AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Monique Baccelli (Traducteur)Jean-Baptiste Para (Traducteur)
EAN : 9782070734511
224 pages
Gallimard (09/02/2006)
4.83/5   6 notes
Résumé :

Cristina Campo est l'auteur d'une œuvre concise et secrète, mais d'une rare incandescence. Pietro Citati nous en a donné un fidèle et saisissant portrait : " Cette anachorète possédait la courtoisie mondaine, la grâce exquise et insaisissable d'une dame italienne de la Renaissance ou d'une aristocrate de la Fronde. C'était aussi une créature enflammée, violente, pleine d'une ardeur chevaleresque, une Clori... >Voir plus
Que lire après La noix d'orVoir plus
Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
S’il est une scène où l’identification évidente de l’auteur avec le personnage parvient à nous montrer la tragédie entière comme une pure méditation – tribut secret ou secrète apologie –, c’est dans les lamentations de Richard déchu. On touche là le signe même de l’infortune qui ne saurait être saisi par la pure imagination ; cette infortune « qui n’a pas grand-chose en commun avec le malheur » et qui seule révèle à l’homme la monotonie de l’horreur, l’immobilité, dans l’horreur, de toutes les pertes humaines. Ainsi Richard sent, dans sa prison, sa propre personne se transformer en temps :

Comme la douce musique est aigre, quand le temps est brisé…
Maintenant le temps a fait de moi l’horloge qui le mesure
Et toutes mes pensées sont des minutes.

De même il imagine que ses larmes, en tombant, arrivent à elles seules à creuser sa tombe :

Nous ferons mauvais temps avec nos larmes méprisées…
En tombant de façon monotone au même endroit
Elles creuseront pour nous deux tombes dans la terre ;
Et quand nous serons déposés là : « Ci-gisent
Deux chevaliers qui creusèrent leur tombe avec leurs yeux. »

De même il sent couler de son visage le sang de vingt mille soldats :

« Courage, mon suzerain, pourquoi Votre Grâce est-elle si pâle ?
– Il y a un instant le sang de vingt mille hommes
Triomphait sur ma face, et ils se sont enfuis ;
Et tant que tout ce sang ne me reviendra pas,
N’ai-je pas lieu d’avoir l’air pâle comme un mort ? »

