Cette anthologie a été un moment de lecture et de découverte particulièrement intéressant et plaisant. Dans ces 480 pages,
Charles le Quintrec rassemble soixante-dix Poètes de Bretagne. Beaucoup bien sûr sont nés sur le sol Breton, à Lannion, Brest, Quistinic, Groix, Nantes (ici, Bretonne) ou ailleurs ; d'autres ont vu le jour dans de nombreux coins de France, d'un ou des deux parents Bretons ; et d'autres encore, comme
Saint-Pol Roux ou
Georges Perros, ont choisi la Bretagne, sont devenus Bretons. Comme le dit joliment
Charles le Quintrec : « La Bretagne n'est pas tout entière une terre et une mer, moins encore un lieu géographique, puisque la vraie Bretagne n'existe nulle part ailleurs que dans le coeur de ses enfants. »
L'illustration de couverture (de
Martin Jarrie) de cette toute nouvelle réédition en poche est particulièrement belle, et le menhir christianisé aurait plu à
Charles le Quintrec, ce «
Rimbaud chrétien » (selon
Pierre de Boisdeffre) dont l'inspiration « vient à la fois des Évangiles et de la forêt de Brocéliande ». A noter qu'un temps j'ai craint que la foi de Charles le Quintrec ne gâche un peu le plaisir de ma lecture, vu ma non-croyance, mais en fait non. Ici prime la
poésie. Cette anthologie a été publiée pour la première fois en 1980 et son introduction fut écrite en 1979 (j'ai bien rit quand
Charles le Quintrec raconte Alain Lemoigne en disant « ce jeune professeur » : haha, il est né en 1948 !). Les années ont passé, mais la lumière dispensée par les textes présentés n'a pas faibli d'un pouillème.
Après une longue introduction où il explique et argumente ses choix d'auteurs et de textes – et au passage règle quelques comptes,
Charles le Quintrec va présenter chacun tour à tour – les chapitres se suivent plus ou moins dans l'ordre chronologique de la naissance des poètes.ses. Il part
De Chateaubriand né en 1768 à St-Malo et termine par Marilyse le Roux, née en 1955 à Vannes. Son propos est toujours très personnel, vivant, inspiré et truffé d'anecdotes de vie ou de souvenirs (en fin d‘ouvrage une table des auteurs liste d'une manière concise et lisible les dates et
oeuvres majeures, c'est très bien fichu). Ensuite viennent, pour chacun, quelques
poèmes choisis. Passionnant.
Je connaissais certains auteurs pour leur prose,
Pierre-Jakez Hélias et son Cheval d'orgueil,
Jean Markale dont j'ai lu – entre autre – la somme du Cycle du Graal, Henry et
Yann Queffelec (plus jeune j'ai dévoré de ce dernier tous les romans, Noces barbares en tête). J'avais déjà lu par contre les
poèmes d'
Eugène Guillevic ou
René-Guy Cadou ; mais la plupart des autres m'étaient inconnus, du moins leur oeuvre. Que de belles découvertes, dans cette anthologie !
Yvon le Men (Désirer, p. 296),
Gwenn-Aël Bolloré (Automne, p. 326), Jean Langier (L'arpenteur des pluies, p. 242),
Gérard le Gouic (Dès la nuit tombée, p. 248),
Michel Manoll (Le jour qui parle, p. 218) ; entre autres.
Les styles des poètes sont innombrables et différents, de
Tristan Corbière à
René-Guy Cadou, de
Victor Segalen à
Xavier Grall,
Alfred Jarry ou
Max Jacob. Pour
Yves La Prairie, « la
poésie est une flamme de vie portée au-delà de l'horizon des habitudes »,
Paul-Alexis Robic « surprend partout un murmure d'humanité qu'il ne veut pas laisser perdre ». Les mots d'André Guégan « sont drossés […] comme s'il avait de la tempête dans la bouche ». Contemplatifs, inventifs, ombrageux ou sensuels, ils ont tous en commun une certaine ferveur, une simplicité grave, un sens du partage.
J'ai retrouvé avec bonheur
Louis Guillaume (dont j'adore depuis longtemps Cris de Sable) et
Gilles Baudry (moine à l'abbaye de Landévennec) ; j'ai découvert aussi
Pierre Kérébel (dont j'étais obligée de relever le patronyme, héhé) et sa splendide Berceuse océane (p. 355)
Il y aurait tant à dire encore. Poètes de Bretagne est une anthologie à découvrir, à lire d'une traite ou à savourer par miettes, pour ensuite aller creuser dans les
oeuvres des auteurs préférés. Vive la Bretagne, et un grand merci aux éditions La Table Ronde !
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