qui valent, en général, mieux que les hommes" écrit-elle dans de l'Allemagne.
Il décrit la femme engagée et le lecteur est comblé par les éclats de style : la manière dont elle échappe aux massacres de Septembre, sans oublier de sauver ses amis au péril de sa vie, relève du film d'aventures (pp. 33-47). Favorable à la Révolution, elle prend courageusement la défense de la Reine Marie-Antoinette. C'est un esprit libre. Son éloge de la liberté est fondateur : liberté dans l'ordre constitutionnel, liberté de pensée. Avant Auguste Comte, et Émile Durkheim, elle esquisse les fondements scientifiques de la sociologie. Sa défense de la liberté des femmes, son engagement pour leur cause et pour la cause des lettres a des accents d'une grande modernité. Son exil la force à parcourir l'Europe : l'Italie, l'Allemagne, la Suède, la Russie, la Grande Bretagne, tous pays dont elle parle la langue et font l'objet de ses analyses ou de ses romans. C'est la première européenne. Esprit de raison, nourrie des lumières, c'est aussi un tempérament de passion. Passion amoureuse, passion polémiste. Sa critique de Napoléon est pénétrante et on conçoit le courroux de sa cible. Attentive aux mouvements de l'âme, elle annonce le romantisme et Lamartine, qui la célèbre, ne s'y trompe pas.
Aux lettres de Mme de Staël, aux extraits de ses textes politiques, de ses romans, le présentateur ajoute des textes De Chateaubriand, Talleyrand, Napoléon, Benjamin Constant pour une vision panoptique de l'oeuvre. D'une plume précise et fluide, Michel Aubouin, un préfet écrivain, cisèle un portrait que l'on veut bien croire ressemblant et vivant n'oubliant rien des grandeurs comme des petitesses, comme l'âpre et tenace négociation du remboursement de la dette de l'État français à son père.
L'ouvrage serait réussi si la mise en page ne pêchait par négligence. L'éditeur, en effet, ne distingue pas clairement, dans les polices de caractère ou les guillemets, les textes proprement dits, des propos de liaison du présentateur. Qui parle ? le lecteur doit à tout instant vérifier, car les conventions varient au fil des pages, ce qui nuit à l'agrément de la lecture comme à l'intelligence du texte. En outre, un index des noms cités aurait été bienvenu, pour circuler commodément dans un ouvrage riche en "name dropping". Sans doute ne s'agit-il pas d'une édition scientifique, à l'égal de l'ouvrage de la Pléiade qui vient d'accueillir Mme de Staël, mais de là à tomber dans le style de présentation de la Sélection du Reader's digest ...
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