« L’homme du puits de la caverne de Lascaux est en même temps que l’une des premières figurations connues de l’être humain l’une des plus significatives. Assez exceptionnellement, elle est peinte (d’autres, du même temps, sont sculptées, en ronde bosse ou en bas-relief, ou gravées, si elles ornent des parois). Elle est du moins tracée à gros traits de peinture noire. Elle est de lecture facile (nous pouvons l’interpréter sans discussion), mais sa facture raide, enfantine, est d’autant plus choquante que le bison peint avec elle est d’exécution réaliste (du moins est-il vivant dans tous les sens). L’abbé Breuil a vu dans cet homme un mort « renversé sur le dos », devant le bison blessé perdant ses entrailles : le « mort », ithyphallique, est pourvu d’une tête très petite, « qui ressemble à celle d’un oiseau à bec droit ». Cet homme et ce bison ne sont pas simplement juxtaposés, ils n’ont pas été peints indépendamment, comme le furent la plupart des figures pariétales. Le rhinocéros lui-même n’en peut que bien arbitrairement être dissocié. Le bison, le rhinocéros, l’homme et l’oiseau sont faits du même trait s’empâtant d’une même peinture noire et brillante, ayant une apparence givrée. Nous sommes en présence d’une scène, dont nous ne pouvons, il est vrai, rien dire qui ne soit conjectural, sinon que le bison est blessé et que l’homme est inanimé : bien que simplement incliné, cet homme est étendu, ses bras sont écartés, les mains ouvertes. Au-dessous de l’homme est un oiseau dessiné d’un trait qui, n’étant pas moins puéril, est moins gauche : cet oiseau sans pattes est perché, comme un coq de clocher, à l’extrémité d’une sorte de tige.
Les conjectures qu’a suscitées cette scène exceptionnelle sont différentes et peu conciliables. J’y reviendrai longuement (p. 139), mais j’insiste dès maintenant sur un caractère indéniable de cet ensemble : la différence dans la représentation de l’homme et de la bête. Le bison lui-même relève il est vrai de cette sorte de figuration du réel à laquelle convient le nom de réalisme intellectuel. Par rapport à la plupart des figures animales de Lascaux, nous n’avons là que le schéma naïf et intelligible de la forme, non plus l’imitation fidèle, naturaliste, de l’apparence. Le bison néanmoins semble naturaliste en face de l’homme, également schématique, mais outrancièrement maladroit, comparable aux simplifications des enfants. Beaucoup d’enfants traceraient l’analogue de l’homme, pas un n’atteindrait la vigueur et la force de suggestion de l’image du bison, qui exprime la fureur et la grandeur embarrassée de l’agonie.
Ainsi l’opposition paradoxale des représentations de l’homme et de l’animal nous apparaît-elle, dès l’abord, à Lascaux.
Dans leur ensemble, les figures humaines de l’Age du renne répondent en effet à cette séparation profonde, comme si, par un esprit de système, l’homme avait été préservé d’un naturalisme, qui atteignait, s’il s’agissait de l’animal, une perfection qui laisse confondu. »
« Ce qui est sensible à Lascaux, ce qui nous touche, est ce qui bouge. Un sentiment de danse de l’esprit nous soulève devant ces oeuvres où, sans routine, la beauté émane de mouvements fiévreux : ce qui s’impose à nous devant elles est la libre communication de l’être et du monde qui l’entoure, l’homme s’y délivre en s’accordant avec ce monde dont il découvre la richesse. Ce mouvement de danse enivrée eut toujours la force d’élever l’art au-dessus des tâches subordonnées qu’il acceptait, que la religion ou la magie lui dictaient. Réciproquement, l’art de l’être avec le monde qui l’entoure appelle les transfigurations de l’art, qui sont les transfigurations du génie.
Il y a dans ce sens une secrète parenté de l’art de Lascaux et de l’art des époques les plus mouvantes, les plus profondément créatrices. L’art délié de Lascaux revit dans les arts naissants, quittant vigoureusement l’ornière. Cela se fit parfois sans bruit : je songe à l’Art de l’Ancien Empire, à l’art grec du VIe siècle... Mais rien à Lascaux ne quittait l’ornière : c’était le premier pas, c’était le commencement. »
« N’y a-t-il pas dans les réactions obscures — immédiates — au sujet de la mort et de l’érotisme, telles que je crois possible de les saisir, une valeur décisive, une valeur fondamentale ? J’ai parlé pour commencer d’un aspect « diabolique », qu’auraient les plus vieilles images de l’homme qui nous soient parvenues. Mais cet élément cc diabolique » : à savoir la malédiction liée à l’activité sexuelle, apparait-il vraiment dans ces images ?
« Autrefois, la véritable naissance de l’art, l’époque à laquelle il avait pris le sens d’une éclosion miraculeuse de l’être humain, semblait beaucoup plus proche de nous. L’on parlait de miracle grec et c’était à partir de la Grèce que l’homme nous paraissait pleinement notre semblable. J’ai voulu souligner le fait que le moment de l’histoire le plus exactement miraculeux, le moment décisif, devait être reculé bien plus haut. Ce qui différencia l’homme de la bête a pris en effet pour nous la forme spectaculaire d’un miracle, mais ce n’est pas tellement du miracle grec que nous devrions désormais parler que du miracle de Lascaux. » (Avant-propos)
« J’insiste sur la surprise que nous éprouvons à Lascaux. Cette extraordinaire caverne ne peut cesser de renverser qui la découvre : elle ne cessera jamais de répondre à cette attente de miracle, qui est, dans l’art ou dans la passion, l’aspiration la plus profonde de la vie. »
Elle s'inscrit dans la lignée De Sade, Baudelaire ou encore de George Bataille et devient une des premières femmes à écrire la sexualité "comme un homme". Cette écrivaine mi-pirate mi-punk a bouleversé la littérature avec une liberté de ton qui inspire encore les autrices d'aujourd'hui comme Virginie Despentes.
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