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François BEGAUDEAU aime les mots plus que tout ; livre après livre, il aborde des sujets variés qu'il mène avec la même exigence. Alors bien sûr, le lecteur doit faire l'effort d'accepter cet art de triturer la langue, de jouer avec le sens des mots. Ce « Molécules » est un vrai plaisir pour le lecteur qui acceptera cette manière de faire. D'autant plus que l'humour, le burlesque cohabitent sans cesse avec le drame et la folie des humains.
Polar atypique, portraits au vitriol mais avec une empathie évidente pour tous les personnages, du premier rôle au figurant, Bégaudeau s'amuse à leur tirer le portrait. Et c'est sacrément bien vu.
Les dialogues sont du même avenant, ça swingue, ça pique, c'est drôle,c'est corrosif, c'est imparable. le regard affuté sur ces frères humains est du pain béni pour le lecteur qui se régale devant l'habilité Bégaudienne.
Un plaisir de lecture évident, qui montre que François Bégaudeau est un touche à tout vraiment bourré de talent.
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François Bégaudeau s'empare d'un fait divers glauque à souhait et lui insuffle l'énergie et le fantasque de la fiction dans un style cru et caustique. C'est noir et c'est drôle !

Annecy, 1995. Jeanne Deligny, la quarantaine, infirmière psychiatrique dans un centre de doux dingues farfelus et attachants, est retrouvée morte sur le palier de son appartement : balafrée et égorgée. Pas de motif apparent au meurtre, l'enquête s'enlise jusqu'à la découverte d'un sac plastique Bricorama...

L'assassin est retrouvé qui argue d'un homicide involontaire : ancien petit ami de Jeanne qui l'a laissé sexuellement insatisfait, il voulait se désenvouter...

De la garde à vue aux 4 jours de procès que le lecteur vit quasi en huit-clos, sous forme de dialogues savoureux, puis la prison, François Bégaudeau n'a pas à rougir de son aventure sur le terrain de l'intrigue criminelle, avec un roman tout en cynisme et ironie. Les systèmes policier, judiciaire, carcéral sont passés au vitriol mais la tendresse et l'émotion affleurent. Et au-delà d'une simple structure littéraire à suspens, la force du roman jaillit de tous ces personnages tantôt absurbes, fêlés, grotesques, durs, perdus, aux univers mentaux bien décalés, qui eux-mêmes dressent simplement un portrait du commun des mortels, de la folie humaine prise dans le chaos du monde voire dans des univers qui nous dépassent...


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Encore un livre de F. Begaudeau qui m'a plu.
Sur le fond, d'abord, l' histoire est intrigante et prend des allures de polar, tout en abordant sujets difficiles : le deuil, les névroses et psychoses, les relations humaines dans le milieu psychiatrique.
Le récit est bien mené, surprenant dans son déroulement, puisque l'énigme policière que l'on pense être l'aboutissement de l'ouvrage trouve sa résolution à mi-parcours. On comprend alors que le sujet est ailleurs, que l'intrigue est peut-être plus psycho-sociale que policière mais ce n'est que le début des rebondissements!...
Bégaudeau s'amuse beaucoup avec le lecteur, s'invitant même dans le récit, tout en restant cohérent dans le déroulement de l'histoire.
Sur la forme, fidèle à son style, F.B. nous enchante en jouant sur le rythme des phrases et élevant le niveau de vocabulaire pour atteindre un degré de précision inversement proportionnel à la lourdeur syntaxique que l'on serait tenté de lui attribuer.
Un bon livre, original, loin des clichés, qui invite à lire encore d'autres ouvrages de cet auteur
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Je choisis les livres que je lis en général à la médiathèque municipale, j'ai donc parfois le temps de les réserver, ou de scruter longuement les rayons en quête de la perle noire qui me fera passer des nuits blanches.Mais parfois, il m'arrive de passer en coup de vent à la bibliothèque car je n'ai pas le temps mais il me faut un livre et vite… Donc, j'attrape le premier venu ou presque sous prétexte que :

je connais l'auteur;
la couverture ou le titre est racoleur;
ou je prends tout de même trente seconde pour survoler la quatrième de couverture…
Et celle-ci m'a happée : pas de résumé, ni de présentation succincte de l'histoire mais uniquement un extrait dont le style déjà intrigue…

