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sur 874 notes
« Non, il n'est pas bon à l'homme de se connaître lui-même. »

L'Esprit souterrain contient deux parties : la 1ère se nomme « Katia », la seconde « Liza » mieux connue sous le nom « Carnet(s) du Sous-sol » (ou d'autres titres comme le Sous-sol, le Souterrain, Mémoires écrits dans un souterrain, Notes d'un souterrain…), ma critique porte sur cette seconde partie.

Si vous ne savez pas quel Dostoïevski choisir pour commencer et si vous répugnez à escalader les 900 pages de ses grands romans, Carnet du Sous-sol vous donnera une parfaite idée de cet auteur. Avec lui viennent à la fois maturité (1864, deux ans avant Crime et Châtiment) et modernité (càd rupture d'avec son temps, du Gogol retourné sur soi, ½ siècle avant Proust ou Kafka) : quasiment plus d'histoire mais une sorte d'autoportrait hallucinant, grotesque, cynique et tourmenté, ou comment une frustration superbe cherche querelle à tout ce qui vient heurter sa sortie à l'air libre (« J'avais pris l'habitude de faire cette promenade, à la tombée de la nuit, à l'heure où la foule des petits commerçants et des ouvriers, avec leurs visages soucieux jusqu'à la méchanceté, devient plus compacte, à cette heure où le travail quotidien est fini »). C'est le genre d'introspection très risquée qu'on déconseillerait à un jeune écrivain en recherche d'épate, mais c'est sans compter l'acuité corrosive et la malice à tiroirs de notre auteur, il a 43 ans, et 4 ans de bagne derrière lui : il sait parfaitement manier le scalpel ironique nécessaire à une telle opération à coeur ouvert, et dose à souhait le cocktail explosif que confère l'orgueil d'une timidité sûre d'elle-même, cet orgueil à fleur de peau d'une timidité rougissante (on rougissait à l'époque), la timidité, cette grande décapsuleuse des âmes (« La timidité, source inépuisable de malheurs dans la vie pratique, est la cause directe voire unique, de toute richesse intérieure » Cioran).

Il faut croire et ne pas croire ce qu'on écrit lorsqu'on se prête à un tel autoportrait (« Je vous jure, messieurs, que je ne crois pas un traître mot de tout ce que je viens d'écrire ») : 'exilé du monde en soi-même', un cerveau qui se pense lui-même se préserve ainsi de la folie. Les premières phrases vous mordent à pleine dents et ne lâcherons plus prise, passant du monologue (car « de quoi les gens (…) parlent-ils le plus volontiers ? Réponse : D'eux-mêmes. »), au souvenir d'une lamentable humiliation (« Monsieur le lieutenant Zvierkov, commençai-je. Sachez que je hais les phrases, les phraseurs et les tailles fines. Voilà mon premier point. »), avant de poursuivre avec la rencontre de cet archétype pour l'auteur (la prostituée rédemptrice) esquinté pitoyablement en guise de vengeance personnelle (« Mais faire des cérémonies pour toi ? ― Descends-la dans sa tombe, Vamoukha. Même ici elle a les pieds en l'air ! C'était sa destinée… »), une courte lumière d'espoir où le narrateur, on dira, se fait un film (« Ici je me lançais dans des subtilités européennes à la George Sand (…) Mais maintenant tu es à moi, maintenant tu es ma création, maintenant tu es pure et belle, tu es ma femme (…) Puis, nous commençons une vie charmante, nous allons à l'étranger, etc., etc., etc. Je me faisais honte à moi-même, et je finissais par me tirer la langue. ») pour enfin se conclure en comédie de moeurs, où le valet de circonstance en prendra pour son grade (le beau style nerveux de Dostoïevski dans « je ne veux pas, je-ne-veux-pas les lui donner, tout simplement je ne veux pas, et je ne veux pas parce que je ne veux pas, parce que c'est ma volonté de maître, parce qu'il est insolent, grossier : mais s'il demande respectueusement, alors peut-être m'adoucirai-je ; autrement il attendra encore quinze jours, trois semaines, un mois entier ») avant un clap de fin glaçant à souhait.