Non moins et peut-être mieux que les Sonnets eux-mêmes, la chute de Richard II témoigne de la noche oscura de Shakespeare – de ce passage forcé de l’existence humaine par la violence morale dont ne peut sortir, mort ou vif, que l’homme nouveau.
Commenter  J’apprécie          41
Durant les soirées d'été passées au jardin, le silence prenait sa valeur réelle qui est celle d'accumuler des puissances; et quand mon oncle, souvent très fatigué par les nombreuses interventions chirurgicales qu'il avait pratiquées, tombait dans une légère rêverie que personne n'osait troubler, et que sa belle main, dont l’auriculaire était orné d'un serpent d'or aux yeux d'émeraude, se posait distraitement sur le vase de baccarat et laissait courir son doigt sur le bord, faisant naître un son subtil, pareil au gémissement d'un esprit prisonnier, la chère atmosphère de la maison se transformait en une sorte d'antre où un magicien, le Mage du Latemar, levant sa lanterne vers les pâles visages de ses otages, était sur le point de prononcer un verdict de vie ou de mort- ce que, au fond, mon oncle faisait plusieurs fois par jour-, mais moi seule percevais, dans ces silences exténués par le gémissement du cristal et ciselés par les reflets de la bague serpentine, d'impénétrables implications. Sur la table, les lueurs d'autres bagues faisaient répons: les quatre perles qui formaient sur l'annulaire de ma mère une sorte d'abeille lunaire, la tresse d'or de celle de mon père, qui brillait dans les longs crépuscules quand son crayon courait en silence sur les grandes pages des parutions, couvertes de signes noirs d'une autre langue, encore plus silencieuse, encore plus impénétrable.
Commenter  J’apprécie          40
Le miracle de Borges conteur tient à une sorte de "langage innombrable" dans lequel la figure la plus éclatante peut s'épancher sans trêve en mille autres, se complexifier infiniment dans le temps et dans l'espace, parcourir et animer toute une gamme de correspondances, de métaphores, d'analogies, et sur ce clavier dont on n'aperçoit pas les limites, le style fait qu'à chaque fois la plus pure abstraction se transforme en un tracé aussi somptueux et tangible qu'un tapis ou un portulan. "Décrire avec une extrême précision physique des choses physiquement impossibles, a écrit Hofmannsthal, telle est la véritable création par les moyens du verbe." [...]
Dans le bloc aveugle, massif et mutilé du siècle, Borges, d'une main légère, d'un geste vertigineux, pratique une ouverture: il nous laisse entrevoir encore une fois le monde infini qui se tient derrière le vrai et sans lequel le monde vrai deviendra bientôt un monde spectral. Son geste est semblable à celui de la magicienne persane qui jetait des grains d'encens sur la braise et "ouvrait de ses deux mains une porte dans la fumée"-c'est par cette porte que les prisonniers passaient dans les jardins et les bois qu'ils croyaient avoir oubliés.
Commenter  J’apprécie          30
Ma mère prononçait les paroles rituelles, douces et terrifiantes: "Ici c'est ta grand-mère; ici ton grand-père: prie pour eux...", et moi je lisais, sous le nom de celle que j'avais vu si désarmée sur sa photographie- en cet instant où les tentures tempétueuses semblaient prêtes à laisser entrer le monstrueux amour, à laisser pénétrer jusqu'à elle le Principe-; je lisais sous le nom qui était aussi le mien, Maria Angelica, deux mots: suavis anima, et à côté, sous le nom qui était aussi le mien, Marcello, anima fortis. Prie pour eux, répétait ma mère avec le regard de qui doit, par la seule force de son cœur, libérer le couple prisonnier, l'héroïque amour ensorcelé. Et avec ces paroles abstraites et révérencielles, le grand rideau de velours de la piété filiale se refermait enfin sur moi, et un nuage de larmes voilait mes yeux. Le conte de fées était là, terrible et rayonnant, pour un instant résolu et insoluble; le viatique éternel, qui revient toujours dans les rêves, pour le pèlerinage: la noix d'or qu'il faut garder dans la bouche et écraser entre les dents au moment du danger suprême.
Commenter  J’apprécie          20
Pas un de ces grands souffles de printemps ou d'automne, pas une de ces chansons sans raison aussi nécessaires à Shakespeare que le cycle du sang. Ici tout tombe inexorablement, tout obéit à la loi de la pesanteur. Et pourtant c'est justement ici , plus que dans n'importe quelle autre œuvre après Homère, que les gestes royaux "se croisent sans trêve comme des éclairs aveuglants", que la grâce fleurit pâle et pure sur les sombres frondaisons de la nécessité. Jamais, je crois, la pesanteur et la grâce ne furent plus exactement contenues dans une représentation.
Et si Hamlet est la tragédie de l'irrésolution, Richard II est celle de la relativité, ou plutôt de la réversibilité.[...] De tous ces hommes tendus vers une affirmation grave, absolue de soi, aucun ne gardera jusqu'à la fin son ardent visage, d'autres gestes, d'autres absolus. Elle les convertira tous au commun absolu du malheur et sur ce sombre seuil ils se retourneront lentement pour saluer une fois encore la grâce dans une douloureuse pensée d'amour pour ceux qu'ils ont dû ou devront perdre selon la lois de la pesanteur.[...] Dans ce drame de la chevalerie il n'y a pas une seule situation chevaleresque qui ne doive tôt ou tard se rabattre sur le nécessité-et qui en cette nécessité ne tende à la chevalerie la plus spirituelle- c'est à dire à la grâce.
Gestes de grâce que le poète arrête en l'air, au bord de la chute. Douleur déchirante et sévère de toute voix isolée et coulant pourtant dans les autres,

