Giosuè Calaciura nous avait ravi avec
Borgo Vecchio (Notabilia, 2019), formidable portrait d'un quartier populaire de Palerme, à travers le regard de deux enfants et l'histoire, aussi cocasse que fantastique, d'un brigand, sorte de Robin des bois local, impitoyablement traqué par les carabiniers et leurs fusils. Dans
Je suis Jésus (Notabilia, août 2022), il entend, cette fois, combler un vide, remplir un territoire inconnu des Evangiles, évoquer l'adolescence et les débuts de l'âge adulte du futur Christ. A trente ans, alors qu'il se trouve à un tournant tragique de son existence, son « Jésus » se penche sur ces années d'apprentissage, racontant sa fuite loin du foyer familial, puis son retour auprès de sa mère. Disons-le d'emblée, on peut être un lecteur athée, malgré tout intéressé par le texte des Évangiles et admirant le message moral et social, plein de bienveillance, du « Messie »… et goûter pleinement toute la saveur du récit de
Giosuè Calaciura !
La mémoire de Jésus lui rappelle d'abord les premiers temps de l'enfance, marqués par la tendresse d'une mère et l'angoisse protectrice du père. Si ni Marie, ni Joseph ne semblent particulièrement conscients de l'avenir messianique de leur fils, leur esprit s'est néanmoins trouvé bouleversé à jamais par l'épisode de la crèche, cette naissance dans un cadre misérable, au milieu de nulle part, faute d'avoir pu obtenir hospitalité et confort, une naissance en même temps célébrée étrangement par tout un peuple accouru, et l'évocation de cette scène initiale nourrit les histoires de Marie. Les années passent, les parents emmènent l'enfant au marché et au Temple, lui laissant constater déjà le déplaisant mélange des affaires et de la religion, la pernicieuse dégradation des relations humaines par l'usage de l'argent, mais aussi la tyrannie exercée par le roi Hérode et les armées romaines. Un jour, le père, Joseph, quitte le foyer familial, pour n'y plus revenir…, et très vite, face à la tristesse de sa mère, l'adolescent Jésus choisit de partir à sa recherche, avec l'espoir de le ramener. C'est le début d'une vraie vie d'aventure à travers la Judée, au cours de laquelle l'adolescent, après avoir été pris sous la coupe bienveillante d'un vieux charpentier, un autre Joseph, rejoint une compagnie d'acrobates et de magiciens, dirigée par un certain Barrabas, un escroc fantasque, dont on connait le sort que lui réservera son casier judiciaire ! C'est l'occasion pour lui de découvrir toute la misère du peuple, la violence des rapports humains, mais aussi les heurs et malheurs de l'amour, avec Delia, aussi belle que blessée par la vie. Mais bientôt, une trahison l'oblige à quitter ses compagnons…
Dans une langue particulièrement élégante, révélant une nouvelle fois tout son talent de conteur,
Giosuè Calaciura sait trouver les mots et peindre les scènes pour émouvoir le lecteur et donner à son éminent protagoniste un destin d'homme lucide, aussi soucieux d'explorer les mystères qui semblent affecter le noyau familial que d'améliorer la condition humaine, jusqu'à imaginer peut-être, face à l'oppression que font régner les autorités du temps, une révolution possible… dressant le portrait, avec une fin du roman très ouverte, d'un « Jésus avant que d'être Dieu », un homme que l'on accepterait assez facilement de suivre !