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EAN : 9781092444347
l'Atelier contemporain (09/02/2016)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Peu loquace et concis, laconique même, Bonnard. Rétif aux généralités, à la théorie. Cultivé, mais se méfiant des grands mots. Réservé, pudique jusqu’au secret. Attentif aux autres, sensible, inquiet, mais poursuivant librement, obstinément, sa route, sans la moindre trace de complaisance narcissique, avec, au contraire, une modestie réelle et critique envers lui-même.
D’où l’intérêt que présente cette édition des entretiens et articles de cet homme silencieu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Commençons d'abord par ce qui suscite la curiosité : le livre dans le livre. Celui conçu par Bonnard, en 1944, et intitulé « Correspondances », publié à 1000 exemplaires chez Tériade et entièrement reproduit dans la présente édition. Son texte se compose de lettres de jeunesse, manuscrites – échangées entre lui et ses proches –, assorties chacune d'un ou plusieurs dessins à la plume ou au crayon, les illustrant. Pour qui connaît un peu la vie et l'oeuvre du peintre, la force des liens qui l'unissait à ses proches et l'intérêt immense qu'il portait à la gravure, le recours à une telle composition n'est pas neutre. Elle ne surprend pas : retour sur sa jeunesse et son entourage le plus aimé en offrant un choix de lettres personnelles où le lecteur va retrouver sans peine, dans la spontanéité de l'écriture et la verve des croquis, les émotions premières inscrites dans ses motifs de prédilection, l'essence de son inspiration et les qualités de son trait. Un texte plutôt bien senti, d'Alain Lévêque, introduit « Correspondances » ainsi que la série d'articles et de propos, parus ou recueillis entre 1933 et 1945 (hormis le bref Hommage à Odilon Redon qui date de novembre 1912), rares témoignages ou confidences que Pierre Bonnard a laissé sur lui-même ou sa conception de la peinture et qui complètent le portrait sensible d'un peintre déjà âgé.

Si on n'apprend rien ici sur Bonnard qu'on ne sache un peu déjà par d'autres sources biographiques ou monographiques, l'intérêt serait donc de le redécouvrir dans cette compilation d'articles et d'entretiens en donnant à voir en sus, un livre original d'artiste. Sachant la place éminente et très spéciale accordée à l'illustration du livre et aux arts graphiques dans son oeuvre, on peut vraiment regretter le peu d'égards concédés à la reproduction du sien. Médiocrité de la lisibilité des lettres manuscrites apparaissant sur fond grisé qui justifie leur retranscription. C'est un peu mieux pour les dessins. Ce très inesthétique effet « photocopie » pour les lettres est assez dévastateur. Pâle duplication qui échoue à faire ressentir l'émotion du "direct" de l'écriture si lié au dessin qui l'accompagne. Moyens reprographiques "low coast" pas du tout à la hauteur des espérances suscitées par le titre pour ce qui me concerne. Son oeuvre « relève de l'acte de poésie et de lui seul », relève si justement André Lévêque dans sa belle préface, soulignant combien l'émotion première est au coeur de la création, chez cet artiste. Il suffit de poursuivre la lecture pour s'en convaincre. Bref, déception reprographique totale.

Restent les textes. Ingrid Rydbeck et la photographe Rogi André, lui rendent visite dans une villa de location à Deauville, en 1937. « C'est Boudin qui a attiré mon attention sur Deauville », leur confie-t-il, avant de transformer spontanément un goûter impromptu – vin cerise et pêches – en nature-morte, immortalisée sur la couverture. le geste de savoir-vivre semblant se confondre avec celui de peindre. Il poursuit, taquinant un de ses basset, sur sa manière de travailler les paysages ou les portraits. Plutôt que rester sur le motif, il préfère les esquisses ou croquis rapides, les notes furtives d'atmosphère, remplit des carnets, reprend le tout plus tard, en atelier, explique-t-il. Ni chevalet, ni châssis formaté chez Bonnard, les toiles en cours sont punaisées au mur, librement. Il retouche sans fin. Doute. Des assiettes lui servent de palette. Il revient sur le motif avec Angèle Lamotte, dans Verve en 1943, à propos de Cézanne, Monet et Renoir, Matisse, regardant aussi plus en arrière du côté de Titien et Vélasquez.