« le photographe s'accroupit pour cadrer serré Jeanne Deligny. Les trois premiers clichés le laissent insatisfait. L'angle optimal se cherche encore. Pourtant les visages c'est ce qu'il préfère shooter. Il n'a pas déjeuné, c'est sa faim qui le déconcentre. Il s'écarte pour que le capitaine Brun examine de près la plaie béante au cou et les joues lacérées. A première vue, trois fois une joue, deux fois l'autre. A confirmer. Un sillon monte jusqu'à la tempe, un second balafre le front. Sans cela elle serait jolie. L'était il y a une heure. L'est encore malgré les yeux exorbités de qui s'est vu mourir. »

Le shooting photo d'un cadavre donc par un technicien en identification criminelle, aux considérations aussi réalistes que loufoques… Pourquoi avoir choisi de chroniquer Molécules, qui, bien qu'étant un roman policier (atypique) est un livre pas si noir mais plutôt drôle ? Parce qu'il m'a plu tout simplement… Je l'avais bien dit :j ‘aime sortir des sentiers battus et aussi de ma zone de confort… car le style de ce roman « ne coule pas de source » et j'avoue que les torsions que l'auteur impose aux mots m'a séduit…

Que l'on adhère ou pas au style (tout jusque dans la ponctuation est déroutant), le premier chapitre interpelle: une immersion dans un centre psychiatrique qui se révèle drôle et jubilatoire. L'une des infirmières, Jeanne Deligny, mére de famille et femme sans histoire, n'est autre que la future victime, égorgée devant la cage d'ascenseur de son immeuble… Les personnages sont tour à tour décortiqués, y compris les secondaires. La fille de la victime, pour laquelle on ne peut s'empêcher d'éprouver une profonde empathie, est particulièrement bien étudiée: sa « vie est bancale, c'est le premier bilan qu'elle en tire après quinze fois douze mois à circuler dedans« . Jubilatoire je vous dis…

L'enquête sera menée par « la » capitaine Brun et le brigadier Calot sur fond de discussions pop-rock. La relation est cocasse et révèle quelques pépites d'humour. Les tergiversations concernant les témoins, mobiles et suspects éventuels vont bon train alors que l'enquête tourne en rond… Lorsque soudainement un homme passe aux aveux : « l'implacable positivité des faits a sonné la fin de l'orgie spéculative ». Mais pour le capitaine Brun, la résolution de l'énigme qui est trop facile, est décevante: le coupable est « une erreur de casting ». Elle en veut le capitaine, du sordide et du gore ! Leur homme, Gilles Bourrel, ancienne connaissance de la victime, entreprend donc de raconter la brève et tragique histoire qui le lie à Jeanne Deligny: le lecteur la trouvera tant hilarante que pathétique, absurde à l'image du procès qui s'ensuivra… Un procès au cours duquel se succèdent à la barre psychologue, expert médico-psychologique, amis et collègues du présumé coupable…

