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sur 9865 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Dans un vers d'une grande profondeur, le poète palestinien Mahmoud Darwish pose la question suivante : « Est-ce que le souvenir tombe malade en même temps que moi et souffre de fièvre? ». le souvenir devenant une part inséparable de notre vie ! Pour Ferdinand Bardamu, le souvenir le suit partout. le souvenir de ses malheurs, des affres de la guerre et des échecs successifs.

En écrivant "Voyage au bout de la nuit", Céline a ouvert une nouvelle voie à la littérature française. Un langage familier, dépouillé d'artifices mais direct et franc. Un langage qui fond dans la narration avec son rythme tantôt effréné tantôt ralenti. Même les dialogues sont d'une grande véhémence. Ils sont vivants et jamais de trop ou mal à propos. Céline a travaillé son écriture ; ce n'est point le fruit d'un hasard ou d'une écriture instantanée, mais d'un travail laborieux. Souvenons-nous de ce passage où Bardamu imite presque l'éloquence de la tragédie classique pour échapper aux passagers d'un bateau. de plus, il y a partout des passages métaphoriques d'une grande poésie. le comique bouleversant de Céline annonce celui de Dieudonné. Il dépasse l'humour noir pour nous livrer un comique de cruauté. Une façon singulière de présenter les faits. Un comique effréné. Les digressions sur la nature humaine et la vie sont empreints de philosophie et de pessimisme, voire de nihilisme. On trouve partout une sorte d'aphorismes ou de maximes isolés au milieu de ses réflexions.

A mon avis, Bardamu doit avoir sa place au Panthéon des grands personnages de la littérature mondiale. Ce jeune homme à la vie tumultueuse ramène son souvenir avec lui partout où il a vécu. Mais aussi sa mort. Cette idée qu'on retrouve aussi chez Rilke, Blanchot ou encore Pavese. Il est lâche, mais cette lâcheté est humaine ! il refuse la guerre, c'est un déserteur lui, un fuyard. Il fait tout pour y échapper. Il présente une vision des combats digne d'un Forrest Gump ! mais lui, il est conscient, un fin observateur. Il parle à coeur ouvert à son lecteur. Bardamu a perdu tout amour-propre, il s'est habitué à la servitude. Il a très tôt découvert l'absurdité de l'existence et l'insignifiance de la vie. Cette vie qui nous quitte au fur et à mesure avant même que la mort n'intervienne avec sa froideur. Tout devient fade et l'homme est là fidèle à sa misère ; ne voulant pas la trahir un seul moment pour jouir ! il cherche toujours une grimace pour affronter chaque situation. C'est tout ce qui lui reste ; la grimace. Ce masque derrière lequel il se cache. Il joue son rôle jusqu'au bout. Mieux encore, il attend la situation propice, l'événement où il va jouer avec emphase son personnage tragique dans cette vie. Tout cela Bardamu l'a remarqué en fréquentant des personnages mesquins animés de pensées et de sentiments vils. Des personnages humains ; trop humains. Mais malgré toutes ses expériences et la pesanteur de l'âge sur ses épaules, Bardamu n'a pas conçu son idée majeure ; celle qu'il pourra sortir au moment de sa mort, celle qui jaillit pour le délivrer comme son ami Robinson qui avait lui son idée fixe. L'âge ne ramène pas la sagesse, Bardamu gardera toujours son caractère, mélange d'insignifiance puérile et d'indécision maladive.

