Les mots s'usent aussi, et nous cessons bientôt de leur accorder crédit. Ils perdent leur force avec leur sève. La réalité dont ils sont les médiateurs se décharne et s'obscurcit. Si nos lexiques s'enrichissent quotidiennement d'emprunts et de néologismes, jour après jour ils s'anémient à force de servir.
Ainsi le poète, sachant qu'il perdu le monde par des mots, cherche-t-il, par des mots encore, à le regagner. Ce langage de la reconquête n'est plus celui, réducteur et desséchant, de l'échange informationnel ou de la pure nomination. Il laisse sa part au sens non maîtrisé, à la respiration, au silence qu'un vers parfois creuse et interroge en nous.
Mais je reste persuadé, quant à moi, que la poésie est plus apte à nous apprendre la pesanteur que la chimère et qu'un poète, justement, est quelqu'un qui résiste à la façon dont notre époque gomme les dimensions physiques, sensorielles, sensuelles de notre relation aux êtres et à la matière.
Le réel ne sera jamais tout entier contenu dans les disques durs, ni même dans la multiplicité des sites Internet.
Bruno Doucey lit le texte "Merci à la vie" de Michel Baglin, extrait de l'anthologie "Courage ! Dix variations sur le courage et un chant de résistance", publiée aux Éditions Bruno Doucey en 2020.