...tel un orage hors de saison
Qui fait noyer leurs berges aux rivières d'argent,
Comme si le monde entier fondait en larmes.
Commenter  J’apprécie          10

Videos de Cristina Campo (5) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Cristina Campo
« Cristina Campo, pseudonyme de Vittoria Guerrini (1923-1977), déclarait elle-même qu'elle avait peu écrit mais qu'elle eût aimé avoir encore moins écrit. Prise entre la fascination du silence et celle de l'expression […], elle ne pouvait proférer que des paroles exactes et rares. […] Ses réticences, autant que la brièveté de sa vie, expliquent et justifient l'économie de l'oeuvre : quelques poèmes dispersés dans des revues, deux petits textes en prose publiés de son vivant, puis une oeuvre posthume au titre énigmatique, Les impardonnables, qui rassemble des articles écrits entre 1962 et 1972. le tout tient dans un volume de taille moyenne, mais un volume qui peut se permettre d'être unique. À son propos la critique italienne a parlé de «fleur indéfinissable et inclassable». […] […] En lisant les étranges poèmes de Cristina Campo, très peu nombreux, si denses, tellement clos sur eux-mêmes qu'on les pénètre par autre chose que par la raison, on comprendra que leur auteur définisse la pure poésie, « grand sphinx au visage illuminé», comme hiéroglyphe et beauté, inséparables et indépendants. […] le lecteur se trouve en face de germes de réponses, proposées, jamais imposées, à la vaste question que pose le Livre unique de Cristina Campo : « Comment prendre le monde? » Jeune femme au corps fragile (malformation cardiaque), moitié-sainte moitié-poète, elle tente avec toute la force de son esprit d'introduire dans le concert assourdissant de notre monde le son de la flûte, sa propre voix […]. » (Monique Baccelli)
« Un poète qui prêterait à toute chose visible ou invisible une égale attention, pareil à l'entomologiste qui s'ingénie à formuler avec précision le bleu inexprimable d'une aile de libellule, ce poète-là serait le poète absolu. » (Cristina Campo, Les impardonnables)
0:00 - 1er poème 0:49 - 2e poème 1:49 - 3e poème 2:11 - Sindbad 3:01 - Été indien 3:52 - le Tigre Absence 4:22 - Générique
Référence bibliographique : Cristina Campo, le tigre absence, Éditions Arfuyen, 1996
Image d'illustration : http://outsidersweb.it/2018/03/14/un-reading-elena-stancanelli-ricordare-cristina-campo/cristina-campo-4/
Bande sonore originale : Dream Machine - Digression Digression by Dream Machine is licensed under a CC-By license.
Site : https://icones8.fr/music/search/digression
#CristinaCampo #LeTigreAbsence #PoésieItalienne
+ Lire la suite
Dans la catégorie : Essais, témoignagesVoir plus
>Littérature (Belles-lettres)>Littérature italienne, roumaine et rhéto-romane>Essais, témoignages (27)
autres livres classés : littérature italienneVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (17) Voir plus



Quiz Voir plus

Grandes oeuvres littéraires italiennes

Ce roman de Dino Buzzati traite de façon suggestive et poignante de la fuite vaine du temps, de l'attente et de l'échec, sur fond d'un vieux fort militaire isolé à la frontière du « Royaume » et de « l'État du Nord ».

Si c'est un homme
Le mépris
Le désert des Tartares
Six personnages en quête d'auteur
La peau
Le prince
Gomorra
La divine comédie
Décaméron
Le Nom de la rose

10 questions
831 lecteurs ont répondu
Thèmes : italie , littérature italienneCréer un quiz sur ce livre

{* *}