C'est avec
Les femmes, que j'ai découvert T.C.Boyle. Ce roman, comme
Riven Rock, s'inspire de la vie d'américains célèbres des années 30. L'auteur déploie un talent époustouflant pour retracer avec force détails la trajectoire peu banale de ces personnes. Il s'agit de l'architecte
Frank Lloyd Wright dans le premier ouvrage paru en 2009 et de Stanley McCormick dans le présent, publié en 1998. Il appartient à la richissime famille McCormick. Son père est l' inventeur de la moissonneuse batteuse. La société éponyme a été crée en 1879. Elle existait encore jusqu'en 1985, date à laquelle elle a fait l'objet d'un rachat. Aujourd'hui le groupe italien Argo est propriétaire de la marque McCormick.
Au coeur de l'histoire, le personnage de Stanley, dément, impressionne par ses accès de violence redoutables. TC Boyle en fait un portrait pathétique et plutôt touchant. de nombreux médecins vont se succéder à
Riven Rock, où il est interné pendant 40 ans. Dans la liste figure le Dr Gilbert van Tassel Hamilton (1877-1943). Il est connu pour ses études de Psychopathologie et un rapport sur l'activité sexuelle des singes.TC Boyle en brosse un portrait plutôt fantasque. A
Riven Rock, il semble plus attaché à son observation des singes qu'au suivi de son patient.
Riven Rock est en effet le théâtre de ses expériences. Pour comble d'ironie, c'est Stanley lui-même qui a dessiné les plans de la maison, initialement destinée à accueillir sa soeur démente.
On peut mentionner de façon anecdotique que la propriété de
Riven Rock, en Californie, près de Santa Barbara, a été rachetée par le prince Harry et son épouse Meghan Markle. Sans craindre de sombre augure, ils y ont fait construire une maison derrière une «arche de verdure», qui abrita peut être l'enclos des singes.
Au début du récit, l'épisode épique du voyage en train qui conduit Stanley à
Riven Rock établit la gravité de son état. Stanley échappe à la vigilance de ses infirmiers. Il agresse sauvagement une jeune fille au wagon restaurant.
TC Boyle procède ensuite par retours en arrière sur la vie de Stanley. Il retrace ainsi son histoire et met en avant ses fragilités. Enfant frêle, il grandit entre une soeur démente et une mère castratrice. Il est étouffé par une famille dont il ne parvient pas à s'émanciper. le freudien docteur
Kempf réussit bien au moyen de la psychanalyse encore mal connue à améliorer l'état de son patient, alors qu'il a subit déjà 20 années d'internement, mais ses efforts sont ruinés par l'incompréhension de la famille.
Au delà de l'histoire de Stanley, TC Boyle décrit une société régie par des rapports de classe clivants. le récit est très documenté sur les évènements sociaux et historiques de l'époque. le personnel de
Riven Rock est issu d'une émigration aux origines variées. Une cohabitation apparemment calme laisse parfois éclater des tensions. Un machisme général réduit
les femmes à une soumission acceptée. Les hommes, O Kane, l'infirmier de Stanley, en particulier, sont en proie à des pulsions sexuelles incontrôlables.
Pourtant, c'est une femme qui règne sur ce microcosme. Stanley est marié, et Katherine, «the ice queen», son épouse, aimante, l'accompagne et organise les choses du mieux qu'elle peut. Elle réussit à exercer une autorité, même si elle doit se soumettre aux injonctions des médecins. Par ailleurs, elle est engagée dans le mouvement des suffragettes, en partie par dépit, pour se détourner d'une vie conjugale impossible, mais aussi par conviction.
Très dense, très vivant, le roman de TC Boyle explore avec profondeur les relations humaines qui animent ce petit monde. Et c'est entre Stanley et son infirmier O'Kane que se tisse le lien le plus vrai, semble-t-il.