El Dorado

Le grondement du moteur et le roulement des vagues sous la coque lui évoquent la respiration d’un animal qui l’aurait avalée. Elle s’imagine prisonnière des entrailles d’un cétacé, trimbalée vers une destination inconnue. Cela ne lui fait pas peur. Recroquevillée sur un siège en skaï bleu, elle tient ses genoux serrés sur sa poitrine. Sa tête repose contre la vitre embuée et reçoit les vibrations du bateau comme une série de petits électrochocs qu’elle subit sans broncher. Derrière le verre dépoli par le sel et griffé par l’usure défile un paysage qu’elle devrait reconnaître pour l’avoir déjà vu trente ans plus tôt, lors de son voyage de noces avec Christian. Mais ce matin-là, Catherine ne perçoit du golfe de Naples que les silhouettes massives de montagnes aux contours brouillés, rien de familier, comme si la pluie avait, momentanément, rendu ses souvenirs méconnaissables.