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Plongée crue et superbement écrite dans le quotidien de la prostitution africaine en Sicile. Publié en 2002 et traduit en français en 2005, le deuxième roman de Giosuè Calaciura est encore plus dur que son premier, "Malacarne" (1998). Là où le petit tueur palermitain nous épatait par sa confession logorrhéique d'une rare sauvagerie mais non exempte de drôlerie, le récit de Fiona, jeune Africaine "trafiquée," aboutie en Sicile avec pour seul horizon la prostitution intensive au service des mêmes réseaux mafieux sans pitié, ne fait à aucun moment dans la dentelle. Si le sujet est l'une des toiles de fond dénoncées en permanence par Andrea Camilleri dans la série Montalbano, le coup de projecteur est ici d'une tout autre crudité. Fiona et ses trois compagnes d'infortune nommées dans le récit, parmi les autres victimes anonymes du trafic, ne voient de leurs journées que les passes, incessantes, la pression et les corrections exercées par leurs maquereaux, le mépris environnant, les hontes et les petites arnaques des clients, et enfin, les risques mortels liés au vol, à l'accident ou à la psychose pure et simple... en attendant la fin. Sujet traité sans aucun fard ni aucun romantisme déplacé, les seuls sourires possibles proviendront d'anecdotes occasionnelles joignant le comique d'une situation ponctuelle au profond désespoir qui l'environne, obligatoirement dissimulé dans une bonhomie résignée, mais sujet servi par une phrase magnifique, toujours au bord de l'essoufflement mais devant nécessairement durer autant que l'épuisante journée de "travail", ou presque... "Je m'en retournais vers le premier tour de tapin avec la joie des biscuits à l'anis, je contournais les rixes entre Arabes et Noirs qui se disputaient les angles émoussés de logements en sous-sol ouverts en soudaines tavernes pour étrangers où il n'y a pas de vin à servir mais seulement l'exaltation jaune paille d'un liquide imbuvable à transvaser directement du bidon, où l'on ne parle que la grammaire de l'alcool qui n'attend pas de réponse. Chacun articulait sa rage dans l'ivresse de sa langue incompréhensible, à travers une bataille territoriale qui ne prévoit pas d'affrontements mais un ivre soliloque tourmenté et entrecoupé de hurlements et de vomissements. Ils mettaient en jeu l'urgence de survivre, le besoin d'un espace puisqu'ils ont divisé les quatre ruelles de ruines du continent conquis en prenant pour modèle les géographies évanescentes des colonies imposées par la logique d'acier des partages faits à une table, par quantité de maisons, d'habitants, d'ici jusque là c'est rien que le Maghreb, pour le reste débrouillez-vous les Noirs." + Lire la suite |