La femme adultère - Les muets

Avant de trouver ce petit livre dans une boîte à livres j'ignorais totalement qu'Albert Camus avait écrit des nouvelles, j'ai donc saisi l'occasion pour voir comment le Prix Nobel s'en sortait avec la forme brève.

J'ai beaucoup aimé la première nouvelle, La femme adultère, qui met en scène un couple de colons français arrogants qui s'offusquent de l'arrogance qu'ils perçoivent chez les Arabes - on reconnaît le jeu de regards ironique ! L'auteur met en regard beaucoup d'oppositions, non seulement entre le couple et les Arabes, mais aussi entre le chaud et le froid, l'intérieur et l'extérieur, mais aussi entre l'homme et la femme du couple. En effet, sous des dehors biens sous tous rapports, Camus nous montre un couple rongé par la vacuité du matérialisme dont chacun profite mais pour aucun cela ne comble le vide existentiel dans lequel ils se trouvent. On reconnaît de façon subtile le grand thème de l'oeuvre de Camus : la révolte contre l'absurdité et la médiocrité de la vie. Car c'est bien ce qu'est ce couple à nos yeux de lecteurs : médiocre. La seule chose qui les lie est le papier qu'ils ont signé à la mairie, mais pour le reste, rien, le vide. Mais l'injonction des convenances peut-elle tenir deux individus sans faille ? L'un des deux ne voudra-t-il pas vivre une vie qui a du sens pour lui ?
Un très beau moment de lecture.

Quant à la seconde, "Les muets", elle s'intéresse au milieu du travail où les hommes s'usent dans les tâches abrutissantes, pour quoi au final ? ...
J'ai moins aimé cette nouvelle-ci même si la plume du romancier est tout aussi belle et poignante et où l'on retrouve la même indignation face à l'injustice du quotidien.

Une bonne expérience qui m'a donné envie de relire Camus.

Nouvelles d'Albert Camus.

La femme adultère - Janine et son époux Marcel voyagent vers les plateaux du sud de l'Algérie. Dans le bus qui les emmènent loin de leur appartement, Janine découvre le désert et sa rugosité minérale. Elle s'interroge sur son mariage, ces vingt ans qui l'unissent à un homme qu'elle n'aime pas mais dont elle ne peut se passer. "Elle suivait Marcel, voilà tout, contente de sentir que quelqu'un avait besoin d'elle. Il ne lui donnait pas d'autre joie que de se savoir nécessaire. [...] Elle savait que Marcel avait besoin d'elle et qu'elle avait besoin de ce besoin." (p. 36) Si Janine est infidèle, elle ne l'est pas auprès d'autres hommes. Elle trompe son époux avec elle-même, heureuse de se retrouver unique et vivante.

Les muets - Yvars, à quarante ans, est usé par son travail. Sa jambe infirme n'est qu'une des manifestations de la vieillesse en marche. Avec ses collègues de la tonnellerie, il a tenté une grève que le patron a facilement réprimée sans répondre aux demandes de ses ouvriers. de retour à l'atelier, les tonnelliers opposent au patron un silence lourd de reproches. "Ils ne boudaient pas, [...] on leur avait fermé la bouche, [...] la colère et l'impuissance font parfois si mal qu'on ne peut même pas crier." (p. 65) Mais quand un vrai malheur survient, le silence peut devenir une sentence injustifiée.

Dans ces nouvelles, j'ai retrouvé l'amour de Camus pour l'Algérie, si présent dans ses autres textes. Avec le désert, le soleil et la mer omniprésents, comme des personnages à part entière, le texte semble monter de la terre elle-même, être moins la voix des hommes que la voix d'un pays.

Les deux nouvelles sont aussi l'expression du déchirement. Janine est déchiré entre son mariage et un besoin irrépressible de liberté. Yvars est déchiré entre la loyauté envers ses camarades et la compassion envers son patron. Derrière les déchirements de ses personnages, c'est l'auteur qu'on entend, avec son attachement viscéral à la terre algérienne qui s'oppose à la sympathie qu'il témoigne au peuple algérien épris d'indépendance.

Il était temps que je me remette à lire Camus. Depuis L'Étranger et La peste, j'ai laissé passer trop de temps sans ouvrir les pages d'un texte de cet auteur que j'apprécie tant.

Dès les premières lignes, l'envoutement est total. L'écriture douce et tranquille de Albert Camus délivre en fond une sublime poésie, qui sublime tout, l'histoire, notre coeur et la langue française. Prenant petit à petit conscience de la vacuité de sa vie, une femme va être confrontée au vertige métaphysique que lui offre un nouveau regard sur le monde qui ne durera que quelques secondes. L'humanisme de Camus fait encore des merveilles avec "Les muets", d'une justesse sourde qui émeut avec tact. Deux petites nouvelles à lire absolument.

Albert Camus saura toujours nous emporter dans une dimension peu connue de la littérature française. le lire, c'est se retrouver en apesanteur entre deux mondes; le métaphysique et le concret. Les pages tournent à la quête de plus d'envoûtement et d'aventure. On se retrouve dans une détresse dont nul ne peut nous sauver que la magie de l'univers si réel que celui de l'imagination de Camus.