Un beau récit de la traversée de la France en diagonale de Brest à Toulon.
L'auteur nous décrit les paysages ; les ambiances des villages où il fit ses haltes de sommeil ; le bon accueil des gens des campagnes ; son dégoût des zones pavillonnaires, commerciales ; ses réflexions philosophiques sur la marche au long cours et autres pèlerinage, agrémentées de quelques citations littéraires et autres références artistiques et/ou spirituelles ; ses inquiétudes sur le monde tel qu'il tournait déjà au tout tourisme à cette époque pas si lointaine où il l'écrivit (il y a une vingtaine d'année seulement)...
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Bref, un ouvrage agréable à lire, à recommander à tous ceux qui souhaite se préparer à partir ainsi au gré du vent ou à ceux qui, comme moi ce printemps-été, ne peuvent pas réaliser de suite leur projets de longue randonnée ...
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Les pèlerins, autrefois, étaient des gens très précieux, révérés, protégés, sacralisés. Ceux qui les voyaient partir ou passer avaient l'intuition qu'ils rendaient au monde d'utiles services : ils le débanalisaient. Ces petits hommes qui, sans cesse, se portaient en avant, au risque de se perdre - et qui se perdaient vraiment -, au risque d'affronter des périls vitaux, ces petits hommes étaient l'aiguillon spirituel du monde. Leur marche et leur démarche, qui pouvaient obéir à des mobiles sublimes ou misérables, qui pouvaient être insensés, avaient un sens pour les autres, pour le monde, considéré comme un tout. La démarche personnelle était irrationnelle, mais le monde, conscient de son unité, comprenait qu'elle était indispensable, comme étaient indispensables l'art, la prière ou la poésie. L'individu, aujourd'hui, est idéalisé, presque sacralisé, et nul, pas même l'individu lui-même, celui en cause sur les chemins de la France, ne songerait à donner à son entreprise la raison qu'elle soulage le monde et que, peut-être, elle lui donne un sens...
Marcher au long cours, c'est s'astreindre à un dépassement permanent de soi, de sa fatigue, de sa lassitude parfois, des obstacles du chemin, c'est se situer, par l'acte de la marche répétée, dans un autre monde que le monde réel. « Toute marche est spirituelle » assure Xavier Grall. Avait-il acquis cette certitude en pérégrinant en Bretagne ? L'effort continu et la marche rendent, au fil du temps, le voyageur étranger à lui-même ; la marche le dépouille, le rend plus léger et plus intenses ses joies, ses sentiments, ses émotions : procurant plaisir et accoutumance, excitation et épuisement, elle agit comme une drogue et donne réalité à la formule rimbaldienne « je est un autre ».
Un long voyage à pied, solitaire, par l'alliance qu'il établit entre le marcheur et le chemin, métamorphose la réalité : il ne s'agit pas d'une simple promenade, d'une banale randonnée en groupe... Une entreprise de cette sorte permet d'accéder, comme s'il s'agissait d'un hallucinogène, d'un rêve ou d'une prière, à d'autres images, d'autres visions, à des perceptions nouvelles qui vont jusqu'à laisser croire à un changement de ce qui constitue la personnalité.
Inutile et essentiel, se révélant, malgré moi, d'une profonde unité, mon voyage m'apparaît comme une œuvre ; il me paraît relever de la création artistique, à la fois allègement, délivrance et création. Il est une espèce de catharsis, de processus de transformation qui doit aboutir au résultat insoupçonné - et involontaire - que celui qui le finit doit être différent de celui qui l'a commencé.
« Cette réalité géographique, une terre entourée d'eau, avait toujours fasciné J. Depuis qu'elle l'aimait, elle se demandait pourquoi. Et depuis qu'elle avait choisi d'y bâtir une maison, elle se posait la même question : pourquoi une île ? »
Robert Colonna d'Istria, **La Maison**
Plus d'informations sur le livre de Robert Colonna d'Istria, **La Maison** : https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/la-maison
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