AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782070145577
1184 pages
Gallimard (24/04/2015)
3.9/5   5 notes
Résumé :
«Il était ma liaison avec la jeunesse, avec la vie, les éditeurs, les journaux, les films. [...] Nous étions, un peu, son père.» Roger Nimier est mort brutalement le soir du 28 septembre 1962, sur l'autoroute de l'Ouest. Après ce «coup de massue», Paul Morand n'a plus que sa correspondance quotidienne avec Jacques Chardonne pour se consoler.
Depuis dix ans, les deux épistoliers illustrent au plus haut «un certain esprit français», avec ses travers comme ses ... >Voir plus
Que lire après Correspondance, tome 2 : 1961-1963 - Paul Morand / Jacques ChardonneVoir plus
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Comment font les gens pour se connaître ? D’abord nos amis, imbibés d’alcool ? Où est le vrai Blondin ? Le méchant qui casse tout, ou le gentil ? Et les femmes, dont les phrases commencent toutes par : moi ou je ? Les femmes sont des auberges espagnoles ; on y trouve ce qu’on y apporte. On croit avoir devant soi une personne et on en a cent. Une skieuse ? C’est qu’elle couchait avec son professeur de ski. On la retrouve un an après spécialiste des concours hippiques ? Elle aime un écuyer. Un an encore, elle vous sort un livre sur les Dravidiens : elle est partie avec un hindou. Et même les hommes si sûrs d’eux. Qu’un événement survienne, voilà un héros qui sort du capon, à son insu ; voilà un intellectuel qui entre dans les affaires et n’ouvre plus un livre ; les gens me font l’effet d’une série de bêtes qui sortent les unes des autres, chacune contenant un petit monstre. Et pas seulement les êtres fluides comme les Anglais, ou inexplicables comme les Russes, mais d’un trait bien cerné, comme les Latins. Et puis les hommes-femmes ? Et puis les femmes-hommes ? Tout ceci n’est pas nouveau. Ce n’est pas là ce qui me surprend.

Ce qui m’intéresse, ce que je voudrais qu’on m’explique, c’est comment font les gens pour vivre familièrement avec eux-mêmes, ne pas douter de soi, savoir d’avance comment ils réagiront, où sont leurs frontières : ici, et pas plus loin, etc… ? On peut toujours vivre dans l’ignorance et le mensonge ; les autres vous racontent leur histoire, ils ne vous racontent jamais leur géographie. (Paul Morand à Jacques Chardonne, le 23 mars 1962)
Commenter  J’apprécie          10
Cher ami,
On a l’impression que l’Occident est plein. Je rêve avec nostalgie à la crise de 32, où on montait dans les trains, où l’on descendait dans les hôtels sans retenir sa place, où, comme l’écrivait Larbaud, on avait envie de saluer les rares automobilistes qu’on rencontrait sur les routes, comme des membres de la famille. Je rêve d’une maison abandonnée, comme dans les romans de Régnier1. Les Hayes étaient ainsi ; aujourd’hui j’ai des voisins riches, qui y passent le week-end, étant le reste de la semaine en Californie ou en Nouvelle-Zélande ; ce ne sont que tondeuses à gazon pétaradantes et toutes les nouveautés des salons agricoles ; les meubles de jardin ressemblent à l’étage horticole de Primavera ; il ne manque (je l’attends) que la brouette peinte en blanc, avec des géraniums dedans.

Il y avait encore, au-dessus de Collioure, ou dans la Montagne Noire, quelques villages déserts ; la TV nous les montre pleins de chantiers de jeunesse qui s’activent à les rendre à la vie.

Je ne reproche pas au monde d’éclater de vie, de beauté, de jeunesse. Je lui en veux seulement d’être si bête dans son éclatement. Ne peut-on éclater intelligemment ? C’était si beau, la faillite, l’herbe entre les pavés, les foins qui restaient sur place ; maintenant, on refuse du monde partout. Et, en fait de faillite et de mort, je n’aurai guère que la mienne, à offrir à un monde gavé et survolté, avec primes de natalité.

