Vivre ailleurs que là a changé pour moi le sens du mot vivre. Vivre ailleurs est devenu synonyme de besogner ma vie, organiser ma vie, structurer ma vie, prévoir ma vie. Là-bas, vivre c'était vivre, c'était se livrer aux mouvements coutumiers de l'humanité sans en souffrir ; s'en plaindre ou s'en réjouir, mais les acceptant tels qu'ils sont. Depuis que je ne vis plus en Algérie, il n'y a pour moi que labeur, vacances, luttes. Il n'y a plus d'nstants où, sans restriction, je suis en parfaite harmonie avec le monde.
Dans mon pays les saisons ne sont pas comme en France. Le printemps dure quinze jours, il est fou : il pète, il pétarade, il tiraille, il éclabousse tout, partout. Les couleurs, les odeurs, les formes, montent et transforment le paysage à une vitesse telle qu'on croirait voir bouger et vibrer la terre.
Chaque famille était en quelque sorte un arbre avec des racines, un tronc, des branches. Chaque naissance, chaque mort, chaque mariage avaient une importance capitale. L'arbre faisait partie d'une forêt et la tenue de cette forêt occupait les existences entières.
Pourquoi vouloir retourner là-bas, pourquoi écrire ces pages sinon pour essayer de comprendre l'équilibre ou le déséquilibre que créent en moi l'alliance ou la guerre de deux cultures ?
Pas une ombre, pas un bruit, pas un souffle qui ne me signifie la durée infinie et la pérennité de mon être là, à cette place, où chaque élément est indispensable au moment et où je suis indispensable à chaque élément.
Jacqueline Duhême Une vie (extraits) conversation avec Jacqueline Duhême à la Maison des artistes de Nogent-sur-Marne le 8 février 2020 et où il est notamment question d'une mère libraire à Neuilly, de Jacques Prévert et de Henri Matisse, de Paul Eluard et de Grain d'aile, de Maurice Girodias et d'Henri Miller, de Maurice Druon et de Miguel-Angel Asturias, de dessins, de reportages dessinés et de crobards, d'Hélène Lazareff et du journal Elle, de Jacqueline Laurent et de Jacqueline Kennedy, de Marie Cardinale et de Lucien Bodard, de Charles de Gaulle et du voyage du pape en Terre Sainte, de "Tistou les pouces verts" et de "Ma vie en crobards", de Pierre Marchand et des éditions Gallimard, d'amour et de rencontres -
"Ce que j'avais à faire, je l'ai fait de mon mieux. le reste est peu de chose." (Henri Matisse ).
"Je ne sais en quel temps c'était, je confonds toujours l'enfance et l'Eden – comme je mêle la mort à la vie – un pont de douceur les relie." (Miguel Angel Asturias)
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