— Savez-vous que ce peut être la mort…
— Je le sais… Mais je sais aussi que tout dépend de toi… et que Simon qui te servira dans l’œuvre te fera sauter la cervelle si tu n’as pas réussi…
Le vieux Rig se contenta de hausser les épaules.
— Mon lieutenant, je ne travaille pas pour rien… Vous m’offrez quatre mille francs… mettez-en cinq… et comme c’est payable par vous, vous êtes bien certain que… je réussirai…
— Cinq mille francs, soit !… tu acceptes ?…
— Je suis à vos ordres, maître.
— Tu as encore de ce poison ?
— Toujours… c’est du curare… Vous allez voir.
Et, en disant ces mots, le vieux matelot alla chercher dans la niche où il couchait un pot de terre cuite duquel il retira un morceau d’une matière noire, à cassure brillante, présentant assez bien l’aspect de l’extrait de jus de réglisse noir… qu’il montra à Pierre ; celui-ci le prit avec précaution.
— Oh ! ce n’est pas dangereux, fit le vieux matelot, vous pourriez en manger. Pierre se contenta de hocher la tête. Le vieux Rig était heureux de parler de sa science, ce qu’il appelait la médecine secrète.
— Ça, voyez-vous, eh bien, c’est absolument introuvable en France, en Europe… J’ai eu ça quand j’étais avec les sauvages. C’est à la suite du pillage d’une tribu… Ceci vient des Indiens de Messaya, une des tribus les plus féroces, un tas de mauvais coquins qui ne vivent qu’au milieu des forêts, et qui ne font guère que ce poison…
— Tu ne sais pas ce qu’est la vie, toi ! ma pure et chaste Iza… Après l’amour saint de la mère, tu cherches l’amour honnête de l’époux… Tu ne sais pas qu’il y a dans la vie deux sortes d’amour, l’un léger, fou, bestial…, l’amour que tu dépeignais l’autre soir, dans ton naïf langage, en contant qu’au pays on disait qu’à Paris on n’avait pas le temps de s’aimer ; cet amour-là n’occupe que le cerveau, il s’éteint sans laisser de trace… Mais il est un autre amour que j’ignorais, celui qui m’étreint aujourd’hui, qui s’appuie à la fois sur l’affection, sur l’estime, qui a pour avenir la famille !… Oh ! qu’il est fort et puissant, qu’il est pur, cet amour ! Et combien moi, l’abandonné, j’en suis rempli aujourd’hui ! moi qui vivais seul, égoïste, je vis pour quelqu’un ! j’aime quelqu’un ! J’aime ! oh ! mais comme c’est différent d’aimer ainsi !… Ô ma sainte et pure femme, je t’adore ! je t’aime et je me sens meilleur près de toi… je t’aime !
— Ah çà ! potence à l’ail, est-ce que ça souffle là-haut ? est-ce qu’il a un grain ? Je sais qu’il n’est pas long à prendre son parti des choses… Mais c’est pas parce que madame ne compte plus… qu’il se retourne comme ça… Est-ce que cette gourgandine de là-bas…, cette vivandière turque… lui a tapé le cerveau ?…