FATA MORGANA
Ce matin la fille de la montagne tient sur ses genoux
un accordéon de chauves-souris blanches
Un jour un nouveau jour cela me fait penser à un
objet que je garde
Alignés en transparence dans un cadre des tubes en
verre de toutes les couleurs de philtres de liqueurs
Qu'avant de me séduire il ait dû répondre peu importe
à quelque nécessité de représentation commerciale
Pour moi nulle œuvre d'art ne vaut ce petit carré fait
de l'herbe diaprée à perte de vue de la vie
Un jour un nouvel amour et je plains ceux pour qui
l'amour perd à ne pas changer de visage
Comme si de l'étang sans lumière la carpe qui me tend
à l'éveil une boucle de tes cheveux
N'avait plus de cent ans et ne me taisait tout ce que
je dois pour rester moi-même ignorer
Un nouveau jour est-ce bien près de toi que j'ai dormi
J'ai donc dormi j'ai donc passé les gants de mousse
Dans l'angle je commence à voir briller la mauvaise
commode qui s'appelle hier
Il y a de ces meubles embarrassants dont le véritable office est de cacher des issues
De l'autre côté qui sait la barque aimantée nous pourrions partir ensemble
A la rencontre de l'arbre sous l'écorce duquel il est dit
Ce qu'à nous seuls nous sommes l'un à l'autre dans la grande algèbre
Il y a de ces meubles plus lourds que s'ils étaient emplis de sable au fond de la mer
Contre eux il faudrait des mots-leviers
De ces mots échappés d'anciennes chansons qui vont au superbe paysage de grues
Très tard dans les ports parcourus en zigzag de bouquets de fièvre
Écoute
Je vois le lutin
Que d'un ongle tu mets en liberté
En ouvrant un paquet de cigarettes
Le héraut-mouche qui jette le sel de la mode
Si zélé à faire croire que tout ne doit pas être de toujours
Celui qui exulte à faire dire
Allô je n'entends plus
Comme c'est joli qu'est-ce que ça rappelle
Si j'étais une ville dis-tu
Tu serais
Ninive sur le
Tigre
Si j'étais un instrument de travail
Plût au ciel noir
tu serais la canne des cueilleurs dans les verreries
Si j'étais un symbole
Tu serais une fougère dans une
nasse
Et si j'avais un fardeau à porter
Ce serait une boule
faite de têtes d'hermines qui crient
Si je devais fuir la nuit sur une route
Ce serait le
sillage du géranium
Si je pouvais voir derrière moi sans me retourner
Ce serait l'orgueil de la torpille
Comme c'est joli
En un rien de temps
Il faut convenir qu'on a vu s'évanouir dans un rêve
Les somptueuses robes en tulle pailleté des .arroseuses
municipales
Et même plier bagage sous le regard glacial de l'amiral
Coligny
Le dernier vendeur de papier d'Arménie
De nos jours songe qu'une expédition se forme pour
la capture de l'oiseau quetzal dont on ne possède
plus en vie oui en vie que quatre exemplaires
Qu'on a vu tourner à blanc la roulette des marchands
de plaisir
Qu'est-ce que ça rappelle
Dans les hôtels à plantes vertes c'est l'heure où les charnières des portes sans nombre
D'un coup d'archet s'apprêtent à séparer comme les oiseaux les chaussures les mieux accordées
Sur les paliers mordorés dans le moule à gaufre fracassé où se cristallise le bismuth
A la lumière des châteaux vitrifiés du mont
Knock-Farril dans le comté de
Ross
Un jour un nouveau jour cela me fait penser à un objet que garde mon ami
Wolfgang
Paalen
D'une corde déjà grise tous les modèles de nœuds réunis sur une planchette
Je ne sais pourquoi il déborde tant le souci didactique
qui a présidé à sa construction sans doute pour une
école de marins
Bien que l'ingéniosité de l'homme donne ici sa fleur
que nimbe la nuée des petits singes aux yeux
pensifs
En vérité aucune page des livres même virant au
pain bis n'atteint à cette vertu conjuratoire rien
ne m'est si propice
Un nouvel amour et que d'autres tant pis se bornent
à adorer
La bête aux écailles de roses aux flancs creux dont
j'ai trompé depuis longtemps la vigilance