Le final inattendu viendra clore un récit qui oscille donc entre roman policier et comédie ( de temps en temps, ce n'est pas pour me déplaire)… Alors « on se tait, on boit le génie… »
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François Bégaudeau, je l'ai rencontré à travers son roman "Entre les murs" et j'avais aimé cette écriture particulière, capable de transcender son empathie pour ses personnages. Car, même s'il parle parfois d'eux dans des termes moqueurs, on le sent vibrer pour ces jeunes au point d'adopter leur vocabulaire dans ses propos. Enseignante au moment de cette lecture, j'avais été admirative…
Là, c'est une toute autre histoire qu'il nous raconte. Dans "Molécules", Jeanne, infirmière dans un centre psychiatrique est découverte morte sur son palier, le visage lacéré de coups de cutter. On pourrait dire que nous avons affaire à un roman policier. En effet oui, il y a une enquête, oui nous assistons à des interrogatoires, oui nous sommes confrontés à des suspects et, oui, les policiers finissent par trouver un coupable : un ancien amoureux éconduit. Mais ne croyez pas que je vous livre la clé, car là n'est pas l'essentiel.
L'histoire est, en fait, le prétexte à une étude approfondie des personnages. François Bégaudeau ne s'arrête pas simplement sur les principaux – le mari, la fille... – il s'intéresse aussi à la concierge de l'immeuble, aux patients du centre, des êtres fragiles et différents, et à bien d'autres que d'aucuns qualifieraient de secondaires. L'écriture est jubilatoire qui permet de passer allègrement de la tragédie à la comédie et n'a pas son pareil pour nous faire vivre des scènes hilarantes "Au fond du parc, deux piquets orphelins et une raquette prise dans les fils électriques suspendus composent un reliquat d'activité badminton. Un vingtenaire s'égosille à expliquer à une femme deux fois plus âgée que jeter sa raquette en l'air n'est pas la meilleure méthode pour jouer." L'auteur emploie aussi nombre d'expressions "retoquées" à sa manière – "Le capitaine Brun ne dit mot sans consentir." "Hamza répond que justement la foi vient en priant". de la même façon, d'élégantes périphrases enluminent des réflexions pour le moins scabreuses "La pharmacienne ayant, comme déjà dit, gobé force queues, il semble imprudent de confier la direction de l'enquête à un officier de police judiciaire qui se trouve elle-même posséder une bouche susceptible de prodiguer des faveurs licencieuses à une partie conséquente de la population masculine." Et je ne parle pas du regard malicieux porté sur les forces de l'ordre, les juges et les experts…
Ce roman est décidément un régal de lecture où le loufoque se combine au poignant, l'absurde au raisonnable, l'humour à la gravité, le rire aux pleurs. du rire aux pleurs, c'est bien ça car jamais n'est exclue, malgré la légèreté apparente, une tendresse discrète à l'égard des éprouvés. Et, si je n'ai pas tourné les pages aussi vite que désiré c'est uniquement pour savourer les mots triturés en tous sens. Je ne peux terminer sans évoquer le plaisir ajouté tout au long du récit, à l'évocation de lieux chers à mon coeur, amoureuse que je suis de la ville d'Annecy.

www.memo-emoi.fr
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François Bégaudeau n'en finit pas de m'épater. Chacun de ses romans est, pour moi, un festival d'écriture qui me tient en éveil et stimule des neurones dont j'avais même oublié l'existence ! Prenez "Molécules" par exemple : à partir d'un fait divers sordide, le meurtre d'une infirmière par un amoureux éconduit, il parvient à nous rendre attentif à tous les personnages, de l'équipe d'enquêteurs à la concierge de l'immeuble. En glissant d'un point de vue à l'autre, il nous donne une vue générale et intime à la fois de l'enchaînement des évènements. Il ne s'agit pas là de pesantes analyses psychologiques mais de quelque chose de plus léger et plus grave, quelque chose qui donne à voir des êtres humains confrontés à une réalité dont ils ne maîtrisent rien.
En faisant rendre gorge à tous les clichés, tics de langage et autres constructions vides à force d'être routinières, l'auteur nous amène à reconsidérer le rapport à la fiction autant que les carcans langagiers dans lesquels sont enfermés êtres et personnages. Les registres et les genres sont dépassés et le choix des mots, leur agencement, nous font passer du burlesque à la tragédie sans dissonance, mais toujours dans la justesse la plus affûtée. C'est jubilatoire et plein d'émotions. Un régal !
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Vous croyez commencer à lire un polar : Ben oui puisqu'il y a un meurtre, une victime, une policière, un adjoint, des indices, une concierge portugaise pour mettre sur la voie. Ah oui, Bégaudeau, il fait ça aussi ? Rassurez-vous, il fait ça à sa façon bien singulière : la victime travaille dans un service de psychiatrie, la policière ne manque pas de répartie, chacun a ses petites obsessions, l'adjoint est le roi de la statistique, la concierge juge Dieu supérieur à la justice humaine, la fille de la victime s'incarne dans une science revendiquée. Apparaissent ensuite un assassin, une juge d'instruction, des avocats, des jurés . Et là, mais oui, tout est résolu, mais la vie continue. Ils sont encore là « les survivants » , leur histoire continue, il ne suffit pas d'élucider.

C'est donc bien plus qu'un polar, c'est un attachant roman qui s'intéresse à ses personnages jusqu'au bout, et les aime tous à sa façon marrante, attentive, quasi affectueuse, qui donne la parole à un autiste, c'est vous dire. Et jusqu'à Bégaudeau encore étudiant qui vient tenir un petit rôle épatant pour faire avancer sn intrigue.

