C'est une chronique douce-amère dans un Paris désenchanté.
C'est une histoire ordinaire, presque ordinaire, et c'est dans ce presque que viennent s'engouffrer les mots d'une femme, les sensations qui la bercent, l'étreignent, celle d'une femme seule à qui rien n'arrive jamais.
La narratrice travaille au service contentieux d'un grand cabinet d'assurances parisien. Chaque matin elle arrose la plante verte de son bureau avant de s'engloutir dans des dossiers juridiques inextricables. Elle vit seule dans son appartement, dans un quartier de Paris, près de la rue Monge.
De temps en temps, elle rejoint en fin d'après-midi après son travail sa collègue Maryse pour boire un thé. C'est presque un monologue, Maryse évoquant ses fantasmes sentimentaux, la narratrice l'écoute d'une oreille distraite, tandis que les battements de son coeur s'égrènent dans une sorte de solitude urbaine et hivernale.
Son existence semble terne, presque vide. En dehors de son implication professionnelle, il semble que ses seuls centres d'intérêt résident dans sa famille, sa tante Louise et sa mère qui est malade, presque en fin de vie. Souvent elle se rappelle
Saint-Martin près
De Nantes où elle vécut, elle pense à sa relation désormais achevée avec un certain Philippe.
Les émotions sont belles, peintes par petites touches pour dire ce temps qui fuit, qui glisse sans laisser de traces... Longtemps elle croyait que sa vie ressemblait aux fleurs. C'est la voix d'un coeur triste qui ne fait pas de bruit.
Depuis peu, des événements peu ordinaires sont venus affoler le quotidien de la narratrice car tout près du quartier où elle réside, une femme a été retrouvée sauvagement assassinée... Puis il y a eu un deuxième meurtre dans le jardin des Plantes, un troisième enfin dans un périmètre toujours très resserré... La narratrice prend peur...
Un jour à la cafétaria un homme s'assoit près d'elle pour déjeuner. Il ne travaille pas au cabinet d'assurances, mais tout près. Il est blond, a les yeux clairs, un air un peu mystérieux qui ne lui est pas indifférent. Malgré la différence d'âge entre eux, elle se dit qu'elle aimerait qu'il revienne de temps en temps déjeuner à la cafétaria. C'est d'ailleurs ce qu'il lui suggère...
C'est un roman qui traverse les saisons de Paris.
J'ai aimé la plume faussement désinvolte de
Dominique Barberis pour dire cette petite douleur du quotidien. En quelques touches légères, elle pose un décor, une atmosphère, une tension...
Elle a son propre langage pour dire la blancheur immatérielle des étoiles, les souvenirs d'immobilité, une mère qui va mourir, la beauté arrangée des actrices hollywoodiennes des années cinquante, pour poser des questions aussi intrigantes que celle-ci qui m'a toujours turlupiné : « John Steed et Emma Peel étaient-ils amoureux l'un de l'autre ? »
J'ai été subitement accroché à l'histoire de cette femme ordinaire, dont la vie ressemble à la pluie qui tombe sur Paris. Mais dans son coeur solitaire qui bat, elle aime se laisser envahir par cette idée irréversible et merveilleuse du printemps.
Mais me direz-vous, que viennent faire
les kangourous dans cette histoire, à part apporter un peu d'exotisme ? Ce sont
les kangourous du jardin des Plantes. Ils ont assisté au meurtre, avec impuissance, indifférence, avec leurs yeux étranges comme ceux des lapins, leurs regards qui doivent partir en oblique, avec leurs mains presque infirmes. Ils sauraient reconnaître le meurtrier s'ils pouvaient parler.
Parfois à certaines heures, en certaines saisons, à Paris mais sans doute ailleurs, les gens ressemblent plus ou moins à des kangourous.
J'ai aimé me laisser envahir par la mélodie de ce roman, comme une chanson qui reviendrait avec un doux entêtement.
Les Kangourous, c'est ma première incursion dans l'univers littéraire de
Dominique Barbéris et ce ne sera pas le dernier.