Je commence à voir autour de moi dans la grotte
Le vent lucide m'apporte le parfum perdu de l'existence
Quitte enfin de ses limites
A cette profondeur je n'entends plus sonner que le
patin
Dont parfois l'éclair livre toute une perspective
d'armoires à glace écroulées avec leur linge
Parce que tu tiens
Dans mon être la place du diamant serti dans une vitre
Qui me détaillerait avec minutie le gréement des
astres
Deux mains qui se cherchent c'est assez pour le toit
de demain
Deux mains transparentes la tienne le murex dont
les anciens ont tiré mon sang
Mais voici que la nappe ailée
S'approche encore léchée de la flamme des grands vins
Elle comble les arceaux d'air boit d'un trait les lacunes des feuilles
Et joue à se faire prendre en écharpe par l'aqueduc
Qui roule des pensées sauvages
Les bulles qui montent à la surface du café
Après le sucre le charmant usage populaire qui veut
que les prélève la cuiller
Ce sont autant de baisers égarés
Avant qu'elles ne courent s'anéantir contre les bords 0 tourbillon plus savant que la rose
Tourbillon qui emporte l'esprit qui me regagne à
l'illusion enfantine
Que tout est là pour quelque chose qui me concerne
Qu'est-ce qui est écrit
Il y a ce qui est écrit sur nous et ce que nous écrivons
Où est la grille qui montrerait que si son tracé extérieur
Cesse d'être juxtaposable à son tracé intérieur
La main passe
Plus à portée de l'homme il est d'autres coïncidences
Véritables fanaux dans la nuit du sens
C'était plus qu'improbable c'est donc exprès
Mais les gens sont si bien en train de se noyer
Que ne leur demandez pas de saisir la perche
Le lit fonce sur ses rails de miel bleu
Libérant en transparence les animaux de la sculpture
médiévale
Il incline prêt à verser au ras des talus de digitales
Et s'éclaire par intermittence d'yeux d'oiseaux de
proie
Chargés de tout ce qui émane du gigantesque casque emplumé d'Otrante
Le lit fonce sur ses rails de miel bleu
Il lutte de vitesse avec les ciels changeants
Qui conviennent toujours ascension des piques de
clôture des parcs
Et boucanage de plus belle succédant au lever de
danseuses sur le comptoir
Le lit brûle les signaux il ne fait qu'un de tous les
bocaux de poissons rouges
Il lutte de vitesse avec les ciels changeants
Rien de commun tu sais avec le petit chemin de fer
Qui se love à
Cordoba du
Mexique pour que nous ne
nous lassions pas de découvrir
Les gardénias qui embaument dans de jeunes pousses
de palmier évidées
Ou ailleurs pour nous permettre de choisir
Du marchepied dans les lots d'opales et de turquoises
brutes
Non le lit à folles aiguillées ne se borne pas à dérouler
la soie des lieux et des jours incomparables
Il est le métier sur lequel se croisent les cycles et
d'où sourd ce qu'on pressent sous le nom de musique
des sphères
Le lit brûle les signaux il ne fait qu'un de tous les
bocaux de poissons rouges
Et quand il va pour fouiller en sifflant le tunnel charnel
Les murs s'écartent la vieille poudre d'or à n'y plus
voir se lève des registres d'état-civil
Enfin tout est repris par le mouvement de la mer
Non le lit à folles aiguillées ne se borne pas à dérouler
la soie des lieux et des jours incomparables
C'est la pièce sans entractes le rideau levé une fois pour toutes sur la cascade
Dis-moi
Comment se défendre en voyage de
Parrière-pensée
pernicieuse
Que l'on ne se rend pas où l'on voudrait
La petite place qui fuit entourée d'arbres qui diffèrent
imperceptiblement de tous les autres
Existe pour que nous la traversions sous tel angle
dans la vraie vie
Le ruisseau en cette boucle même comme en nulle
autre de tous les ruisseaux
Est maître d'un secret qu'il ne peut faire nôtre à la volée
Derrière la fenêtre celle-ci faiblement lumineuse entre bien d'autres plus ou moins lumineuses
Ce qui se passe
Est de toute importance pour nous peut-être faudrait-il revenir
