Un court essai dans lequel je n'ai pas appris grand-chose au sujet de Céline (ayant déjà lu une biographie sur l'auteur). Ce qui m'a intéressé gravite autour : il s'agit de la théorie de l'auteur selon laquelle Céline était un provocateur, déguisé en libertaire, conscient de ce qu'il faisait, du « pourquoi » et dont le mobile était l'attrait de l'argent et le but le maintien du système en son état (donc de le protéger contre la révolution). L'auteur dépeint donc un Céline absolument conscient de son entreprise, déterminé dès le départ, menteur aussi pour cultiver son image, et capable de créer un style permettant de préparer et conditionner son lecteur. J'ignore ce qu'il en est au fond. Mais la fin de l'ouvrage dépasse le cas de l'auteur et pose l'hypothèse que la Seconde Guerre mondiale était le fruit d'un besoin des grandes multinationales d'étouffer dans l'oeuf un risque de révolution en Europe et particulièrement du peuple allemand. L'idée que plusieurs conflits raciaux ou religieux depuis un siècle pourraient trouver leur source dans une nécessité, pour ces puissances du capitalisme, de maintenir un calme social, en créant des diversions quitte à décimer des populations. Intéressant, bien qu'il soit difficile de faire la part des choses, aussi bien au sujet de Céline que de l'origine « réelle » de la Seconde Guerre mondiale.
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L'aventure nazie avait permis de dénouer magistralement une crise gravissime, mais elle ne pouvait être la réponse habituelle à la question sociale. C'est la concurrence réelle pour la conquête des marchés, entre les deux modes de gestion du capital, et leur tacite complicité en matière de maintien de l'ordre, qui a permis de résoudre au mieux ce problème. Dans chacun des deux camps, toute opposition s'est trouvée détournée vers le mode de gestion de l'autre camp : salariés du bloc stalinien englués dans l'admiration béate du "libéralisme occidental" et ouvriers des banlieues rouges européennes encadrés par les staliniens.
Les historiens ont appelé, en un brillant raccourci, "guerre froide" ce contrôle de la guerre sociale par la tenaille de la machine froide et ainsi s'est achevée par une victoire complète et durable cette contre-révolution européenne qui avait commencé en Allemagne dans les derniers combats de la première guerre mondiale. (page 86)
On tenait donc la clef des malheurs publics et des injustices sociales, des guerres et des révolutions, des crimes d'État et des mensonges journalistiques. Point n'était besoin d'expliquer ces malheurs par l'économie ou la lutte des classes, par la dialectique historique ou par la décadence des mœurs, par la trahison des mauvais dirigeants ou par la rusticité des stupides dirigés. Bien au contraire, ces supposées causes résultaient du complot initiale et quiconque prétendait en disputer, ou seulement en rire, dévoilait par là même, sa connivence objective, et souvent intéressée, avec les chefs de la conspiration.
Ainsi l'ancienne organisation sociale des maîtres et des esclaves a fait place maintenant à une moderne société universelle d'esclaves sans maîtres, de domestiques fortement hiérarchisés en fonction précisément de leur servilité, et dont le sommet est occupé par des larbins capables d'opérer comme des machines, grassement entretenus et bien huilés, parfaitement cyniques, par des sous-hommes que le système fabrique à son usage.
Aucune innocence non plus dans la construction de la phrase célinienne.
Suggestions émotionnelles et associations d'idées ne sont ni hasardeuses ni fortuites. Elles relèvent de mécanismes bien connus des concepteurs publicitaires et des prédicateurs. Et des conclusions s'imposent avec toute la force de l'évidence dans le silence du point de suspension.
Le rapport familier entre la conscience et l'évolution du monde - résultant de leur égale dépendance - passe aisément pour l'expression légitime de la liberté elle-même; jusqu'à ce que la forme unique, planétaire, rigoureuse et finalement peu réjouissante de tout ceci fasse soupçonner une affaire bien étrangère à la liberté.