le maître et le disciple : fabuleux
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Un jeune homme de dix-huit ans est, en général, ce que j’appellerai un homme « collectif » : il porte la marque de son milieu et des idées de son milieu, des idées aussi, des habitudes et des goûts des jeunes de son âge, et puis des rencontres, des découvertes qu’il a pu faire, des aventures qu’il a eues. Je ne fus jamais un homme collectif. Je fus, dès le début – dès la petite enfance, je crois, où je jouais toujours seul, ma grand-mère craignant les « mauvaises fréquentations » - un être humain singulier, et ainsi je n’ai guère eu de peine, tant j’étais libre, à m’abstraire d’une société close et à faire le choix de la raison, c’est-à-dire de l’universel. [...] Or, jusqu'à lâge de dix-huit ans, j'ai vécu comme dans une bulle - la bulle familiale -, sans vrai contact avec l'extérieur et sans en recevoir de vraie influence. J'étais, en effet, sans ami, ni amis, n'avais pas voyagé,i pratiqués un sport : je n'étais jamais entré dans un musée, jamais allé au théâtre et seulement une fois et demi au cinéma ; je n'avais aucune culture musicale ni, en général, artistique.
Car, « ce qui est normal pour l’homme, ai-je écrit dans mon texte » Devenir grec », ce n’est pas – pas simplement – de manger, de boire, de dormir, d’aimer, toutes choses que les bêtes font aussi, ce n’est pas vivre, mais c’est de ne pas vivre sans réfléchir, c’est-à-dire sans se demander ce qu’il fait au monde, ce qu’est le monde, ce que signifie la vie – bref, ce qui est normal pour l’homme, c’est de ne pas vivre sans philosopher ».
Tout individu humain a vocation à devenir philosophe. Il y a pourtant, comme vous l’observez, bien peu de philosophe, l’homme, la plupart du temps, se laissant asservir aux valeurs de la collectivité : les succès de vanité, les situations de pouvoir, les récompenses d’honneur lui font oublier son essentielle vocation, s’oublier lui-même au bénéfice d’une image, d’un être-pour-autrui insubstantiel. Certes, je suis entré moi-même dans la société et le monde des intellectuels, m’y suis fait une place, mais je ne puis pas dire avoir jamais pris au sérieux les avantages de carrière ou d’honneur que l’on y gagne. Je me suis toujours senti un « homme sans qualités ».
La philosophie ne suppose aucune aptitude particulière : elle ne suppose rien de plus que l' « intelligence générale » - laquelle, toutefois, admet des degrés. La raison est présente en chacun : elle n'est, en effet, que la capacité de poser la question "pourquoi?", ou d'y répondre. L'intelligence, qui n'est, elle, que la capacité d'user de la raison en vue de comprendre ou d'expliquer, est aussi présente en chacun, mais alors que la raison est universelle, l'intelligence comporte un élément de personnalité. Elle n'est ni universelle et impersonnelle comme la raison, ni particulière comme l'aptitude, mais bien singulière. L'individu lui-même se montre dans la manière qu'il a d'user de sa raison : dans le tour de son intelligence.
Car, sur les questions ultimes, il faut répondre par oui ou pas non.
Dans l'univers de Marcel Conche...