Avoir le courage de sonner
Qui dit qu'on ne nous accueillerait pas à bras ouverts
Mais rien n'est vérifié tous ont peur nous-mêmes
Avons presque aussi peur
Et pourtant je suis sûr qu'au fond du bois fermé à clé qui tourne en ce moment contre la vitre
S'ouvre la seule clairière
Est-ce là l'amour cette promesse qui nous dépasse
Ce billet d'aller et retour éternel établi sur le modèle de la phalène chinée
Est-ce l'amour ces doigts qui pressent la cosse du brouillard
Pour qu'en jaillissent les villes inconnues aux portes
hélas éblouissantes
L'amour ces fils télégraphiques qui font de la lumière
insatiable un brillant sans cesse qui se rouvre
De la taille même de notre compartiment de la nuit
Tu viens à moi de plus loin que l'ombre je ne dis
pas dans l'espace des séquoias millénaires
Dans ta voix se font la courte échelle des trilles
d'oiseaux perdus
Beaux dés pipés
Bonheur et malheur
Au bonneteau tous ces yeux écarquillés autour
d'un parapluie ouvert
Quelle revanche le santon-puce de la bohémienne
Ma main se referme sur elle
Si j'échappais à mon destin
Il faut chasser le vieil aveugle des lichens du mur
d'église
Détruire jusqu'au dernier les horribles petits folios
déteints jaunes verts bleus roses
Ornés d'une fleur variable et exsangue
Qu'il vous invite à détacher de sa poitrine
Un à un contre quelques sous
Mais toujours force reste
Au langage ancien les simples la marmite
Une chevelure qui vient au feu
Et quoi qu'on fasse jamais happé au cœur de toute
lumière
Le drapeau des pirates
Un homme grand engagé sur un chemin périlleux
Il ne s'est pas contenté de passer sous un bleu d'ouvrier les brassards à pointes acérées d'un criminel célèbre
A sa droite le lion dans sa main
Voursin
Se dirige vers l'est
Où déjà le tétras gonfle de vapeur et de bruit sourd les airelles
Voilà qu'il tente de franchir le torrent les pierres qui
sont des lueurs d'épaules de femmes au théâtre
Pivotent en
A
Benjamin
Péret
Au cœur du territoire indien d'Oklahoma
Un homme assis
Dont l'œil est comme un chat qui tourne autour d'un pot de chiendent
Un homme cerné
Et par sa fenêtre
Le concile des divinités trompeuses inflexibles
Qui se lèvent chaque matin en plus grand nombre du
brouillard
Fées fâchées
Vierges à' l'espagnole inscrites dans un étroit triangle
isocèle
Comètes fixes dont le vent décolore les cheveux
Le pétrole comme les cheveux d'Éléonore
Bouillonne au-dessus des continents
Et dans sa voix transparente
A perte de vue il y a des armées qui s'observent
Il y a des chants qui voyagent sous l'aile d'une lampe
Il y a aussi l'espoir d'aller si vite
Que dans tes yeux
Se mêlent au fil de la vitre les feuillages et les lumières
Au carrefour des routes nomades
Un homme
Autour de qui on a tracé un cercle
Comme autour d'une poule
Enseveli vivant dans le reflet des nappes bleues
Empilées à l'infini dans son armoire
Un homme à la tête cousue
Dans les bas du soleil couchant
Et dont les mains sont des poissons-coffres
Ce pays ressemble à une immense boîte de nuit
Avec ses femmes venues du bout du monde
Dont les épaules roulent les galets de toutes les mers
Les agences américaines n'ont pas oublié de pourvoir
à ces chefs indiens
Sur les terres desquels on a foré les puits
Et qui ne restent libres de se déplacer
Que dans les limites imposées par le traité de guerre
La richesse inutile
Les mille paupières de l'eau qui dort
Le curateur passe chaque mois
Il pose son gibus sur le lit recouvert d'un voile de flèches
Et de sa valise de phoque
Se répandent les derniers catalogues des manufactures
Ailés de la main qui les ouvrait et les fermait quand nous étions enfants
Une fois surtout une fois
C'était un catalogue d'automobiles
Présentant la voiture de mariée
Au speeder qui s'étend sur une dizaine de mètres
Pour la traîne
La voiture de grand peintre