Sans jamais rien de déclaratif dans ses dires. Bonnard tel qu'en lui-même et tel qu'on l'imagine, d'une modestie et d'une simplicité à toute épreuve. Une sagesse créative, suivant ses propres voies à l'écart mais attentif aussi à tous les courants. Pris de cours par l'effervescence artistique au début du XXe siècle ? Nulle amertume décelable cependant quand il confie : « Mais l'évolution fut plus rapide que nous. La société accueillit le cubisme et le surréalisme avant que nous eussions atteint ce que nous avions considéré comme notre but. Nous nous trouvâmes suspendus dans l'espace en quelque sorte »… (p. 53);

« Comment un homme aussi tendre a-t-il pu naître dans un siècle aussi impitoyable que le nôtre. Et surtout se garder des atteintes de notre époque, au point d'être resté, en 1943, ce qu'il était à l'aube de sa jeunesse ? » (Marguerite Bouvier, Comoedia 23 janvier 1943, p. 58). Phrase qui à elle seule résume assez bien Pierre Bonnard « peintre de sentiments », comme lui-même se définit, dans un siècle où la peinture ne cherche plus rien de ce côté là. L'homme qui se profile à travers les entretiens accordés ici et là possède encore en lui quelque chose de juvénile et continue d'explorer un chemin solitaire on ne plus personnel, malgré son âge. Relié peut-être encore au temps de cette première peinture d'adolescence sortie tout droit d'un tiroir pour être tendue à Pierre Courthion, dans l'atelier de la rue Tourlaque, en 1933. Evoquant auprès de Raymond Cogniat, dans les Nouvelles Littéraires de juillet 1933, son attirance de jeunesse pour la vie d'artiste, plus que pour la peinture ; et encore, sa formation à l'Académie Julian, sa rencontre avec Denis, Sérusier, Ranson, Roussel et la révélation de Gauguin, avant celle de l'impressionnisme, dont ses amis et lui (les Nabis) eurent pour ambition de dépasser les effets naturalistes. Au Cannet enfin, en 1943, ce sont les souvenirs très vifs de l'exceptionnel lithographe et illustrateur de livres que ravive Marguerite Bouvier. Souvenirs de jeune dessinateur toujours, à « La Revue Blanche », de Renoir qu'il a connu. Ceux plus mélancoliques, des amis disparus ou le chagrin après la perte de Marthe en 1942, racontés par André Giverny.

A lire malgré tout.



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Ce n'est pas un livre sur la vie de Bonnard, mais plutôt sur sa peinture et ses ressentis ! La préface d'Alain Lévêque est tout simplement magnifique. Puis l'on trouve des entretiens avec Bonnard et surtout des lettres qu'il écrivait à des personnes disparues mais qu'il avait aimé. Elles étaient accompagnées de petits croquis très touchants. « …On appelle « natures mortes » les fruits posés sur une table, Bonnard exécute des « natures heureuses »… ». H.S
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
La guerre a supprimé, à Cannes, les voitures et il faut prendre l'autocar du Cannet, lequel ne se hâte point. Ensuite, il faut monter à pied, monter longtemps. La route à chaque tournant offre, au travers des mimosas, des vues étonnantes sur Cannes, Nice, l'Esterel.
- "Monsieur Bonnard ?"
C'est Suzanne Desprès, la grande actrice, qui interroge la bonne. [...]
Bonnard arrive : "La grande Suzanne!" s'écrie-t-il. Très ému, ils s'embrassent. Ils ne s'étaient pas revus depuis l'armistice. Il questionne Suzanne sur la mort de son mari.
- "Lugné-Poë a succombé à une maladie de coeur le jour de l'armistice." Suzanne a des larmes dans les yeux. Elle se contient. "Pas de tristesse inutile", disait-il. "Mais j'aime mieux qu'il n'ait pas vu l'époque que nous vivons. Il en aurait trop souffert."
- "Oui", murmure Bonnard, "ce n'est pas beau."
- "Et Vuillard" ? demande Suzanne.
- "Ce fut la même chose, dit le peintre, il est mort du coeur et de l'armistice, à La Baule. Il était chez des amis, très ébranlé par la situation générale. Il avait une telle sensibilité, il n'a pas pu supporter. Voulez-vous monter à l'atelier ?" (p. 62/63)

André Giverny : "Bonnard"
La France Libre, vol. 6, n° 31, 15 mai 1943
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« Les vertus cardinales du peintre » / Gaston Diehl
in Les problèmes de la peinture, sous la direction de G. Diehl, éditions Confluences, 1945

Quelle est l’attitude la plus profitable au peintre devant l’univers ?

De la modestie à l’orgueil le plus absolu, tant de voies semblent possibles.
Il y a une condition préalable, celle de l’humilité. Il faut être patient, savoir attendre, l’émotion surgit à son moment.
En certains lieux tout ce qui vous entoure vous plaît, en d’autres l’accueil paraît plus réservé, on a peine à y trouver une satisfaction. L’état d’enthousiasme ne se produit pas toujours.
On peut étudier la nature, l’analyser, la disséquer ou la récompenser, sans faire de la peinture.
Ce n’est pas une question d’application.
Le choc est instantané, souvent imprévu.

L’artiste serait-il dépourvu de toute certitude et condamné à ne se fier qu’à une sorte d’instinct supérieur ?