Exemple parmi d'autres du Dostoïevski déjà tout déployé ici. Il y a la hache du chef d'oeuvre qui suivra : « Elle devint pâle comme un mouchoir, voulut parler, mais ses lèvres se convulsèrent, et elle s'affaissa sur sa chaise comme si elle venait de recevoir un coup de hache ». Et ceci qu'on retrouvera dans l'Idiot : « Il y a des femmes… plus elles aiment, plus elles querellent, parole ! J'en connaissais une de ce genre : « Je t'aime ! c'est par amour que je te tourmente ; devine-le donc ! » Sais-tu qu'on peut tourmenter un homme par amour ? Les femmes sont ainsi ! Et elles pensent en elles-mêmes : « Mais en revanche combien l'aimerai-je après ! Je le caresserai tant que je peux bien le piquer un peu maintenant… ». Voici sa variante dans l'Idiot : « Sais-tu bien qu'une femme est capable de torturer cruellement un homme, de le tourner en dérision, sans en éprouver le moindre remords de conscience ? Car, chaque fois qu'elle te regarde, elle se dit : « à présent je lui ferai souffrir mille morts ; mais après, mon amour le dédommagera... » ».

Ce fut aussi l'occasion pour moi de constater combien Nietzsche doit à Dostoïevski dont il était bien sûr le lecteur. Cette phrase par exemple aurait pu être un aphorisme de Nietzsche : « Mais… Nous autres, habitants du souterrain, il faut nous tenir en bride. Nous pouvons garder un silence de quarante ans. Mais, si nous ouvrons la bouche, nous parlons, parlons, parlons… ». Voici comment Nietzsche commence son avant-propos à l'Aurore : « Dans ce livre on trouvera au travail un homme « souterrain », un homme qui perce, creuse et ronge. On verra, en admettant que l'on ait des yeux pour un tel travail des profondeurs ─, comme il s'avance lentement, avec circonspection et une douce inflexibilité, sans que l'on devine trop la misère qu'apporte avec elle toute longue privation d'air et de lumière ; on pourrait presque le croire heureux de son travail obscur. »

On trouve aussi chez Dostoïevski le futur troupeau nietzschéen : « Mon développement intellectuel était morbide, comme est celui de tout homme cultivé de notre temps. Eux, au contraire, stupides, étaient pareils entre eux comme les moutons d'un troupeau. ». Ou encore (dont le coup de fouet résonne étrangement avec la crise du philosophe témoin d'un cheval fouetté) : « J'aurai tout de même donné le soufflet, j'aurai pris l'initiative, et il sera obligé de se battre ! et ces têtes de mouton seront pour la première fois en face d'une âme vraiment tragique, la mienne !… Fouette, cocher, fouette ! ». Dernier exemple : « Un homme d'action est essentiellement borné : un homme à caractère, un homme d'action est essentiellement borné », dans les Carnets de Dostoïevski. Dans le Par-delà de Nietzsche, aphorisme 107 : « Une fois qu'une décision est prise, il faut fermer les oreilles aux meilleurs arguments contraires. C'est l'indice d'un caractère fort. Par occasion il faut donc faire triompher sa volonté jusqu'à la sottise. » (De Gaulle a dit qqchose de similaire).

Nietzsche, penseur écrivain. Dostoïevski, écrivain penseur. Même dans leur style : chez le second, ces retournements d'une pensée espiègle, aux parenthèses typiques de la danse du premier : « Et je me posais philosophiquement cette question (à étudier aux heures de loisir) : Que vaut-il mieux, un bonheur médiocre ou des souffrances supérieures ? Hein ? Que vaut-il mieux ? ».

Pour ceux qui ne le connaisse pas, Dostoïevski est un intellectuel pur : « J'ai une habitude à ce point invétérée de penser et de réfléchir d'après les livres et de me représenter tout au monde comme si je l'imaginais moi-même dans mes rêves ». C'est aussi un sensuel et chez lui vous trouverez des femmes et des hommes : mais s'il les dit « belles » ou « beaux », qu'ajouter de plus pour le physique. Il n'a pas la sensibilité évocatrice d'un Tolstoï (ses descriptions de la nature), ni le goût des images frappantes d'un Nabokov (Autres Rivages). Ce qu'il veut c'est l'électrique des situations : il le crée par différence de potentiel entre 2 personnalités qui s'entrechoquent comme des silex et dont les étincelles illuminent, un bref instant, un moi changeant et inquiétant, entrevu dans l'ennui (« il avait quitté Saint-Pétersbourg et s'était mis à voyager, espérant peut-être trouver quelque distraction, quelque diversion à ses éternels ennuis »). Ce choc peut être les rapports de maître à esclave (ex. parmi tant d'autres, du valet des Carnets – rapports que Nietzsche, encore, théorisera), d'amour ou de haine, et je termine avec cette pensée tirée du même Sous-Sol, pensée à retardement (comme la bombe), qui tranche radicalement avec l'esprit de notre époque : « Je suis allé si loin en ce sens qu'aujourd'hui je crois fermement que l'amour consiste en ce droit de tyrannie concédé par l'être aimé ».
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Encore un de mes romans préférés de Dostoievski mais comment ne pas tous les aimer quand Dostoiesvki représente si fidèlement et avec tant de poeticité des hommes absolument immondes coupés du monde et profondément misanthropes et fous… bref encore un livre génial de Dostoievski et qui se lit assez vite vu sa taille..
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Les Carnets du sous-sol, ce journal intime d'un homme seul, dérangé, un dépressif, un cas clinique pourrait-on dire mais aussi un homme conscient, trop conscient, torturé justement par son excès de conscience qui le pousse à rester tapis dans l'ombre et fuir la médiocrité des hommes. Un homme qui pourrait se confondre avec Dostoïevski lui même quand on connait la souffrance atroce qu'il endurait à l'époque de la parution de ce court roman.

