Linda Boström Knausgaard est née en octobre. Octobre mois d'automne, une saison plus sombre, la saison de la mélancolie…Octobre comme la révolution bolchévique dans laquelle l'auteure, petite fille, s'imagine pionnière…Mélancolie et force singulière, tel sont les traits distinctifs de cette femme que les traitements à base d'électrochocs transforment et rendent invisible.
"Pendant qu'on vous prenait la tension, l'infirmière vous fixait les électrodes sur la poitrine et sur le front. L'interne vous posait le masque à oxygène, l'anesthésiste vous annonçait que vous alliez bientôt vous endormir, et un liquide froid se répandait dans votre corps à travers le cathéter. Comme si vous buviez l'obscurité".
Journal de bord de la folie, journal intime en milieu psychiatrique, confessions d'une femme soumise aux électrochocs, notes pour tenter de conserver les souvenirs et lutter contre l'amnésie, réquisitoire sur les dérives de la psychiatrie moderne, tel est ce livre de la suédoise Linda Boström Knausgaard, l'épouse, du moins l'ex-épouse du grand auteur norvégien
Karl Ove Knausgaard. Ce dernier, dans ses livres, évoque la bipolarité de sa femme. Je n'ai lu, pour le moment que deux volets du cycle des saisons dans lequel il raconte la vie comme elle vient à sa petite dernière encore nourrisson, je ne peux m'empêcher de penser que la maladie de sa femme explique ce récit si intime afin de protéger, de préserver la petite qui n'aura pas connu ses deux parents ensemble, la folie ayant eu raison du couple en faisant voler en éclat la structure familiale. Il me faut lire son cycle autobiographique en 6 volumes, "Mon combat", à l'origine de son immense succès (il est devenu, suite à ce cycle, l'auteur le plus populaire de Norvège) qui mentionne également en effet la bipolarité de Linda, en plus de toute sa vie, son intimité, notamment ses excès avec l'alcool et son infidélité. Autofiction qui a anéanti Linda, selon ses propres dires. En attendant, j'ai été curieuse de lire le témoignage de cette femme fragile, hospitalisée de force, loin de ses quatre enfants, qui tente, pour rester l'écrivaine qu'elle est, de maintenir à flot ses souvenirs sauvagement fauchés par le traitement à base d'électrochocs.
Nous suivons le quotidien poignant de Linda à l'hôpital. Au milieu des promenades, des discussions avec quelques soignants qui prennent le temps, de l'inhumanité des médecins qui procèdent aux séances d'électrochocs aux patients, littéralement à la chaine (d'où le nom d'usine utilisé par l'écrivaine pour parler de lieu, dans l'hôpital, où on la conduit inlassablement contre sa volonté), certains souvenirs surgissent par à-coups. Épisodes de son enfance, de son adolescence, son premier contact avec la drogue qui, selon elle, a été déterminante pour l'apparition des premières angoisses, sa rencontre avec
Karl Ove Knausgaard, ses grossesses, ses enfants, la tentative de suicide…les pièces du puzzle de sa vie s'emboitent peu à peu au rythme des séances d'électrochocs. Linda s'adresse à Karl Ove. Ce tutoiement rend le récit d'autant plus poignant.
J'ai été touchée par les confessions de l'auteure sur sa maladie, ses regrets, ses hontes, ses efforts pour tenter de revenir, en vain, à une forme de normalité.
« Une résolution doit pouvoir survivre à deux états d'âme différents. C'est un vieux dicton juif, sans doute le proverbe qui m'a le plus aidée dans la vie. Il suffisait d'attendre la période sombre du mois pour voir la moitié de mes brillants projets se volatiliser. Ceux qui étaient viables, j'ai fini par les reconnaitre à l'avance. En même temps, il ne faut pas être lâche. Agir dans l'urgence est aussi un talent ».
Le traitement à l'électricité, les douleurs qu'il engendre, l'apathie dans laquelle il la plonge, son efficacité médicalement discutable, sont bien expliqués, voire documentés. Nous apprenons ainsi que ce traitement est surtout prisé dans les pays nordiques et anglo-saxons, alors qu'il est interdit dans un pays comme l'Italie. « Cela tient sans doute à des conceptions fondamentalement différentes de l'être humain. de sa dignité. de son âme. de ses souvenirs ». La Suède est le pays au monde qui pratique le plus grand nombre d'électrochocs par tête d'habitant, pays de l'écrivaine.
« Je lui ai dit que j'étais écrivain, que j'avais besoin de mes souvenirs.
Il a fini par lever les yeux. Vous allez les récupérer, a-t-il répondu. On les récupère toujours. Tôt ou tard. Peut-être pas tous. Sûrement pas tous. Mais il est difficile, sinon impossible de trouver un traitement sans effets secondaires. Vous le comprenez, n'est-ce pas ? Et puis, vous n'avez qu'à inventer. C'est bien ce que font les écrivains, non ? ».
Les angoisses de Linda m'ont particulièrement marquée. Angoisse de la perte des souvenirs, angoisse de l'impossibilité de créer et d'écrire, angoisse de ne plus savoir faire avec ses enfants, angoisse de l'image qu'elle va leur laisser. Angoisse de devenir une femme de pierre. Quand le traitement des angoisses rajoute de l'angoisse à l'angoisse…poignant et déstabilisant !