La nuit accompagne Bardamu dans ses voyages ; au pluriel. Mais il s'agit surtout d'un seul voyage ; celui de la vie vers la mort. Tous les moments forts de ce roman se passent dans la nuit. Elle le suit, le pourchasse comme le souvenir et le malheur. Les moments de joie et d'apaisement de Bardamu sont rares. Il a le trac pour les affronter ces moments ; comme lorsqu'il discute avec les riches. Parfois il refuse son bonheur d'une manière incompréhensible ; la tentation du mouvement est plus forte. Triste qui comme Bardamu a fait un mauvais voyage. La nuit aussi se trouve à l'intérieur de cet homme pessimiste qui n'a aucune compassion pour les autres, ni aucune ambition. Il est là, il vit et c'est tout. La vie pour lui est vide. Même ses relations avec les femmes sont presque kafkaïennes (Joseph K. et K.) ; il séduit facilement une femme et puis ça tourne mal et ça se termine d'une manière bizarre ! Par ailleurs, Bardamu n'est pas seulement pourchassé par la nuit, il y a aussi ce personnage très intéressant, cet homme sans qualité nommé Robinson, qui mérite l'Oscar du meilleur personnage dans un second rôle. Il est un exemple parfait du victimisme.

Le roman peut être divisé en deux parties : le mouvement et l'inertie. Après la guerre, l'Afrique et l'Amérique, on revient à la vie de tous les jours. Une succession d'anecdotes et d'épisodes auxquels Bardamu participe sans gloire. Mais, ce qui est curieux c'est de savoir que cet itinéraire de Ferdinand Bardamu ressemble à celui de Louis-Ferdinand Céline ! et "Voyage au bout de la nuit" devient une espèce de biographie romancée mais si bien écrite et présentée. Au début, on se croit, avec enthousiasme, devant un roman antimilitariste, anticolonialiste et anticapitaliste malmenant les idées de patriotisme et de rêve américain mais aussi la psychanalyse et ses pratiques étranges. En effet, il y a de cela dans le roman. Mais, l'essentiel n'est pas ici. "Voyage au bout de la nuit" illustre l'absurdité de l'existence et la vacuité de la vie avec pessimisme. Mais n'est-ce pas là l'objectif de toute grande oeuvre littéraire ? de montrer la misère humaine ?
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On ouvre le livre et on est emporté par le fort courant d'un fleuve de mots. On le referme quatre-vingt dix pages plus loin dans la chaleur moite des colonies, étonné, ahuri de cette expérience de lecture, n'osant plus s'y plonger de nouveau de peur d'être vraiment, définitivement submergé.
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Voyage au bout de la nuit, relecture. le problème est qu'avec un tel livre on ne se contente pas de comparer ses souvenirs avec une redécouverte parce que, à la confrontation de soi avec soi, s'ajoute tout ce qu'on a pu lire ou entendre sur cette oeuvre, et il est difficile de ne pas avoir beaucoup lu et entendu.
L'avantage c'est de ne plus être une étudiante en lettres forcément désireuse de dire ce qu'elle croit qu'on attend d'elle; tiens finalement -osons la formule- peut-être suis-je plus vierge qu'à l'époque et plus apte à lire innocemment ce truc sulfureux. Enfin, sulfureux, déjà, ça se discute.
Je me souviens que la tarte à la crème de l'époque consistait à comparer Céline et Voltaire, Bardamu et Candide. Bon, pourquoi pas. Deux quêtes à travers un monde odieux, à entasser le mal sur le mal. D'abord la guerre, bien sûr ; et l'esclavage devenu colonialisme et en tirant un peu le fanatisme de l'inquisition se retrouve dans le dieu Capitalisme, « les ouvriers penchés soucieux de faire tout le plaisir possible aux machines ». Et puis au bout de cette errance à saute-continent, l'ennui métaphysique à Venise pour l'un, en banlieue parisienne pour l'autre ; Robinson qui refait surface aussi obstinément que Pangloss, la femme aimée devenue laide ou jalouse... On trouve même une vieille dans les deux livres!
