Mémé s'est éteinte, il y a quelques semaines. C'est l'heure du partage de ses biens entre les membres de la famille. L'horloge reviendra-t-elle à Hervé ? Ses pensées dérivent sur cette fameuse horloge déjà héritée de la génération précédente, unique signe de richesse des aïeux. Dans ses souvenirs d'enfant c'était la tour de contrôle de la maison de Pépé et Mémé, celle qui « se mettait à carillonner à tout va pour sonner les dix heures, un raffut du diable ». C'est au cours de cette réflexion qu'il se remémore sa démarche, quelques années plus tôt, de collecter l'histoire de sa grand-mère, les mots de sa mémé enregistrés avec gêne dans un magnétophone.
Malgré l'objection de Mémé, évoquant une perte du temps puisqu'elle n'a rien à dire, les voici installés pour une première séance d'interview, le petit café servi dans des verres et la boîte de gâteaux posés sur la table de cuisine.
Dans cet hommage sincère, les souvenirs d'enfance de l'auteur se mêlent alors à la fidèle retranscription des paroles de sa grand-mère.
Mémé est née dans une des fermes du Duc de Pontcallec, dans le pays Pourleth. Elle a repris celle-ci quand ses parents ont arrêté. C'est là qu'Hervé passait ses vacances d'été avec sa soeur et ses cousines. du sifflet de chef de gare à Montparnasse à la remorque du tracteur de Pépé, c'était toute une expédition. Les vacances commençaient invariablement par une pesée de chaque petit enfant sur la balance à cochon car il fallait démontrer aux parents qu'ils avaient engraissé à la ferme, bien nourris de pommes de terre, de lait ribot et de beurre.
La maison de Mémé : une pièce principale, très sombre et sur terre battue où ils vivaient et dormaient, elle et Pépé, une pièce sur parquet ciré avec de jolis meubles qui était réservée aux petits enfants.
Mémé s'active toujours. Même assise, ses doigts s'agitent encore sur les travaux d'aiguilles. « Rester sagement assise en rêvassant auprès du feu, sans d'autres ambitions que de laisser filer le temps, on ne le lui avait pas appris. » La vie de Mémé c'était le travail, tout le monde, sans distinction, participait aux travaux de la ferme ou au ménage. Et surtout, le lait à baratter, confectionner le beurre vendu au marché. Avec les cochons c'était le seul moyen de gagner de l'argent pour s'offrir ce que la ferme ne produisait pas.
Café, cidre aigrelet, crêpes le vendredi, un cochon de temps en temps, du bon lait de la ferme, non, ils n'étaient pas malheureux dit Mémé. Elle se souvient de tous ceux qui n'avaient pas toujours de quoi manger ni s'abriter, c'était la misère en Bretagne.
Elle nous raconte les foires, les pardons, les bals, les fêtes, la convivialité. Au moment de contempler de vieilles photos, l'émotion nous gagne, petit-fils et grand-mère ont pour la première fois un moment de complicité, de tendresse, Mémé n'avait pas trop le temps pour les câlins mais une autre façon d'aimer…
Un pèlerinage sur les lieux et les décors de cette ancienne vie seront l'occasion de vivre avec nostalgie la fuite du temps. Si certaines choses restent, les hommes et les femmes ne font que passer.
On appréciera la franchise de l'auteur qui n'hésite pas à dénoncer le progrès, cette rupture avec les traditions et la simplicité qui arrivaient à remplir des vies loin de la course folle de la vie moderne. Remarquable aussi son humilité lorsqu'il avoue ses échecs, sa honte de détester la terre qui a nourri sa famille et dont il ne supporte pas qu'elle lui salisse les mains.
C'est en pensant à ma grand-mère que j'ai lu ce livre. La vie moderne nous éloigne de nos anciens et c'est bien dommage. Il est difficile d'imaginer ces vies qui se sont déroulées il y a seulement deux générations et pourtant c'est un abîme qui les sépare des nôtres. Tout va trop vite. Ce n'était pas forcément mieux avant mais c'était peut-être plus simple.
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Hommage rendu par un petit fils journaliste, à sa grand mère témoin d'une vie en Centre Bretagne, sous forme d'un journal.
Les souvenirs de l'un rencontrent les récits d'une vie dure, âpre, de l'autre.
Beaucoup d'humour, de tendresse, de justesse.
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Une plongée dans le monde rural en centre Bretagne.
Et l'écriture et l'esprit de Bellec que j'aime bien.
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Parler de soi à son petit-fils, son mabig, c'est facile, mais entre nous deux il y a ce satané magnétophone avec son voyant rouge, et de là, on passe à l'écrit. Mémé ne domine pas l'écrit, non qu'elle soit illettrée, loin de là – nous étions même parfois étonnés du peu de fautes d'orthographe qu'il y avait dans ses lettres –, mais c'est l'essence même de l'écrit, sa portée, qu'elle ne domine pas. Je ne pense pas qu'elle ait mis une seule fois les pieds dans une librairie, pas plus que dans une bibliothèque. Dans les fermes, on avait plutôt tendance à cacher à l'intérieur des armoires le peu de livres qu'il y avait, exceptés bien sûr le missel du dimanche et quelques livres de cuisine. Et même aujourd’hui, je souris un peu amèrement de voir mes propres livres, ceux que j'ai écrits, planqués ainsi comme des secrets de famille. Le livre n'appartenait pas à l'univers de leur caste. Les livres, c'était fait pour les châteaux et les presbytères, mais les paysans n'avaient ni le temps ni les sous pour. Et puis, lire, c'était ne rien faire, c'était une perte de temps. On frôlait le péché mortel.
Mais l’autre soir, un de mes fils m’a demandé de lui préparer une crêpe avec un steak haché et du ketchup.
- Tu vois ce que je veux dire, hein, Papa ? Un peu à la façon d’un hamburger.
Je lui ai posé une main sur l’épaule et l’ai fixé de mes yeux les plus noirs.
- Je veux bien être ouvert sur le monde, mon petit bonhomme, dans un esprit de tolérance et de respect mutuel, mais sache qu’il y a des limites à tout.
https://www.editions-dialogues.fr/livre/K-B/
Rencontre avec Hervé Bellec et Alain Goutal qui nous présentent leur livre "K.B. Kreiz-Breizh, voyage au c?ur de la Bretagne" aux éditions Dialogues.
Questions posées par Élise le Fourn.
Réalisation : Ronan Loup.