Au-delà de cette intrigue perpétuellement malicieuse, Bégaudeau (l'auteur, pas le personnage), traque le sens des choses et des mots, et tout ce que leur non-sens implique aussi, le poids des stéréotypes verbaux et comportementaux. Il instille de l'humour à chaque page, un truc discret, pince sans rire, dévastateur. La légèreté est ici un atout, le sérieux se cache sous le gracieux, . J'ai adoré.

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Automne 1995, Annecy, le corps de Jeanne Deligny est retrouvé dans la cage d'escaliers de son immeuble, lacéré et la gorge tranchée à coups de cutter. Peu d'indices disponibles, l'enquête piétine, jusqu'à ce qu'un improbable pièce à conviction mette les enquêteurs sur la piste de l'assassin. Qui avoue sans problème, arguant de l'accident...
J'avais entendu beaucoup de bien de ce roman qui, selon les termes utilisés, « cassait les codes » du polar. L'occasion était donc trop belle de s'y plonger, afin de découvrir le regard neuf sur un thème plutôt classique. Comme précisé sur la fiche de l'éditeur, de ce fait divers, l'auteur n'en a gardé que la trame, préférant finalement se pencher sur les protagonistes de l'histoire et leur existence.
De ce côté, le pari est amplement réussi. Il y a dans Molécules une psychologie très « simenonienne », très ciselée, Bergaudeau s'attachant à nous décrire les caractères de chaque personnage comme se plaisait à le faire avec brio le père de Maigret. Avec cependant, une point de légèreté, d'humour actuel, de langage plus cru, un Simenon débridé et revisité en quelque sorte. C'est ce qui fait la force de ce roman. Finalement, le meurtre même passe au second plan, devient secondaire dès que l'auteur, ne s'attardant pas sur de sordides descriptions, finit rapidement par nous dévoiler le coupable. Nous sommes donc loin du polar classique.
Malheureusement, si la plus grande partie du roman m'a réellement emballé, je suis resté sur ma « fin » si j'ose ce jeu de mot. Parce que, au détour de l'histoire, l'auteur nous gratifie soudain d'une partie narrée à la première personne, qui casse complètement le rythme et dont on se demande bien ce qu'elle vient faire là. de même, la conclusion m'a paru obscure, un ton sans doute en-dessous de l'ensemble, me laissant un sentiment de frustration gâchant un peu ma satisfaction globale.
Molécules est donc pour moi une demi-satisfaction. Si vous êtes davantage attachés à la psychologie des personnages qu'à l'enquête à proprement parler, ce livre est fait pour vous. Il aurait été pour moi une parfaite réussite sans cette fin que je n'ai peut-être pas comprise, et que j'aurais souhaitée plus en continuité et en adéquation avec le reste du récit.
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Chronique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=4wucRRKRf-M

Toujours difficile de parler de roman qui me plaise, il va falloir traduire en pensées rationnelles des petits plaisirs fugaces, et lors de la lecture, j'ai la flemme de me demander pourquoi telle phrase produit tel effet sur moi, je suis ébahie, dans le plaisir esthétique, je me laisse porter quoi. C'est qu'après qu'il faut tout reprendre.
Par ailleurs, les livres, c'est comme les humains, pour moi, c'est toujours plus facile d'expliquer pourquoi une personne me revient pas, tout ce qui m'agace chez elle que traduire pourquoi je ressens de l'amitié, de la tendresse ou de l'amour, ce qui semble aller de soi en fait, sortir du ben j'aime bien parce que c'est bien quoi
Je ressens pareil pour le Jaenada, que je suis en train de terminer et je pense que c'est un sentiment qui ne se départ pas d'une forme de pudeur, voire d'égoïsme - c'est mon moment a moi, ca a été cool, j'ai la flemme de développer. Donc voilà, c'était bien, faites-moi confiance, lisez-le, fin de la chronique. Non ? Bon.

De quoi ça parle ? Un meurtre a eu lieu en Haute-Savoie, sur la personne de Jeanne Deligny. Il va falloir découvrir le coupable. Une sorte de polar donc.

Mais est-ce vraiment un polar ?