Mais plus intéressantes sans doute sont les différences. le voyage physique dans « Candide » fait l'essentiel du roman tandis l'errance géographique de Bardamu n'occupe pas la moitié du roman. Ce n'est pas le mal qui horrifie Céline, mais la nuit, celle de l'âme. À relire les pages tant citées sur la guerre de 14 je suis frappée par le peu de morts qui y figurent. L'horreur n'est pas dans la boucherie mais dans la désinvolture des gradés qui font fi du désir de vie des hommes. C'est là le leitmotiv du Voyage: personne n'aime personne, personne n'est désintéressé, l'autre n'est toujours qu'un moyen et Bardamu se déteste d'aider (parfois) les autres non par amour mais par faiblesse, et si peu, et si mal. Et pourtant, de la tendresse, si, si, on en trouve. La preuve par huit, mais seulement parce que j'ai la flemme de recopier jusqu'à neuf.
« Pour la première fois un être humain s'intéressait à moi, du dedans si j'ose le dire, à mon égoïsme, se mettait à ma place à moi et pas seulement me jugeait de la sienne, comme tous les autres.
Ah! si je l'avais rencontrée plus tôt, Molly, quand il était encore temps de prendre une route au lieu d'une autre! »
« Des « honoraires »? En voilà un mot ! Ils n'en ont déjà pas assez pour bouffer et aller au cinéma les malades, faut-il encore leur en prendre pour faire des « honoraires » avec? Surtout dans le moment juste où ils tournent de l'oeil. C'est pas commode. On laisse aller. On devient gentil. Et on coule. »
« Bébert m'avait vu venir. [...] Sur sa face livide dansotait cet infini petit sourire d'affection pure que je n'ai jamais pu oublier. Une gaieté pour l'univers. »
« J'effectuais une fois de plus les deux ou trois menus simulacres qu'on attendait et puis j'allais reprendre la nuit, pas fier, parce que comme ma mère, je n'arrivais jamais à me sentir entièrement innocent des malheurs qui arrivaient. »
« Est-ce que la vie elle est gentille avec eux? Pitié de qui et de quoi qu'ils auraient donc eux? »
« Être seul c'est s'entraîner à la mort. »
« Les gens [...] ils en ont de l'amour en réserve. Y en a énormément. On peut pas dire le contraire. Seulement c'est malheureux qu'ils demeurent si vaches avec tant d'amour en réserve, les gens. Ça ne sort pas, voilà tout. C'est pris en dedans, ça reste en dedans, ça leur sert à rien. Ils en crèvent en dedans, d'amour. »
« On se cherche bien encore des trucs et des excuses pour rester là avec eux les copains, mais la mort est là aussi elle, puante, à côté de vous, tout le temps à présent et moins mystérieuse qu'une belote. Vous demeurent seulement précieux les menus chagrins, celui de n'avoir pas trouvé le temps pendant qu'il vivait encore d'aller voir le vieil oncle à Bois-Colombes, dont la petite chanson s'est éteinte à jamais un soir de février. »
Le Céline du « Voyage » n'est ni nihiliste ni misanthrope. Il est seulement désespéré et les jardins à cultiver ne courent pas les rues.
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« Notre vie est un voyage, dans l'hiver et dans la nuit. Nous cherchons notre passage, dans le ciel où rien ne luit. Voyager, c'est bien utile, ça fait travailler l'imagination. Tout le reste n'est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé.
C'est un roman, rien qu'une histoire fictive. Littré le dit, qui ne se trompe jamais. Et puis d'abord, tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C'est de l'autre côté de la vie. »
On rêve tous un jour de toucher le Graal littéraire, le roman qui va faire chavirer votre coeur à jamais. Je tiens Voyage au bout de la nuit comme le livre le plus génial qui m'ait été donné de lire à ce jour.
Quel verbe ! Quelle verve !
Le reste paraît si insipide... Comment qualifier ce roman ? C'est une pourriture éclatante. C'est un ramassis d'étoiles. C'est une vomissure de lumière. Il n'y a pas d'autres mots pour dire ce geste qui consiste à nous tendre un miroir et de nous inviter à plonger dans notre béance dérisoire et accablante.
Mais surtout il y a cette façon de nous raconter une histoire.
J'ai goûté à ce livre comme à une volupté épaisse, énorme. C'est une gueule ouverte sur l'humanité, fétide, outragée, agonisante.