Taillée dans un prisme
La voiture de gouverneur
Pareille à un oursin dont chaque épine est un lance-flammes
II y avait surtout
Une voiture noire rapide
Couronnée d'aigles de nacre
Et creusée sur toutes ses facettes de rinceaux de
cheminées de salon
Comme par les vagues
Un carrosse ne pouvant être mu que par l'éclair
Comme celui dans lequel erre les yeux fermés la
princesse
Acanthe
Une brouette géante toute en limaces grises
Et en langues de feu comme celle qui apparaît aux
heures fatales dans le jardin de la tour
Saint-Jacques
Un poisson rapide pris dans une algue et multipliant
les coups de queue
Une grande voiture d'apparat et de deuil
Pour la dernière promenade d'un saint empereur à
venir
De fantaisie
Qui démoderait la vie entière
Le doigt a désigné sans hésitation l'image glacée
Et depuis lors
L'homme à la crête de triton
A son volant de perles
Chaque soir vient border le lit de la déesse du mais
Je garde pour l'histoire poétique
Le nom de ce chef dépossédé qui est un peu le nôtre
De cet homme seul engagé dans le grand circuit
De cet homme superbement rouillé dans une machine
neuve
Qui met le vent en berne
Il s'appelle
Il porte le nom flamboyant de
Cours-les toutes
A la vie à la mort cours à la fois les deux lièvres
Cours ta chance qui est une volée de cloches de fête et
d'alarme
Cours les créatures de tes rêves qui défaillent rouées à
leurs jupons blancs
Cours la bague sans doigt
Cours la tête de l'avalanche
29 octobre 1938.
AU VENT
Jersey
Guernesey par temps sombre et illustre
Restituent au flot deux coupes débordant de mélodie
L'une dont le nom est sur toutes les lèvres
L'autre qui n'a été en rien profanée
Et celle-ci découvre un coin de tableau anodin familial
Sous la lampe un adolescent fait la lecture à une
dame âgée
Mais quelle ferveur de part et d'autre quels transports
en lui
Pour peu qu'elle ait été l'amie de
Fabre d'Olivet
Et qu'il soit appelé à se parer du nom de
Saint-Yves
d'Alveydre
Et le poulpe dans son repaire cristallin
Le cède en volutes et en tintements
A l'alphabet hébreu ', je sais ce qu'étaient les directions poétiques d'hier
1.
Tant de vraie grandeur oui en dépit de ce que peut
[avoir d'indisposant
Un côté du personnage extérieur du marquis
Cette réserve aussi bien vaut pour le
Montreur de poulpe
[fâcheux attirail
Son rocher ses tables tournantes il se sentit saisir par le pied
Mais je passe outre plus que jamais assez du goût
Elles ne valent plus pour aujourd'hui
Les chansonnettes vont mourir de leur belle mort
Je vous engage à vous couvrir avant de sortir
Il vaudra mieux ne plus se contenter du brouet
Mijoté en mesure dans les chambres clignotantes
Pendant que la justice est rendue par trois quartiers
de bœuf
Une fois pour toutes la poésie doit resurgir des ruines
Dans les atours et la gloire d'Esclarmonde
Et revendiquer bien haut la part d'Esclarmonde
Car il ne peut y avoir de paix pour l'âme d'Esclarmonde
Dans nos cœurs et meurent les mots qui ne sont de bons rivets au sabot du cheval d'Esclarmonde
Devant le précipice où l'edelweiss garde le souffle
d'Esclarmonde
La vision nocturne a été quelque chose il s'agit
Maintenant de l'étendre du physique au moral
Où son empire sera sans limites
Les images m'ont plu c'était l'art
A tort décrié de brûler la chandelle par les deux bouts
Mais tout est bien plus de mèche les complicités
sont autrement dramatiques et savantes
Comme on verra je viens de voir un masque esquimau
C'est une tête de renne grise sous la neige
De conception réaliste à cela près qu'entre l'oreille et l'œil droits s'embusque le chasseur minuscule et rose tel qu'il est censé apparaître à la bête
dans le lointain
Mais emmanchée de cèdre et d'un métal sans alliage
La lame merveilleuse
Découpée ondée sur un dos égyptien
Dans le reflet du quatorzième siècle de notre ère