Sur un ton mordant, plein de sarcasme et avec un humour acerbe, les carnets nous livrent dans leur première partie des réflexions philosophiques d'un grand intérêt, émanant avec une franchise sans filtre des tréfonds de l'âme de cet anti-héros qui se définit comme un méchant se complaisant dans une jouissance mortifère. Notre homme doute, s'interroge sur l'intérêt de l'intelligence et la conscience, envie la bêtise, a envie de dépravations puis semble chercher l'absolu, l'origine et s'attaque même à la raison et aux Lumières. C'est toute la modernité qui en prend pour son compte. Niaiseries que le beau et le sublime !

La deuxième partie est faite de souvenirs où les paradoxes de l'auteur, assoiffé de reconnaissance et d'un désir de domination, prennent une tournure irrationnelle, ridicule, narcissique, déconcertante.

Un livre perturbant, morose mais passionnant qui aurait inspiré Freud et Nietzsche, d'ailleurs la fin des Carnets invite à un vitalisme et un courage de vivre très Nietzschéens. Bref, c'est un condensé de thèmes chers à Dostoïevski, thèmes qu'il développera plus tard dans ses chefs d'oeuvres qu'on ne présente plus.

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Ce bon vieux Fiodor..... Bravo
Pathétique, si on devait décrire les personnes masculins chez Dostoievski on dirait pathétique. le protagoniste semble détester tout le monde, mais on voit que c'est quelqu'un qui a peur d'être blessé. Blesser ou être blessé il blesse. Misanthrope par sécurité, il est pathétique et touchant. Bloqué dans une spirale d'ego, il revêt un masque d'homme intelligent et imbu de lui même tout en se considérant comme un insecte indigne des autres. Il pousse le vice assez loin pour repousser un amour attendu comme si la grenouille refusait le baiser de la princesse.
Magnifique et touchant, l'un des meilleurs récits de Dostoievski à découvrir.
Avec modestie
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Oeuvre sombre et terrible de Dostoievski, d'une grande puissance d'évocation et d'une redoutable précision quand à la description des travers et de la misère de l'âme humaine. le héros, vit à côté de sa vie (de la "vie vivante"), hanté par des rêves de vengeance, de gloire, ou de reconnaissance. L'âme meurtrie par des décennies de solitude et une situation misérable, en décalage avec son intelligence et ses connaissances livresques, le héros, tour à tour pathétique, ridicule, et cruel émeut et effraie à la fois par sa démence et sa lucidité. Une oeuvre forte et profonde.
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Les contradictions internes, les angoisses et les obsessions rythment l'oeuvre, format court, de Fiodor Dostoïevski dans Les carnets du sous-sol.
C'est écrit sous forme d'un monologue intérieur pour plonger dans l'esprit du narrateur, tourmenté et aliéné.
Il se présente comme un anti-héros, rejetant les normes sociales et se complaisant dans son propre malheur.
Le récit est divisé en deux parties : dans la première, le narrateur relate ses pensées et ses sentiments sur sa propre existence, son ressentiment envers la société et sa méfiance envers la raison. Dans la deuxième partie, il raconte une rencontre qu'il a eue avec d'anciens camarades de classe et exprime sa frustration et sa colère face à cette interaction sociale.

Les carnets de sous-sol font partie de ces livres qui dénoncent la société et de la rationalité moderne et qui ont influencé, ici, de nombreux philosophes et écrivains existentialistes. L'auteur donne à ces carnets une profondeur psychologique, et son style d'écriture puissant, une capacité à révéler les méandres sombres et tourmentés de l'âme humaine.
Le roman aborde des thèmes existentiels tels que l'aliénation, l'isolement, le libre arbitre, la nature humaine, et le sens de la vie.
Le narrateur se complait toutefois dans son propre malheur.