On entre dans ce livre comme on entre dans une nuit monstrueuse, vers laquelle on voudrait tendre le bras pour voir ce qu'il y a à la fin, à la toute fin, se rassurer en quelque sorte qu'on est bien éveillé, même si on se tient debout dans la boue et qu'on avance à tâtons.
Voyage au bout de la nuit, cela démarre comme à la manière de Denis Diderot, c'est Jacques le Fataliste façon début du XXème siècle, un enchantement de circonstance, d'une petite cause naissent et s'enchaînent tous les événements qui composent la trame romanesque qui va suivre et entraîner le narrateur dans sa course effrénée, Ferdinand Bardamu, notre alter ego peut-être hélas à notre dépend, mais avons-nous le choix ?
Ainsi le premier chapitre du Voyage au bout de la nuit démarre par une discussion à la terrasse d'un café à Paris, un bavardage ordinaire qui va engager toute une vie, celle du narrateur, Ferdinand Bardamu.
C'est la ténuité d'une cause sans commune mesure avec l'ampleur de ses conséquences.
À la terrasse de ce café, comme ça, sur un coup de tête, par fanfaronnade, Ferdinand Bardamu va s'engager dans la guerre, il le fait sans héroïsme et il va en revenir très vite, car tout s'est fait sur un malentendu mais surtout c'est un lâche, il adopte la lâcheté comme unique comportement et c'est juste beau comme geste, c'est puissant, c'est jubilatoire de voir comment il va malmener et rendre ridicule à jamais tout geste de patriotisme.
Le désir de guerre prend ici un coup sérieux dans les reins, sinon ailleurs.
Le malentendu est scellé, les conséquences massives de ce moment d'enthousiasme vont se déployer : l'histoire peut commencer. Les trajectoires prises par la vie correspondent à des inflexions minimes, à des accidents de parcours, à des élans d'orgueil, avant que Ferdinand Bardamu ne s'aperçoive de sa fatidique erreur. On entre dans le romanesque par cette petite porte insignifiante, dérisoire, à l'instant où il y a un décalage, un abîme entre la cause et la conséquence, entre une toute petite chose, une toute petite cause et une infinie série de catastrophes qui vont suivre et construire le roman.
Le malentendu du héros vaut à Bardamu de passer quelques nuits savoureuses dans les bras de Lola jusqu'à ce qu'elle découvre l'imposture, que son amant est un lâche, alors que la lâcheté n'est-elle pas l'expression de vouloir vivre, survivre, coûte que coûte, comme le désir impérieux de voyager ?
Nous allons suivre Bardamu dans ses pérégrinations, dans l'indomptable Afrique, puis dans ce New-York optimiste, avant que le voyage ne s'installe définitivement à la Garenne-Rancy, décor à jamais sordide. D'un voyage géographique, nous passons alors à un voyage sédentaire, intérieur, vertigineux pour autant dans une ville triste et méchante où le narrateur va continuer à s'enfoncer encore un peu plus dans la nuit des autres.
J'y ai vu à chaque page une comédie truculente, une pièce de théâtre, des scènes inoubliables, des comédiens hauts en couleur avec des noms que je n'oublierai jamais : Lola, Musyne, Dolly, Bestombes, Robinson, Bébert, la vieille Henrouille...
Ici la bonté est dans la puanteur. Mais la méchanceté est là aussi, je crois avoir reconnu dans certains personnages affreux, sales et méchants la figure mythique des Thénardier, peut-être en pire...
On peut devenir le rescapé de ce monde épouvantable décrit par Ferdinand Bardamu dès lors qu'on saura en découvrir la beauté.
Je ne me souviens pas d'avoir lu un roman qui décrivait de manière aussi puissante la bassesse humaine, les vilénies ordinaires, le geste de pisser dans la Seine avec un sentiment d'éternité, la gaité crasseuse, le désastre de l'humanité et ses trous sanglants.
Ce voyage, c'est une déambulation intérieure où le désespoir prend son envol.