Tout peintre doit trouver dans ses éléments de travail des ressources, des rappels, parmi lesquels il peut puiser. Il n’a qu’à chercher jusqu’à ce qu’il trouve ceux qui sont conformes à son expression, à ses besoins actuels. Mais là encore la part de l’inattendu est grande.
Surtout intervient l’observation des matériaux qu’on emploie. Le talent n’est-il pas justement de savoir se servir au mieux de ces matériaux.
Chez l’artiste il se forme comme un idéal momentané. C’est ce qui doit le guider pendant son travail, c’est ce qu’il lui faudra faire sortir.

Dans cette suite de correspondances immédiates, tout est donc dans votre œuvre fonction de votre sincérité, c’est-à-dire de la mesure dans laquelle vous excluez l’artifice ?

Il y a une formule qui convient parfaitement à la peinture : Beaucoup de petits mensonges pour une grande vérité.
Puisque tous les peintres entreprennent les mêmes choses, se heurtent aux mêmes difficultés, utilisent les mêmes moyens, c’est que les différences proviennent de l’intérieur.
Dans ce subtil équilibre entre mensonge et vérité, tout est relatif, tout est une question de plus ou de moins. L’extrême sincérité risque aussi bien d’apparaître ridicule ou insoutenable.
L’art est connaissance, mais ne faut-il pas sans cesse pour l’artiste oublier ce qu’il a appris ?
Si on oublie tout, il ne reste plus que soi et cela n’est pas suffisant. Il est toujours nécessaire d’avoir un sujet, si minime soit-il, de garder un pied sur terre.
Quand on couvre une surface avec des couleurs, il faut pouvoir renouveler indéfiniment son jeu, trouver sans cesse de nouvelles combinaisons de formes et de couleurs qui répondent aux exigences de l’émotion.
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« Tandis que nous descendons l'escalier de pierre, tout étroit qui mène à la grille, il se ravise et s'engage dans une allée pour me cueillir un bouquet. Un chrysanthème, quelques anémones, une grappe de roses gonflées des gouttes de la pluie matinale. Il se penche avec tendresse sur elles et les cueille avec amour. En trois minutes il a composé une gerbe qui évoque sa palette : rose, violet, jaune citron. Le feuillage mouillé est d'un vert acide. C'est un Bonnard vivant que je serre dans mes doigts » .
(Marguerite Bouvier, Comoedia n°82, 23 janvier 1943, p. 60)
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« La peinture française d’aujourd’hui »
Comœdia, n° 93, 10 avril 1943

Depuis vingt-cinq ans, Pierre Bonnard ne cesse de nous émerveiller en ne cessant de se renouveler. Mais il ne se contente pas de nous éblouir. Il nous donne en même temps une leçon de bonheur, de bonheur simple et vrai. C’est qu’en ses tableaux il nous raconte avec tendresse de belles histoires de paysages et de personnages. Ce ne sont pas des histoires qu’il répète. Ce sont des histoires qu’il invente et qui sont plus merveilleuses que des contes de fées parce qu’elles sont notre histoire…
Du Cannet, où il réside depuis plusieurs années, Pierre Bonnard nous a adressé les lignes ci-après en réponse à une lettre où nous l’interrogions sur la peinture française d’aujourd’hui :

J’ai beaucoup tardé à vous répondre, car je ne savais quoi vous dire sur l’actuelle peinture française. Je vis loin de Paris et connais peu de jeunes peintres. Je vois cependant que les différentes façons d’aborder la peinture se sont éclaircies dans l’esprit des artistes. La peinture décorative a ses moyens, ses matériaux propres. C’est le grand courant actuel qui rejoint l’artisanat. Beaucoup de jeunes s’occupent de tapisseries, de vitraux, d’affiches, de décors de théâtre ou d’appartement.
La peinture de sentiment, autre courant, est moins définie dans ses moyens et n’ose plus beaucoup se rattacher à la tradition clair-obscuriste et analytique. Le peintre de sentiment produit un monde clos, le tableau, qui est un peu comme un livre et transporte son intérêt partout où il est placé. Cet artiste, on l’imagine passant beaucoup de temps à ne rien faire qu’à regarder autour de lui et en lui. C’est un oiseau rare.
L’amateur a aussi un rôle très important pour l’avenir de la peinture. Il doit faire des commandes s’il veut mériter son titre d’amateur.
En somme que chacun reconnaisse à quoi il est bon et tout ira bien.
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L'oeuvre d'art : un arrêt du temps. (p. 19)
Pierre Bonnard
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Videos de Pierre Bonnard (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Pierre Bonnard
Véronique Serano, conservateur au musée Bonnard du Cannet, montre comment Pierre Bonnard s’est emparé momentanément de la photographie.
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