L'exprimera seule
Par une des figures animées du tarot des jours à
venir
La main dans l'acte de prendre en même temps que
de lâcher
Plus preste qu'au jeu de la mourre
Et de l'amour
Il passe des tribus de nomades qui ne lèvent pas la
tête
Parmi lesquels je suis par rapport à tout ce que j'ai
connu
Ils sont masqués comme des praticiens qui opèrent
Les anciens changeurs avec leurs femmes si particulières
Quant à l'expression du regard j'ai vu plusieurs
d'entre elles
Avec trois siècles de retard errer aux abords de la
Cité
Ou bien ce sont les lumières de la
Seine
Les changeurs au moment d'écailler la dorade
S'arrêtent parce que j'ai a changer beaucoup plus
qu'eux
Et les morts sont les œufs qui reviennent prendre
l'empreinte du nid
Je ne suis pas comme tant de vivants qui prennent
les devants pour revenir
Je suis celui qui va
On m'épargnera la croix sur ma tombe
Et l'on me tournera vers l'étoile polaire
Mais tout testament suppose une impardonnable
concession
Comme si dans le chaton de la bague qui me lie à la
terre
Ne résidait suprême la goutte de poison oriental
Qui m'assure de la dissolution complète avec moi
De cette terre telle que je l'ai pensée une échappée
plus radicale
Sinon plus orgueilleuse que 'celle à quoi nous convie le
divin
Sade
Déléguant au gland à partir de lui héraldique
Le soin de dissimuler le lieu de son dernier séjour
Comme je me flatte dit-il
Que ma mémoire s'effacera de
Vesprit des hommes
Pile ou face face la pièce nue libre de toute elligie de
tout millésime
Pile
La pente insensible et pourtant irrésistible vers le
mieux
Il ne me reste plus qu'à tracer sur le sol la grande figure quadrilatère
Au centre gauche l'ovale noir
Parcouru de filaments incandescents tels qu'ils apparaissent avant que la lampe ne s'éteigne
Quand on vient de couper le courant du secteur
L'homme et ses problèmes
Inscrit dans le contour ornemental d'une fleur de tabac
Puis tour à tour
Regardant, chacun des côtés et disposés symétriquement par rapport aux axes
Les quatre tètes rondes d'être quatre fois bandées
Le pansement du front le loup noir le bâillon bleu la mentonnière jaune
Les fentes des yeux et de la bouche sont noires
En bas le passé il porte des cornes noires de taureau du bout desquelles plongent des plumes de corbeau
Du sommet et de la base partent les fils lilas noisette de certains yeux
A gauche le présent il porte des cornes blanches de taureau d'où retombent des plumes d'oie sauvage
Il s'avive par places de mica comme la vie au parfum de ton nom qui est une mantille mais celle même dans l'immense vibration qui exalte l'homme-soleil et je baisse les yeux fasciné
par cette partie déclive de ta lèvre où continuent à poindre les rois mages
En haut l'avenir il porte des cornes jaunes de taureau dardant des plumes de flamant
Il est surmonté d'un éclair de paille pour la transformation du monde
A droite l'éternel il porte des cornes bleues de taureau à la pointe desquelles bouclent des plumes de manucode
Un arc de brume glisse tangentiellement aux bords sud ouest et nord et s'ouvre sur deux éventails de martin-pècheur cet arc enveloppe les trois premières têtes et laisse
libre la quatrième gardée sur champ de pollen par une peau de condylure tendue au moyen d'épines de rosier
C'est par là qu'on entre
On entre on sort
On entre
on ne sort pas
Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d'éclairs de chaleur
A la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de
dernière grandeur
Aux dents d'empreintes de souris blanche sur la terre blanche
A la langue d'ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d'hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâtons d'écriture d'enfant
Aux sourcils de bord de nid d'hirondelle
Ma femme aux tempes d'ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