Pourtant il y a dans ce voyage des personnages attachants que je n'oublierai jamais. À commencer peut-être par Bébert, cet enfant fragile dont la gaité est portée vers l'univers. Il y a aussi la prostituée Molly et sa tendresse infinie. J'en veux à Bardamu de l'avoir quittée. Et puis il y a aussi la vieille Henrouille et ses deux dents qu'elle astique soigneusement parce qu'elle veut rester coquette.
Ce désespoir, c'est la misère des pauvres si bien décrite, la poussière qu'on mange à longueur de journée, ce médecin qu'est devenu Bardamu et qui ne sait pas comment parfois se faire payer de ses honoraires.
Ici se côtoient ceux qui croient encore au bonheur et ceux qui n'y croient plus, comme une lutte impérieuse...
Voyage au bout de la nuit doit tout d'abord se lire au premier degré et l'effet sur le lecteur n'en est que plus puissant. Mais on peut y voir autre chose. On pourra y lire des métaphores, des paraboles, des allégories, qui pourraient donner à penser. Pourtant ce texte ne cède à aucune ambition édifiante. À chacun son voyage.
Avant que ce ne soit la nuit partout, avant de refermer ce livre et de désirer déjà le relire dans quelques années, je voulais vous dire : Voyage au bout de la nuit est un énorme chef d'oeuvre, sublime, répugnant, abyssal dont la beauté n'enlève pas la crasse immonde qui se terre entre les personnages, dont la bonté ne supprime aucun de leurs mauvais sentiments, mais peut-être guide nos pas vers la nuit encore sombre et agitée, de laquelle il faut m'extraire pour tenter de rédiger quelques mots afin de revenir à vous.
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Voyage au bout de la nuit ! En plein confinement ! Qu'est-ce qui m'a pris, me direz-vous ? Un challenge, un item pige dans ma PAL, une pénurie de choix, et m'y voilà, sous-estimant la chose, je plonge ! Ce fut une plonge… vertigineuse ! Cela m'a pris plusieurs semaines, moi qui lis vite normalement, pour absorber, à petites doses, digérer, cette histoire, d'une noirceur attendue, mais d'une densité inattendue…, ce voyage avec Ferdinand Bardamu, ce pauvre couillon de la terre, ce saucisson de bataille, ce médecin sans honoraires, au bout de sa quête sans Graal, au bout de sa solitude, au bout de cette vie sans rédemption, sans même l'espoir d'une vie meilleure, car s'il est une chose que Ferdinand n'entretient pas, c'est cette manie que plusieurs ont, dont moi, de s'illusionner d'espoirs de lendemains meilleurs, non, Ferdinand lui sait, que tout cela n'est que mensonges que nous nous contons à nous-mêmes et qui nous péteront à la face, plus tôt que tard… Seules quelques douces âmes, Millie, Alcide, Bébert, illuminent de leur grâce ce portrait sombrissime que dresse Céline, de la nature humaine, un des plus désespérants qu'il m'ait été donné de lire…

L'un des textes les plus achevés que j'ai pu lire, chaque phrase porte une densité inouïe, demande une relecture, c'est une vie et toutes les leçons d'une vie, tout le jus que Céline a extirpé de la vie, qu'il nous livre, à la fois brut et raffiné, puant, d'une lucidité effrayante, désespéré, et génial.
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Après des années d'atermoiements, atermoiements dus à l'aura sulfureuse de Céline, j'ai soudain été prise de fébrilité. Il fallait que je lise ce livre d'urgence.
Pourquoi ? A cause, ou grâce, à la critique de Nastasia-B du 15/09/2012, mais encore commentée en 2018. Merci à elle.

Ceci n'est pas une critique, juste un commentaire sur mon ressenti.

Quelle bizarre façon de s'exprimer ! Il m'a fallu un petit temps d'adaptation car je n'ai jamais rien lu de tel et pourtant je suis une lectrice boulimique. Il me semble même, mais je n'ai pas vérifié, que l'auteur créait des néologismes...