Il faut donc apprécier, mais avec le recul nécessaire, les émotions négatives que sa lecture suscite, et le pessimisme inhérent à de tels thèmes.
C'est sombre.
Mais captivant.
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« Les carnets du sous-sol » est un roman assez bref rédigé en 1864, juste avant les oeuvres considérées comme majeures chez DOSTOÏEVSKICrime et châtiment », « L'idiot », « Les démons », « Les frères Karamazov », etc.).

Jamais peut-être une oeuvre n'a commencé de manière aussi radicale, aussi violente, aussi emplie d'autocritique pour ne pas dire d'autodestruction : « Je suis un homme malade… Je suis un homme méchant. Un homme repoussoir, voilà ce que je suis. Je crois que j'ai quelque chose au foie. de toute façon, ma maladie, je n'y comprends rien, j'ignore au juste ce qui me fait mal. Je ne me soigne pas, je ne me suis jamais soigné, même si je respecte la médecine et les docteurs. En plus, je suis superstitieux comme ce n'est pas permis ; enfin, assez pour respecter la médecine (je suis suffisamment instruit pour ne pas être superstitieux, mais je suis superstitieux). Oui, c'est par méchanceté que je ne me soigne pas. Ça, messieurs, je parie que c'est une chose que vous ne comprenez pas. Moi, si ! Evidemment, je ne saurais vous expliquer à qui je fais une crasse quand j'obéis à ma méchanceté de cette façon-là ; je sais parfaitement que ce ne sont pas les docteurs que j'emmerde en refusant de me soigner ; je suis le mieux placé pour savoir que ça ne peut faire de tort qu'à moi seul et à personne d'autre. Et, malgré tout, si je ne me soigne pas, c'est par méchanceté. J'ai mal au foie. Tant mieux ! Qu'il me fasse encore plus mal ! ».

La narrateur est homme portant une quarantaine tiraillée, un de ces êtres fatigués trop tôt. Malade du foie, ancien fonctionnaire, il déverse son fiel sur la société en un long monologue désillusionné et violent. Il prend l'Homme à témoins, montrant du doigt sa conception erronée des intérêts en une absence de raison qui le conduit au drame dans son incapacité d'analyse. Dans un discours philosophique autant que sociologique, le narrateur démontre que deux et deux ne devraient jamais faire quatre car, si cela est le cas, la volonté n'existe pas. Il ne faut surtout pas que le résultat soit quatre !

La vue d'ensemble, globale, se rétrécit soudain vers des contemporains du narrateur, par le biais de vies plus intimes, d'exemples pris dans le milieu de ses connaissances directes. Toujours hanté par un esprit torturé où le nihilisme semble avoir élu domicile, le narrateur tire à boulets rouges sur les personnages qu'il dépeint, jugés vils et insignifiants, sans épaisseur, en somme méprisables. Survient une fête où eux comme lui s'enivrent, l'atmosphère devient délétère, la tension palpable, les codes du genre explosent. Commencent alors des scènes tout ce qu'il y a de plus Dostoïevskiennes : longues tirades, alcool, violence, hésitations, provocations, surenchère, intimidations, souffrance dans l'élocution, comme si l'auteur était atteint d'une de ses horribles crises d'épilepsie (crises qui influencèrent son oeuvre).

Le narrateur rencontre une jeune prostituée, Lisa, il s'est mis en tête de la sauver, il va devenir son ange gardien. C'est la troisième partie de ce roman, cette fois tout en romantisme déchirant, bien éloignée du discours imposé auparavant par le narrateur – et l'auteur. Puis vient l'une des figures tutélaires des personnages de DOSTOÏEVSKI, l'homme paradoxal.

Dans « Les carnets du sous-sol », certains protagonistes de l'oeuvre future de DOSTOÏEVSKI semblent être présentés. On pourra voir les traits de futurs héros de « Crime et châtiment », « L'idiot » ou autre « Les démons » notamment. le ton évolutif du récit devient contradictoire, décousu, restant malsain et étouffant, entre agressivité, désenchantement et rédemption recherchée, entre amour et haine, ce qui caractérisera d'ailleurs une bonne partie de l'oeuvre du russe.