La définition du Larousse ne va pas beaucoup plus loin que le roman policier. Et le site Decitre marque une différence entre les deux, le polar et le policier, que je suppose vraie, mais leur explication est un peu fumeuse. Pour définir simplement le polar, c'est une enquête, la plupart du temps sur un meurtre, parfois du point de vue de l'enquêteur, parfois pas.
Et là vous remarquez que j'emploie le terme d'enquêteur et pas celui de policer ou de flic. Parce que souvent, le héros du polar ne ressemble pas à un flic, il n'a pas d'uniforme, il y a aucune subordination avec des collègues ou des supérieurs. On s'intéressera plus volontiers à sa vie privée, souvent difficile, ce qui fait que c'est un homme dur au coeur tendre ou tendre au coeur dur. Et ça, ça n'intéresse pas Bégaudeau. Enfin, pas l'aspect vie privée, mais l'aspect flic décontextualisé, dépolitisé de polars. Déjà, les flics ne sont que des personnages secondaires dans l'histoire (après, ils le sont presque tous. Bégaudeau n'aime pas spécialement le personnage, le héros, autour de qui tout va tourner, parfois de manière peu crédible. Lui, il aime l'interaction entre ses personnages, le côté humoristique que ça peut donner comme avec la concierge et son comique de répétition ou réaliste avec les dialogues par exemple. Mais plus précisément, il est contre la figure de l'homme providentiel, je pense, et donc, déjà, il va faire de son enquêteur une femme, mais surtout, il va montrer comment la résolution d'une enquête ne dépend finalement pas de la sagacité ou de la supériorité d'un seul homme, et dépend même parfois du hasard le plus total.
Souvent le polar se termine avec la résolution de l'enquête, quand on a trouvé le coupable. Il va en prison, justice a été faite, etc etc. Sauf que Bégaudeau, encore une fois, c'est pas forcément ce qui va l'intéresser, même si on sent qu'il aime bien s'approprier la figure du flic, ou plutôt, la désapproprier de la fiction pour la ramener au réel. Donc le flic, il sera de droite, il classera la dangerosité de l'individu selon sa couleur de peau « un type subsaharien », « de type maghrébin », ou il dira ou pensera des phrases un peu pompeuses tirées de mauvais polars « de la distance toujours. de la distance sinon on est mort ». A côté de ça, il arrive quand même à les différencier les uns des autres, ils ne sont pas une masse informe, et attachants pour certains, je pense à Calot et ses calculs de probabilités.

SPOILS
Et à la moitié du roman, on quitte l'enquête et les flics, pour se pencher sur le coupable, Gilles.

Le coupable
Manière de se demander ce qu'est la justice, son utilité même dans le cas d'un crime. Est-ce qu'une personne doit payer toute sa vie l'erreur de quelques minutes ?