J'ai souri ( eh oui ) ; j'ai froncé les sourcils ( qu'a-t-il voulu dire exactement ? Je dois relire cette looongue phrase pour comprendre son propos ) ; j'ai tordu le nez quand Ferdinand Bardamu tenait des propos scabreux ( langage cru, termes choquants, situations triviales ) ; j'ai été prise de démangeaisons. Oui, ça me démangeait de faire des citations. Mais tant de passages méritaient d'être cités qu'en fait, je n'en ai fait aucune. Après tout, mieux vaut lire le livre en entier que par morceaux.
L'écriture de Céline " le vaut bien ".
C'est magnifique, même dans l'horreur !
Bardamu, le narrateur me déplaît souverainement, mais ce qu'il raconte me plaît infiniment. C'est là tout le talent de Céline.

La lecture n'a pas été facile, pour moi. J'ai du me concentrer, relire parfois des passages pour les comprendre, mais je l'ai fait, ce " voyage au bout de la nuit " et je ne le regrette pas.
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Cet énorme roman est une oeuvre considérable, d'une force et d'une ampleur à laquelle ne nous habituent pas les nains si bien frisés de la littérature bourgeoise. Mille réserves s'imposent qui ne peuvent pas nous empêcher de l'accueillir autrement que les romans bien propres, bien idéalistes, les romans des petits chiens savants. Voyage au bout de la nuit est un roman picaresque, ce n'est pas un roman révolutionnaire, mais un roman des « gueux », comme le fameux Lazarille de Termes dont il rappelle parfois la bassesse et l'accent. Un médecin, assez ignoble lui-même, raconte ses explorations dans les divers mondes de la misère ; il y a là des tableaux de la guerre, des colonies africaines, de l'Amérique, des banlieues pauvres de Paris, des maladies et de la mort dont on ne peut oublier les traits. Une révolte haineuse, une colère, une dénonciation qui abattent les fantômes les plus illustres : les officiers, les savants, les blancs des colonies, les petits-bourgeois, les caricatures de l'amour. Il n'y a rien au monde que la bassesse, la pourriture, la marche vers la mort, avec quelques pauvres divertissements : les fêtes populaires, les bordels, l'onanisme. Céline ne voit dans ce roman du désespoir d'autre issue que la mort : à peine devine-t-on les premières lueurs d'un espoir qui peut grandir. Céline n'est pas parmi nous : impossible d'accepter sa profonde anarchie, son mépris, sa répulsion générale qui n'exceptent point le prolétariat. Cette révolte pure peut le mener n'importe où : parmi nous, contre nous, ou nulle part. Il lui manque la révolution, l'explication vraie des misères qu'il dénonce, des cancers qu'il dénude, et l'espoir précis qui nous porte avant. Mais nous reconnaissons son tableau sinistre du monde : il arrache tous les masques, tous les camouflages, il abat les décors des illusions, il accroît la conscience de la déchéance actuelle de l'homme. Nous verrons bien où ira cet homme qui n'est dupe de rien. La langue littéraire de Céline est une transposition assez extraordinaire du langage populaire parlé, mais il devient artificiel vers la fin : c'est que le livre a deux cents pages de trop. Céline ne s'arrête pas au moment où il a tout dit.

P. NIZAN. (Journal L'Humanité, page 4, 9 décembre 1932)
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« Voyage au bout de la nuit » c'est un cri qui se prolonge toutes les nuits, Ferdinand Bardamu, le narrateur hurle en silence et dénonce les horreurs de la guerre 14-18, l'exploitation du colonialisme, l'hypocrisie bourgeoise, le capitalisme, la misère humaine et la médiocrité des hommes, Bardamu porte un regard pas très idéaliste d'une époque peu glorieuse.
Ce livre est une douleur et Bardamu vomit ses mots, des mots crus voire parfois salaces mais tellement puissants, au parler adéquat à sa vision absurde de l'existence, où s'incorpore quelque citation d'une délectable mélancolie à vous glacer les tripes !