Ce roman est le premier de l'intégrale fictionnelle traduite par André MARKOWICZ, travail débuté en 1990 avec cette proposition aux éditions Actes sud, texte qui sera accepté mais à condition de ne pas être le premier proposé pour cette intégrale, car jugé par l'éditeur comme trop violent. MARKOWICZ proposera alors « le joueur » et l'aventure longue de 10 ans sera amorcée.

« Les carnets du sous-sol » est une curiosité car en moins de 200 pages il balaie une bonne partie des sujets de référence de DOSTOÏEVSKI, il fait mal, il heurte, il brûle, il ne se laisse pas le temps de souffler, il attaque et contre-attaque tout à la fois, il ne peut pas être sous-estimé.

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Qui est cet homme qui ressent le besoin d'écrire une confession ? Cet homme qui vit dans un trou, humide, noir et sombre comme son âme.

On saura juste qu'il a été orphelin, puis fonctionnaire. Un petit héritage lui aura permis de démissionner et de survivre dans la pauvreté.

Un homme méchant mais comme à contre-coeur. Un homme qui veut le mal, puis le regrette mais recommence.
Un homme bilieux, sombre qui semble se satisfaire d'être malheureux, qui réfléchit mais semble prisonnier de ses contradictions.

À vous lecteur de vous confronter à cette étrange et terrible confession divisée en deux temps : le premier où l'homme nous narre sa philosophie de vie et la seconde, où il se concentre sur un épisode terrible de son passé.

Ce roman est une expérience de lecture très intéressante. Dostoïevski nous peint un anti-héros, un homme que l'on déteste très vite. Un homme qui semble rejeter l'humanité, qui se plaît à haïr les gens, mais qui recherche leur compagnie à d'autres moments. Un combat perpétuel entre ses accès d'empathie, vite contrecarrés par des pulsions de méchanceté.

Au travers des pages, le lecteur se retrouve à explorer les recoins les plus sombres de la psyché, se perdant dans la logorrhée du narrateur.

Cet homme nous heurte par ses obsessions, ses fixations, ses prétendues offenses subies. le pire c'est qu'il est conscient de celles qu'il inflige, volontairement et malgré lui également.

Un homme enfermé dans ses paradoxes, malheureux au final.

Un récit incroyablement dérangeant que j'ai adoré et qui confirme, encore une fois, que Dostoïevski est un de mes auteurs préférés.
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Je me suis moi aussi lancé sur cette lecture en découverte de Dostoïevski ayant lu que c'est une pierre angulaire de son oeuvre avant la création de ses plus grands romans.
Récit construit en deux parties clairement distinctes. La première concerne principalement l'exposition par le narrateur de sa personnalité, de ses contractions profondes ou présentées comme tel au lecteur. Partie très intéressante au moins pour son originalité et son exploration de l'esprit humain dans quelques recoins rarement mis en avant.
La deuxième partie est beaucoup plus narrative et donc plus facile à lire, à suivre et reste tout aussi intéressante, même si moins tourné sur le dialogue interne du narrateur (pas absent non plus).
En résumé, la lecture de ce monologue torturé d'un homme qui cherche à se justifier auprès d'un hypothétique futur lecteur est très intéressante et originale pour moi.
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Dès le début, Dostoïevski nous prévient, ce sont certes des carnets imaginaires, mais ils peuvent exister, mais surtout, ils doivent exister pour pouvoir dessiner le portrait très psychologique et très subjectif d'un homme qui appartient au passé dans une société qui ne le représente plus, car pour l'auteur, c'est une « génération en survie ». Mais de quoi parle cette oeuvre ? Elle parle d'un homme niché dans son sous-sol et décrit à travers un journal intime sa vision de la société russe et certains événements de sa vie. L'homme en question est un être se sentant humilié, bafoué et affaibli, et pour se défouler, il écrit un monologue d'une grande férocité et un réquisitoire passionnément blasphématoire.