Ma femme aux épaules de
Champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d'allumettes
Ma femme aux doigts de hasard et d'as de cœur
Aux doigts de foin coupé
Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la
Saint-Jean
De troène et de nid de scalares
Aux bras d'écume de mer et d'écluse
Et de mélange du blé et du moulin
Ma femme aux jambes de fusée
Aux mouvements d'horlogerie et de désespoir
Ma femme aux mollets de moelle de sureau
Ma femme aux pieds d'initiales
Aux pieds de trousseaux de clefs aux pieds de calfats qui
boivent
Ma femme au cou d'orge imperlé
Ma femme à la gorge de
Val d'or
De rendez-vous dans le lit même du torrent
Aux seins de nuit
Ma femme aux seins de taupinière marine
Ma femme aux seins de creuset du rubis
Aux seins de spectre de la rose sous la rosée
Ma femme au ventre de dépliement d'éventail des jours
Au ventre de griffe géante
Ma femme au dos d'oiseau qui fuit vertical
Au dos de vif-argent
Au dos de lumière
A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
Et de chute d'un verre dans lequel on vient de boire
Ma femme aux hanches de nacelle
Aux hanches de lustre et de pennes de flèche
Et de tiges de plumes de paon blanc
De balance insensible
Ma femme aux fesses de grès et d'amiante
Ma femme aux fesses de dos de cygne
Ma femme aux fesses de printemps
Au sexe de glaïeul
Ma femme au sexe de placer et d'ornithorynque
Ma femme au sexe d'algue et de bonbons anciens
Ma femme au sexe de miroir
Ma femme aux yeux pleins de larmes
Aux yeux de panoplie violette et d'aiguille aimantée
Ma femme aux yeux de savane
Ma femme aux yeux d'eau pour boire en prison
Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache
Aux yeux de niveau d'eau de niveau d'air de terre
"Il est des livres qui s'imposent. Crayon noir pourrait appartenir à ceux-là. (...) Écrire sur Samuel Paty a été une urgence doublée d'une évidence."
Ces quelques mots de Valérie Igounet, historienne, journaliste et directrice adjointe de l'observatoire du conspirationnisme, se trouvent en préface de Crayon noir, un roman graphique nécessaire publié en octobre 2023, 3 ans après l'assassinat de Samuel Paty. Il s'agit d'une enquête dessinée qui retrace l'engrenage qui a mené à ce drame, la façon dont cet événement nous a bouleversés et transformés, à un niveau individuel et collectif, mais c'est aussi un récit plein de vie qui nous fait entrer dans l'univers de Samuel Paty, son quotidien de professeur, la passion qui l'animait.
Une bande dessinée qui s'adresse à un large public, qui met des mots sur ce drame et permet de ne pas oublier, et que nous explorons dans cet épisode en compagnie de ses auteurs, Valérie Igounet et Guy le Besnerais.
Voici la liste des ouvrages évoqués dans cet épisode :
Crayon noir, de Valérie Igounet, Guy le Besnerais et Mathilda (éd. Studiofact) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/22774624-crayon-noir-samuel-paty-histoire-d-un-prof-valerie-igounet-studiofact ;
Le Chevalier de la charrette, de Chrétien de Troyes (éd. Classiques Garnier) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/17994823-le-chevalier-de-la-charrette-lancelot-chretien-de-troyes-classiques-garnier ;
La Chute, d'Albert Camus (éd. Folio) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/887645-la-chute-albert-camus-folio ;
Noces, suivi de L'Été, d'Albert Camus (éd. Folio) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/91666-noces-suivi-de-l-ete-albert-camus-folio ;
Nadja, d'André Breton (éd. Folio) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/394481-nadja-andre-breton-folio.
Invités : Valérie Igounet et Guy le Besnerais
Conseils de lectures de : Julien Laparade, libraire à la librairie Dialogues, à Brest
Enregistrement, interview et montage : Laurence Bellon
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