Il lui tend la boisson chaude. Leurs regards se croisent. Des cils comme des pinceaux. Il boit une gorgée. Des lèvres à baiser. Lui aussi serre le bol pour se réchauffer les doigts. Des mains puissantes. Il s’approche du poêle. Il franchit la limite de respect entre elle et lui. Ni elle ni lui ne reculent. Ils se taisent, paupières baissées sur le café, dans la claire conscience de leur proximité. Aimantés l’un par l’autre, leurs corps poursuivent librement une conversation muette.
Il s’accroche à sa palette, à son couteau comme un naufragé à son radeau. Devant lui, les eaux sombres du lac Léman dorment, tombeau paisible. Le soleil s’y enfonce. Le ciel s’embrase comme une torche. Courbet gomme de sa vision la forêt, les maisons nichées les unes contre les autres, le banc, l’homme sur le banc, et les voiliers. Rien que le rouge et le noir sur la toile. Et leurs nuances.
[...] il entend son souffle dans le creux de son oreille, sent dans le rond de ses bras le poids de son corps enjoué, le parfum monter de son décolleté, lourd, musqué, ses petits cheveux frisottant sur les tempes lui chatouiller la joue. Non, il ne peut pas faire ça. Il tient à ce tableau. C'est bien lui, dix ans en arrière, c'était bien sa manière de peindre. Il pense à sa postérité. Il ne veut pas la voler.
Pendant qu’il la peint furieusement, des pensées plus intimes fusent dans son esprit. A-t-elle aussi cette grâce, cet abandon après l’amour ? Exhale-t-elle la même intensité sensuelle ? Il voudrait donner à voir l’animalité repue ; que chacun ressente, à contempler sa peinture, l’émotion qui le tient.