Coupée en deux parties bien distinctes, la première prend les contours d'un essai philosophique qui dévoile la face paradoxale du personnage. Il se présente comme un homme méchant et malade, un pauvre fonctionnaire sans relief ne faisant que passer sur Terre. Il expulse toute sa colère et sa rage enfouit en lui, on sent pertinemment que c'est Dostoïevski qui parle même s'il ne veut pas l'admettre. le désespoir de son protagoniste est comme dû à une auto-condamnation, car il se sent dominé par sa lucidité et sa conscience qui devient une grande souffrance à son égard. Il ne peut pas être un homme d'action, car il pense et donc ne peut pas agir, contrairement à ces hommes d'action et de raison qui n'ont pas de conscience et donc peuvent être heureux. Pour lui, la société ne peut pas être raisonnable, car l'histoire du monde n'a jamais été raisonnable. Son regard désabusé sur le monde est celui d'un être défiant à l'encontre du progrès et du matérialisme de son époque. D'ailleurs, la dimension du sous-sol renvoie à une sorte de clandestinité souterraine, comme s'il regardait le monde en contre-plongée. le discours est souvent tiraillé, il remet en doute tout, même son propre discours qui le paralyse métaphysiquement et physiquement. Il est donc difficile de suivre la pensée instable de ce personnage pour qui nos émotions changent constamment. Cette pensée est traduite par un style effréné et quasi sans temps mort, car le personnage balance son discours avec essoufflement et de façon ininterrompue. On peut donc avoir de l'empathie à son encontre, du malaise, du dégoût, le trouver pathétique, grotesque, pitoyable, terrible, drôle, intelligent ou encore pleurnichard.

Tout ce doute permanent s'aligne avec l'auteur lui-même qui a vu ses convictions changer au cours des années, rendant le propos de l'oeuvre difficile à saisir. Il a vu l'influence de l'Occident sur la Russie, et même prophétiser comment le mouvement des idées occidentales a métamorphosé son pays. C'est surtout le douloureux désarroi qu'il a eu pendant le bagne qui lui fait crier autant sa rage, son sarcasme, son chagrin et sa dépression. Afin de rendre plus concrète et moins abstraite toute la pensée de la première partie, Dostoïevski raconte des événements passés ayant marqué le protagoniste dans une deuxième partie s'intitulant « Sur la neige mouillée ». Quatre événements invitent à mieux comprendre le comportement du narrateur. le premier est celui d'une humiliation qu'il a vécu à cause d'un officier et veut se venger en l'offensant à son tour. Ensuite, il veut mettre en place une autre vengeance auprès d'un groupe de vieux amis s'étant moqué de lui et l'ayant tourné en dérision. Enfin, le protagoniste parle de son histoire avec une prostituée dont il profite de la faiblesse pour l'aider et ensuite cracher sa haine contre elle ainsi qu'à son valet qu'il déteste. Ces différents rapports que l'homme entretient sont constamment conflictuels, il veut absolument garder sa fierté auprès de ces êtres qu'il méprise. Sauf que l'homme fait preuve d'une lâcheté incessante en n'arrivant pas à assumer ses propres convictions à l'encontre des personnes. Il se perd dans ses propres décisions, ses propres masques qu'il a créés à travers ses nombreuses lectures et ne passe jamais réellement à l'acte, car il pense à ce qu'il aurait mieux valu faire ou éviter pour être plus approprié à la situation. le personnage fait quelque chose, remet en doute tout ce qu'il est et fait pour finalement se renfermer encore plus sur lui-même ou alors explose toute sa colère contre quelqu'un ne l'ayant pas mérité. Toute cette accumulation de haine l'emmène vers un désespoir inévitable et vers sa réclusion totale et son renoncement de la société.

Pour conclure, « Les Carnets du sous-sol » est un livre pessimiste qui dévoile l'esprit d'un être emprisonné par une conscience trop perçante et déchirante. L'oeuvre va aussi vite que cette pensée inarrêtable, comme si l'importance de cracher toute sa vision du monde était urgente. Prisonnier de sa haine et de son mépris pour la société de son époque, le narrateur est un personnage complexe et schizophrène. L'intelligence de la structure est de scinder le roman en deux parties : la première plus discursive et théorique qui donne un aspect essai philosophique à l'oeuvre et une seconde qui met en action la pensée du personnage. La conclusion en devient plus amère, car il n'y a pas d'issue pour cet homme qui s'enfonce dans l'accablement, ses angoisses et une solitude vertigineuse. C'est un roman d'une grande franchise, volontairement outré et exagéré, et voulant prôner un droit à la liberté, mais la liberté existe-t-elle pour Dostoïevski ? C'est toute la question torturée du texte. Car si la conscience ne permet pas d'agir et qu'elle est la grande maladie de l'homme, alors il ne faudrait plus avoir de conscience pour se sentir libre. Mais si nous n'avons pas cette conscience, donc, c'est-à-dire pouvoir gouverner toute la vie d'un humain par des lois scientifiques et mathématiques, c'est la mort, car l'homme n'a plus à penser. Il n'y a alors que la conscience qui peut permettre à l'homme d'être libre, même s'il doit souffrir avec, pour que la vie continue.
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