Je crois que la plupart de nous se plaignent d'une "mauvaise mémoire". À l'opposé se situe la "mémoire prodigieuse", un thème fréquent en littérature et au cinéma. Il y a eu par exemple le personnage de Lisbeth Salander dans le prodigieux thriller de
Stieg Larsson "Millénium" et, peu avant, il y avait eu Jean-Baptiste Grenouille dans l'inoubliable "
Le parfum" de
Patrick Süskind.
Le grand écran nous a laissé un fabuleux Dustin Hoffman, à côté de Tom Cruise, dans le merveilleux "Rain Man" produit en 1988 par
Barry Levinson et basé sur une histoire originale du scénariste américain
Barry Morrow.
Raymond Babbitt-Dustin Hoffman lisait n'importe quel livre en une heure au maximum, le retenait sans effort et pouvait l'ajouter tranquillement aux 12.000 livres qu'il avait déjà disponible en mémoire. Bref, une recrue de choix pour notre site Babelio !
Quoique Babbitt-Hoffman avait "certains" problèmes psychologiques. S'il avait une mémoire faramineuse, il était aussi autiste, atteint, en plus, par le syndrome d'Asperger. C'est d'ailleurs étrange que des personnes affectées de si sérieux troubles psychologiques disposent souvent d'une mémoire exceptionnelle.
Il y a également ce qui a été qualifié de "mémoire eidétique" ou photographique ou encore et même absolue.
Le neurologue scientifique russe, Alexandre Romanovich Luria (1902-1977) a étudié de près le cas d'un eidétique, son compatriote Solomon Cherechevski (1886-1958) et en a publié un livre passionnant en 1968 "The Mind of a Mnemonist". Un ouvrage qui m'a terriblement impressionné, lorsque je l'ai lu il y a une vingtaine d'années. Luria a écrit plusieurs livres sur ce sujet, dont certains sont disponibles en Français, entre autres "L'homme dont le monde volait en éclats".
Mon excursion dans le labyrinthe de la mémoire avait démarré en 1985, lorsque, me faisant de sérieux soucis pour ma mémoire - déjà il y a 34 ans ! - je me suis acheté le livre "Your Memory : A User's Guide" de la grande autorité britannique dans ce domaine, professeur à Cambridge, Londres et Princeton,
Alan Baddeley, né à Leeds en 1934. J'avais lu un entrefilet dans "The Economist" où il était expliqué que cet ouvrage comportait un test intelligent et fiable de la mémoire. le week-end suivant la livraison de ce livre, j'ai fait le plus sérieusement et honnêtement du monde ce test détaillé et vérifié mes résultats aux conclusions de
Baddeley. Mon épouse croyait que je devenais fou quand tout à coup elle m'a vu faire des sauts et entendu pousser des cris de sauvage tout en jetant livre et test en l'air ! Il est vrai que
Baddeley venait de me rassurer sur la qualité de ma mémoire, non pas qu'elle fut géniale, mais qu'il n'y avait aucun motif d'inquiétude. Apparemment j'avais été tout bêtement trop exigeant.
La mémoire comme n'importe quel réservoir connaît ses limites.
Cet ouvrage important a été traduit et publié en Français par les Presses universitaires de Grenoble, en 1993, avec comme titre "
La mémoire humaine. Théorie et pratique". Un livre que je peux recommander comme véritable oeuvre de référence et de base dans ce domaine spécifique.
D'un côté, il y a les limites de la mémoire - le réservoir plein - et de l'autre côté les championnats mondiaux de la mémoire, qui sous l'égide du savant britannique
Tony Buzan, qui vient de mourir il y a 3 jours (le 13-04-2019, à l'âge de 76 ans), sont organisés annuellement depuis 1991. Parmi les gagnants, il convient de mentionner l'octuple vainqueur, le Britannique Dominic O'Brien, auteur de "Comment développer une mémoire extraordinaire" (1993) et le champion français depuis 2015, à 28 ans, l'ingénieur des mines,
Sébastien Martinez, auteur de "
Une mémoire infaillible" (2016) et "
La mémoire est un jeu" (2018).
Le duo de journalistes danois
Troels Donnerborg et
Jesper Gaarskjaer ont suivi leur compatriote Mark Aarøe Nissen de 25 ans au championnat de 2013 à Croydon en Angleterre, où il est devenu le 97ième Grand Maître de la mémoire. Fait est que grâce à des techniques de mémorisation ou méthodes de mnémotechnique, tel le remplacement d'une donnée (une carte de jeu, par exemple) par un personnage (ami, famille, actrice, chanteur...) et une image, ces mnémonistes arrivent à se souvenir de l'ordre exact de 54 paquets de 52 cartes, soit 2.808 cartes ! Leur récit montre que ces résultats à peine croyables supposent tout de même de sérieux efforts de concentration et surtout d'entraînement.
Un officiel de Hong Kong, du nom d'Andy Fang, a appris ainsi par coeur le grand dictionnaire sino-anglais ! Et dire qu'il m'a fallu 2 jours pour me souvenir du prénom de la "Reine du Désert"
Gertrude Bell (1868-1926). Une simple visite d'Internet m'aurait permis de lire Gertrude sous la fameuse photo, où l'on voit l'exploratrice sur son chameau, avec à sa gauche
Lawrence d'Arabie et à sa droite Sir
Winston Churchill, devant le sphinx de Gizeh en Égypte. Mais, je m'étais souvenu de l'intéressant ouvrage de
Nicholas Carr "Internet rend-il bête ?" de 2011 et je comptais donc sur ma propre mémoire.
Logiquement, nous autres adultes, procédons par association lorsque nous essayons de nous souvenir de quelque chose de particulier. Un atout dont un môme n'a même pas besoin. Faites le test : donnez une vingtaine de mots sans rapport logique entre eux à lire à un adulte et à un gosse et vous allez voir qui se souvient des plus de mots, disons un quart d'heure
après.
Plus on vieillit, plus la mémoire décline. Cela fait partie de ce que
Shakespeare, dans "
Richard III" a "glorifié" pour l'éternité par la phrase célèbre "Now is the winter of our discontent" et qui a été reproduite comme titre d'un de ses romans par
John Steinbeck en 1961. En Français, "L'hiver de notre mécontentement ". Et aussi de la boutade : "la vieillesse est un naufrage", faussement attribuée au général
De Gaulle, mais qui trouve son origine chez
Erich Maria Remarque (1898-1970).
Je termine par une remarque déroutante du présent champion du monde de la mémoire, le jeune Alex Mullen, 27 ans de Jackson dans le Mississippi (États-Unis), qui
après une série de diplômes, avec son épouse canadienne d'origine taïwanaise, Cathy Chan - une autre genie et tous 2 étudiants, gravement sponsorisés, en médecine - a dit un jour de l'été dernier : "Si jamais j'oublie le nom d'une personne, je me couvrirai de ridicule". Mais rassurez-vous, cela ne risque pas de se produire de si vite avec le numéro un mondial de la mémoire depuis 2016.
L'oeuvre littéraire de
Joshua Foer "
Moonwalking with Einstein : The Art and Science of Remembering Everything", (ou marcher sur la lune avec Einstein) paru en 2012, a été pour le teenager Alex Mullen pareil au coup d'éclat pour Saint Paul, au début de notre ère lorsque sur la route de Damas il tomba de son cheval en entendant tout à coup la voix du Seigneur lui demander : "Saoul, Saoul, pourquoi me persecutes-tu ?" Ce fut en un mot la conversion, car le couple a un vaste programme d'aides aux écoliers et élèves visant à réussir leur enseignement.