Hier, en plein Jura, dernier désert, nous nous sommes arrêtés, au-dessus de Poligny, dans une vieille ferme restaurée, tenue par un Anglais qui fait l’aubergiste : Military Cross, Légion d’honneur, excellent français, bref le type de l’agent de l’Intelligence Service en retraite. À l’office, il y avait 6 femmes, de tous les âges, épluchant les légumes : une scène de mon enfance. Cela, parce que le pays est encore pauvre et sans communications. Un proverbe chinois dit : « Une femme laide est un trésor dans la famille. » On pourrait dire, de même : « Une province pauvre est un bienfait pour les poètes. » (Paul Morand à Jacques Chardonne, le 29 août 1962)
Commenter  J’apprécie          00
Que les femmes n’arrivent que difficilement à l’orgasme, Diderot le dit fort élégamment : « Plusieurs femmes mourront sans avoir éprouvé l’extrême de la volupté. Cette sensation, que je regarderai volontiers comme une épilepsie passagère, est rare pour elles, et ne manque jamais d’arriver quand nous l’appelons. Le souverain bonheur les fuit entre les bras de l’homme qu’elles adorent. Nous le trouvons à côté d’une femme complaisante qui nous déplaît. Moins maîtresses de leurs sens que nous, la récompense en est moins prompte et moins sûre pour elles. Cent fois leur attente est trompée. Organisées tout au contraire de nous, le mobile qui sollicite en elles la volupté est si délicat, et la source en est si éloignée, qu’il n’est pas extraordinaire qu’elle ne vienne point ou qu’elle s’égare. »

C’est ce que mon père disait : « Tu sauras qu’il n’y a pas une femme sur vingt qui éprouve le même plaisir que l’homme » (il y a 50 ans, on n’aurait pas osé dire : qui jouisse). Mon expérience fut qu’il y en avait bien la moitié. Beaucoup plus tard, aujourd’hui, c’est qu’elles jouissent presque toutes comme des hommes. Est-ce la fin de leur inhibition ? L’analyse publique des psychanalystes sur l’orgasme ? Bref c’est pour répondre à Diderot et à votre phrase sur la frigidité que je vous raconte tout cela ; oui, les femmes ont changé ! Elles pratiquent l’amour physique, aujourd’hui, presque comme des hommes ; ce n’est plus le simple plaisir de tenir dans ses bras un compagnon heureux et de profiter indirectement de sa satisfaction, et de le recevoir, c’est un spasme égal au sien, cela se voit, cela se sent aux contractions du vagin ; la femme actuelle, même à peine déniaisée, est devenue un homme ; quel chemin depuis Diderot ! Expliquez cela comme vous voudrez. Je verse simplement au dossier de l’histoire de l’amour mon expérience d’homme. Les femmes ne sont plus les mêmes. (Paul Morand à Jacques Chardonne, 9 mars 1962)
Commenter  J’apprécie          00
Les seuls hommes qui connaissent les femmes, ce sont les pédérastes ; parce qu’ils sont des femmes ; ils vont droit à ce qui, elles, les blesse, à ce qui leur plaît ; ils ne tombent dans aucun panneau. Les vrais hommes sont immuablement bêtes et s’y laissent toujours prendre, surtout par les plus stupides, parce qu’ils emploient éternellement les mêmes moyens primitifs. Il a fallu qu’Hélène m’explique les femmes, leur vanité, leur stupidité, la guerre froide à laquelle elles se livrent entre elles, sans jamais paix ou armistice, pour que mes yeux s’ouvrent. (Paul Morand à Jacques Chardonne, le 17 novembre 1961)
Commenter  J’apprécie          10
Cher ami,

L’idée qu’on évitera le communisme en nourrissant les gens est une idée de primaire, de yankee. Les gens ne sont pas guidés par la faim, mais par leurs passions, y compris celle de se détruire eux-mêmes, qui n’est pas la moindre. Ce n’est qu’ensuite qu’ils se disent : « Et si l’on cassait la croûte ? »

Vous dites que je lis beaucoup : c’est la seule manière, pour moi, de communiquer avec le reste, le meilleur, du genre humain. Je ne puis respirer, si je sens qu’on me déteste. Les indifférents, avec leur cortège de relations polies, mondaines, je les fuis aussi ; quant à ceux qui m’aiment, je n’ai jamais pu supporter le poids de leur amour. Je n’ai pu vivre — sauf une exception — qu’avec Hélène, parce qu’elle m’aime sans me peser. Peur, égoïsme, lâcheté, je ne puis supporter un être sur mes épaules ; je coule ; trop lourd. (Paul Morand à Jacques Chardonne, le 22/23 septembre 1962)
Commenter  J’apprécie          00

Lire un extrait
Video de Jacques Chardonne (4) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jacques Chardonne
Jacques Chardonne - Les Varais (Roman de l'enracinement).
autres livres classés : prophétieVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (9) Voir plus



Quiz Voir plus

Jacques Chardonne

Quel est le vrai nom de Jacques Chardonne?

Jacques Laurent
Jacques Barnery
Jacques Dutourd
Jacques Boutelleau

10 questions
10 lecteurs ont répondu
Thème : Jacques ChardonneCréer un quiz sur ce livre

{* *}