FIN DU SPOIL
Bon bien sûr c'est plus fin, parce qu'on ne va pas non plus évacuer la victime ou ses proches pour angéliser le coupable — Jeanne, elle est morte et rien ne pourra la ramener. Ça évite deux écueils : celui de beaucoup de romans « judiciaires » (je pense à Karine Tuil, son dernier), qui sont vachement frileux et prennent le point de vue de l'avocat, du juge, pour ne pas trop se mouiller, pour ne pas regarder l'abime, et voir que l'abime, parfois, elle ressemble à un miroir, ou encore l'écueil d'iconiser la figure du tueur, le mettent presque au même niveau qu'un méchant surpuissant de bande-dessinée. le coupable, c'est pas Venom, rien que son nom le disqualifie.
J'ai l'impression que c'est une manière de parler de ressentiment, de rédemption, de la possibilité du pardon. Parce qu'en face de lui, il y a la famille de Jeanne et surtout sa fille Léna, que le meurtre de sa mère obsède. Ce qui parait normal dans un premier temps semble la circonscrire dans une bulle mortifère, celle de trouver une moyen de se venger, et ce qui la place inévitablement dans le ressentiment.
Pour Nietzsche, les êtres de ressentiment sont une race d'homme pour qui « la véritable réaction, celle de l'action, est interdite et qui ne se dédommagent qu'au moyen d'une vengeance imaginaire. »
Lena s'exclut de la vie, de sa libido au sens propre et figuré pour remâcher une idée de vengeance compréhensible mais morbide. Elle se coupe de sa propre vitalité. Et c'est ce que lui dit, en substance, le Bégaudeau fictionnel ; et à côté, de ça, on a son frère, Didier, qui, au contraire de sa soeur, sera dans le pardon. Cela comme une main divine, ou créatrice, ce qui revient peut-être à la même chose : « Evidemment, une main énorme empoigne son avant-bras pour le neutraliser, tandis qu'une autre d'égale puissance arrache la flasque ». L'auteur devient dieu, devient la main qui épargne.
Le style
Bon et concernant le style, j'apprécie toujours autant. Si dans l'intention autofictionnelle ou autobiographique, on pouvait comparer Knausgaard à Proust, dans la reproduction du réel jusqu'à l'épuisement, je dirais pour Bégaudeau, qu'on est plutôt dans un éclatement de la description à la Faulkner, surtout au début du roman. En effet, on suit des personnes dans l'hôpital psychiatrique dans lequel travaille Jeanne, selon leur point de vue qui est forcément diffracté — et j'ai pensé au début du Bruit et la fureur. On ne va pas par exemple pour parler d'une branche, commencer par la branche elle-même, puis les feuilles, puis les nervures, mais parler de la branche, puis du coucou qui chante dans l'arbre, du mec qui pisse sur le tronc, et le train qui passe pas très loin : la polyphonie du brouhaha entourant, une impatience, un bouillonnement, ce que j'avais déjà remarqué dans la Politesse. La fin, aussi, à la Faulkner, avec l'odeur de la pluie, des feuilles, qui évoquent les pensées du personnage de Benji, la relation tendre à la soeur qui se projette sur la nature, sur les sensations ressenties « La pluie lui donne une odeur et aussi aux feuilles. ». J'ai pensé à l'odeur de pluie mouillée de Cadie. Il a ce côté lyrique un peu, quand il parle de la famille Deligny, que la malchance approche du sublime, eux qui avaient encore des petits réflexes bourgeois lors de l'enquête.
Et en même temps, un des autres talents de Bégaudeau, et je pense que c'est celui qui reste le plus dans la tête des gens car il se manifeste aussi dans ces essais, c'est celui du portrait, lapidaire, précis, qui explicite au scalpel ce qu'on pensait mollement.

Et enfin, le discours indirect libre, qui apporte souvent des respirations humoristiques en mettant en scène le bavardage, le verbiage des gens « Qu'il en ait pris l'initiative seul donne la mesure de son attachement à Jeanne, qui était réciproque, malgré qu'elle mettait un point d'honneur à ne pas montrer de préférence entre les résidents mais forcément elle en avait car on en a toujours et c'est bien normal et ça ne veut pas dire qu'on néglige les autres. »

Si je devais pinailler, je dirais que parfois il fait son Bégaudeau et se laisse emporter par la vivacité de sa pensée, et que nous, on trainasse derrière, dans des passages où il accumule les phrases très courtes, très référencées, très private joke « le seul nom de cette musique alerte qu'elle n'est rien de plus que ce qu'elle est : de la musique. […] Pardon mais si ça c'est pas de l'immanence. Musique pour la danse, musique-danse. Je ne danse pas sur la musique. Je danse la musique ? La musique danse pour moi » le genre de passages qu'il aime bien conclure avec un impersonnel, qui est en fait très personnel « On va le lui faire regretter. On y mettra le temps qu'il faudra ».


Si je devais comparer avec une de mes lectures récentes, et je pense que la comparaison ne lui plaira pas, ce serait avec La carte et le territoire de Houellebecq. L'enquête dans ce roman est aussi anti spectaculaire que chez Houellebecq, les flics sont peut-être plus ancrés sociologiquement et politiquement qu'avec Michel, mais l'enquête est aussi vite résolue, sans effets de manche. Et puis la question de notre place dans le monde, de l'ineffable face au périssable, le fait que l'auteur apparaisse comme personnage, ou qu'on quitte l'intrigue « principale » à la moitié du roman. Je crois que l'humour m'y fait penser aussi, un humour assez absurde ou alors jusqu'au boutiste, je compte pas le nombre de haha que j'ai noté sur ma liseuse. En résumé, l'association du lyrisme et du clinique dont j'avais parlé dans ma vidéo sur Houellebecq.
Quoiqu'il en soit, c'est un roman que j'ai beaucoup aimé, que je vous recommande.

Lien : https://www.youtube.com/watc..
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Le roman retrace la vie des protagonistes d'un crime. le traitement par les différents points de vue est intéressant. Mais le style est très lourd, il faut relire 2 fois certaines phrases. Je ne vois pas ce qui justifie ce style. de plus, je n'ai pas compris la fin.
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