Un livre qui marque par la cruauté et la franchise de Louis Ferdinand Céline.
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C'est un voyage dans le temps, on est en 1987. Le prof de français est un original. Il nous présente une liste "off", à côté de la liste de textes à étudier pour le bac. Dans la liste "off" il y a « Voyage au bout de la nuit », mais aussi "Sur la route". Du haut de ma petite intuition d'ado qui se croit insoumis je me rue sur le voyage avant de partir sur la route. Le bac attendra.
Un voyage comme une révélation. Quoi, on peut écrire comme ça, et avoir la reconnaissance tacite du prof de français ? A l'époque, dans mon parcours du moins, les auteurs étudiés s'inscrivaient dans une veine classique. Du Maupassant, du Mauriac ou du Zola en veux-tu en voilà. A vous dégoûter de la lecture, pour un ado en pleine quête de chemins de traverse. Une lecture pourtant inscrite dans mes gênes, sans références à la maison, avec l'école pour seul guide.
Un voyage en ouverture. Si ça existe ce genre de livres, il doit bien y en avoir d'autres. La découverte post-bac d'autres auteurs, « qu'il ne faut pas lire » : Cendrars, Miller. Même si je comprends pas toujours tout, ça me plaît. La palette s'étoffe de curiosité. D'autres, singuliers, viennent l'enrichir. Très singuliers parfois, surtout hors contexte scolaire : mais c'est pas mal du tout Zola ! Et Maupassant ! Et Mauriac !
Un voyage en boucle. Ça forme la jeunesse, c'est bien connu. Combien de fois j'y suis retourné dans mes vingt ans ? 3 ? 4 fois? Sans compter le petit frère à crédit. Une obsession. A en exhorter les copains musiciens qui ne lisent pas à le faire le voyage, que ça, oui, c'est pas pareil ! Ils peuvent y aller, tête baissée. de la pure symphonie verbale, bien meilleure que Joy, Cure et Siouxsie réunis (hé oui, c'était l'époque New-wave).
Un voyage avec un caillou dans la chaussure. Mais il est pas net ce type ! Avec le questionnement qui suit, la culpabilité en sourdine. Est-ce qu'on peut dire sans sourciller qu'on adore le voyage sans passer pour un facho ? Et puis la maturation, le temps qui assure la réflexion. Oui on peut. Le voyage est un pur joyau, le type qui l'a créé nettement moins. Point barre.
Un voyage comme un phare sur sa route. Les lectures s'enchaînent, les années aussi. L'obsession n'est plus là, même si l'envie titille parfois. Tous les jours ou presque à lire des citations ici-même, si c'est pas de la provoc ça... Faudra peut-être penser à le refaire le voyage, histoire de m'assurer que j'ai pas encore perdu le nord.
Un voyage tout confort. L'âge, que voulez-vous. La presbytie, tout ça. le poids des ans, celui du pavé qu'il faut tenir aussi. Je m'octroie un nouveau voyage, 5 étoiles celui-là, mon premier en liseuse, visite guidée avec le dico en direct au cas où. Excusez le sacrilège.

Allez, zou, c'est parti...

« Ça a débuté comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. C'est Arthur Ganate qui m'a fait parler."
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A quoi ça sert d'ajouter une ânerie de plus, alors que tant d'autres y ont bavé dessus, sur le Voyage au bout de la nuit ? Peut-être que c'est plus fort que nous ? Que quand y a des conneries à déblatérer on y peut rien, on veut afficher sa sale gloriole pour pas déjà sentir la charogne. Mais y a rien à faire. On se putréfie quand même. C'est sûrement pour ça que j'en rajoute une croûte. Parce que c'est joué quoi qu'on dise ou qu'on fasse.
Mais y a pas à dire, même si le monde de Bardamu est jaune-pipi, on a jamais si mal parlé pour bien dire les choses.
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