Les Victimes

Pierre Brulin travaille à Paris dans une maison d'édition où il dirige une collection médiocre ; il s'ennuie dans ce travail fastidieux et encombré de servitudes. le jour où Claire lui propose un manuscrit, c'est le coup de foudre réciproque. Pierre est célibataire, libre, il a eu des aventures, tantôt joyeuses, tantôt mélancoliques, mais toujours dépourvues de gravité. Mariée à René Jallu, ingénieur et inventeur des premiers barrages à parois minces, Claire n'est guère disponible. Les amants se contentent de fragments de journée, de morceaux de matinée ou de lambeaux d'après-midi. Pour Pierre, c'est le douloureux apprentissage du tourment amoureux clandestin, et de son cortège d'inquiétudes, d'attentes et d'espoirs, de déceptions, de bonheurs volés.


Lorsque René Jallu s'envole pour l'Afghanistan pour diriger durant de longs mois, la construction d'un barrage, Pierre ne se résout pas à perdre sa maîtresse et se fait embaucher comme traducteur-secrétaire par son mari. Claire doit les rejoindre peu de temps après. Sauf que lorsque l'avion atterrit à Kaboul, la femme qui en descend n'est pas celle connue à Paris. Seul Pierre Jallu la reconnaît.


Les victimes, paru en 1964, révèle toute la singularité et la virtuosité du couple Boileau-Narcejac, cet écrivain bicéphale et à quatre mains, qui dans les années d'après-guerre a sorti le roman policier de la sclérose, de la caricature, du ghetto éditorial dans lequel il était confiné. Les auteurs mettent en scène des personnages faits de chair, de sang et d'émotions, dans des intrigues proches de la vie quotidienne des lecteurs, d'où sont exclus les super-héros flics ou détectives privés, alcooliques ou dépressifs. le but du roman policier revu et corrigé par Boileau-Narcejac n'est plus la résolution d'un crime et le retour à l'ordre et à la norme morale par la neutralisation d'un déviant à exclure de la société policée. Les auteurs prêtent à ce propos une réflexion à Pierre dans l'épilogue : « Dans cette histoire, il n'y a que des victimes, certaines ont été plus durement frappées ».


Les victimes raconte une double machination. le découpage de l'intrigue est millimétré, et l'obsession de Pierre, qui frôle la folie à vouloir élucider le mystère de cette femme à l'état-civil inexplicablement dupliqué, est subtilement analysée. le lecteur berné autant que les personnages doit attendre les ultimes pages pour découvrir la perspective chronologique de l'histoire, machiavéliquement simple, relevant du grand art. Hitchcock et Clouzot ne s'y sont pas trompés, lorsqu'ils ont pioché dans la bibliographie des duettistes pour réaliser Vertigo et Les Diaboliques.

Boileau et Narcejac, duo d'auteurs de romans "policiers" machiavéliques, offre une fois encore une intrigue où chacun joue le rôle d'un autre, où les apparences sont trompeuses, je me suis laissée piégée jusqu'à la fin, bien qu'ayant déjà lu ces auteurs, jusqu'au bout je suis restée intriguée.
Loin des polars type leurs livres ont plutôt donné naissance a ce qu'on classe aujourd'hui en thriller psychologique.
Celui ci est moins connu que série noire ou les diaboliques, probablement parce qu'il n'est pas devenu un film culte, mais il reste très efficace, à lire !