Théâtre complet, tome 3

Pélagie Vlassova
- J'ai presque honte de donner à mon fils une soupe pareille. Mais je ne peux pas y mettre davantage de graisse, même pas une demi-cuillerée.
La semaine dernière, son salaire a été diminué d'un Kopek, et maintenant j'ai beau tout faire, je ne peux plus m'y retrouver.
Je sais qu'il a besoin de mieux manger : il fait de grandes journées et son travail est dur.
C'est malheureux de n'avoir qu'un fils et de pas pouvoir lui donner une meilleure soupe ; il est jeune, encore en pleine croissance. Il ne ressemble pas du tout à son père.
Il est toujours la tête dans un livre, et il ne trouve jamais la nourriture assez bonne. Et maintenant la soupe est devenue encore plus mauvaise. Et lui, de plus en plus mécontent...
(Elle va poser le bidon de soupe devant son fils et revient. Elle voit son fils qui, sans quitter son livre, soulève le couvercle, renifle la soupe, remet le couvercle et repusse le bidon.)....
(lever de rideau de "La mère" paru au éditions de "L'Arche" en 1974)

La grande parade allemande
Cinq années s'écoulèrent. Puis on nous annonça :
Celui qui se dit l'envoyé de Dieu est prêt
Pour sa guerre - il a forgé tanks, canons, croiseurs,
Et des avions dans ses hangars en si grand nombre
Qu'il n'a qu'un geste à faire et le ciel devient sombre.
Nous avons décidé alors d'examiner
Ce peuple qu'il allait amener sous son drapeau,
Hommes, femmes, où ils en sont et ce qu'ils pensent.
Nous avons passé la grande revue.

Et les voici là-bas qui viennent,
Foule confuse, hétérogène,
Pâle. Et les drapeaux rouge sang
Qu'on voit à leur tête marcher,
Ont des croix avec des crochets
Pour pendre qui n'a pas d'argent.

D'un pas cadencé d'automates
Ou bien marchant à quatre pattes,
Ils partent pour sa grande guerre.
On n'entend ni gémissement,
Ni demande et ni grognement,
Sous la musique militaire.

Ils vont avec enfants et mères,
Ils voient mal cinq autres hivers
Après les cinq qu'ils ont passés.
Et traînant vieillards et malades,
Ils nous présentent la parade
De son armée au grand complet.....
(extrait de "Grand-peur et misère du III° Reich" - 24 scènes)

Les acteurs :
Nous allons vous rapporter
L'histoire d'un voyage. Un exploiteur
Et deux exploités l'entreprennent.
Observez bien le comportement de ces gens :
Trouvez le surprenant, même s'il n'est pas singulier
Inexplicable, même s'il est ordinaire
Incompréhensible, même s'il est la règle.
Même le plus petit acte, simple en apparence
Observez le avec méfiance ! Surtout de ce qui est l'usage
Examinez la nécessité !
Nous vous en prions instamment :
Ne trouvez pas naturel ce qui se produit sans cesse !
Qu'en une telle époque de confusion sanglante
De désordre institué, d'arbitraire planifié
D'humanité déshumanisée,
Rien ne soit dit naturel, afin que rien
Ne passe pour immuable.
(ouverture de "L'exception et la règle" pièce didactique)

Le déploiement
La ville des Horaces et la ville des Curiaces. Les villes s'adressent chacune à leurs généraux.
Le choeur des Curiaces :
Pourquoi nous entredéchirer, Curiaces ?
De nouveau
Un hiver a passé et toujours
Fait rage entre nos murs la lutte néfaste
Pour la terre et les mines.
C'est pourquoi
Nous avons décidé de prendre les armes et
En trois corps d'armée
De pénétrer en force dans le pays des Horaces
Pour les soumettre complètement et
Nous approprier toutes les richesses de leur sol et leur sous-sol.

Ils crient à l'adresse des Horaces :
Soumettez vous !.....
(extrait de "Les Horaces et les Curiaces" - pièce pour les écoles)

Ecrit de 1929 à 1930. Présentation dans les "Essais, cahier 10" : "L'exception et la règle", pièce brève pour les écoles, est le vingt-quatrième essai".
Deux lignes de la chanson "L'homme faible meurt, l'homme fort se bat" sont des citations légèrement modifiées de deux poèmes de Rudyard Kipling.
C'est une nouvelle traduction qui est publiée ici, la précédente ayant paru pour la première fois en 1955 dans le tome 1 du "Théâtre complet" en douze tomes.
(Remarques sur "L'exception et la règle" paru aux éditions de "L'Arche" en 1974)