20 ans avant l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis, Frederick Douglass publiait un témoignage dans lequel il parlait de son expérience en tant qu'esclave, dans le sud et dans le nord du pays. A cette époque, les partisans de l'abolition de l'esclavage se servent des "slave narratives", les témoignages d'esclaves, pour étayer leurs argumentaires. Après la lecture de celui-ci, on en comprend aisément l'utilité.
La première remarque que je tiens à faire sur ce texte est qu'il est très bien écrit, et avec beaucoup d'élégance.
Les évènements qu'il relate valent tous les livres d'histoires que l'on peut trouver sur le sujet. On peut dire de ce témoignage qu'il est "complet" car il aborde tous les sujets qui permettent de connaître la vie d'un esclave dans les plantations du sud et dans les maisons du nord. En commençant par la différence qu'il existe entre les esclaves et les maîtres selon l'endroit où l'on se trouve.
Ce qui rend ce témoignage si marquant, c'est qu'il ne fait pas que narrer des évènements et décrire des conditions de vie mais il analyse aussi les procédés qui entretiennent l'esclavage et ceux par lesquels les êtres humains sont brisés pour ne devenir que des esclaves. Douglass explique de façon très simple et très clair comment le langage presque politiquement correct enferme les esclaves. Ou encore, comment avec perversité, les maîtres se servent d'un semblant de liberté donné à leurs esclaves pour leur donner la sensation que , finalement, ils sont bien mieux que s'ils étaient libres. Ce qui pourra expliquer pour des non initiés aux sujets pourquoi des thèmes comme l'alcool ou l'aliénation des liens familiaux hante la littérature afro-américaine moderne.
Autre point, presque touchant, c'est l'analyse minutieuse que l'auteur livre lorsqu'il nous dit en quoi le fait d'avoir appris à lire et à écrire a certes libéré son esprit, mais qu'en se libérant il n'en est devenu que plus malheureux.
Un témoignage fort et très intéressant à découvrir.
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Le témoignage autobiographique de la vie de Frederick Douglass, né esclave sur une plantation du Maryland est un incontournable des Slave Narratives. Un parcours extraordinaire de "maître en maître", pourtant quotidien de nombreux esclaves, entre violence gratuite et apprentissage par divers subterfuge de la lecture et de l'écriture. Cette vision de l'intérieur du système aberrant de l'esclavage est exposée de manière tellement simple qu'il n'en est que plus horrifiant.
Le plus intéressant concerne toute la rhétorique sur la nécessité de maintenir les esclaves dans l'ignorance pour pour favoriser et préserver un système déshumanisant basé sur la terreur, l'exploitation et l'injustice. Également passionnant, la choquante justification religieuse des propriétaires de plantations dans le sud et le paradoxe de la religion en terre d'esclavage... Douglass ajoute d'ailleurs un court chapitre de clôture désirant expliquer pourquoi il peut apparaître comme sans respect pour la religion. Ce qui n'est pas le cas, puisqu'il explique sa différenciation de la religion mascarade des esclavagistes et la religion chrétienne elle-même.
Un petit livre à ne pas manquer, droit au but, dont simplicité apparente du témoignage ne met que plus en évidence la complexité de l'esprit de l'auteur et son questionnement constant face à la condition qui a longtemps été la sienne et celle de millions d'autres.
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Frederick Douglass né Frederick Augustus Washington Bailey immerge la lectrice blanche et européenne que je suis dans un monde inconnu. "Vie d'un esclave américain" raconte son parcours personnel, de sa condition d'esclave à celle d'homme noir libre dans une société américaine raciste du XIXe siècle.
Sur la photo de couverture, il y a son portrait. Il est altier avec un regard sombre. On y lit toutes les épreuves traversées.
Sa narration est sobre, parfois pudique et aussi discret lors de certains évènements afin de protéger les hommes et femmes qui l'ont accompagné, aidé dans sa conquête de la liberté. Frederick Douglass est né dans le Maryland. Il ne connait pas la date exacte de sa naissance mais sait qui est sa mère. de son père, il souffre de le savoir blanc. Il a vécu loin de sa mère, ne l'a vu que quelques fois avant qu'elle ne meure. Les nourrissons esclaves sont enlevés à leur mère pour qu'elle puisse être disponible dans les champs de coton. Les esclaves étaient mal nourri et très peu vêtus. Les enfants circulaient nu jusqu'à ce qu'ils soient en âge de travailler, même l'hiver.
Frederick Douglass explique la conduite de ses différents maîtres. Son discernement, son intelligence se perçoivent dans sa description fidèle et mesuré de son expérience. L'apprentissage de la lecture a développé en lui un nouveau rapport au monde, l'a émancipé en quelque sorte. C'est à Baltimore que s'engage pour Frederick Douglass une nouvelle représentation de sa condition d'esclave et se forme son désir de liberté.
Edifiant.
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Les petits blancs savaient leur âge. Je ne pouvais imaginer pourquoi je devais être privé d'un pareil privilège. Il ne fallait pas songer à interroger mon maître là-dessus. Il aurait trouvé des demandes de cette espèce, de la part d’un esclave, inconvenantes et déplacées; il y aurait vu l'indice d'un esprit inquiet. D'après le calcul le plus approximatif que je puisse faire, je dois avoir maintenant de vingt-sept à vingt-huit ans. Je base ma supposition sur ce qu'un jour j'ai entendu dire à mon maître, en 1835, que j'avais alors à peu près dix-sept ans. Ma mère se nommait Henriette Bailey. Elle était fille d'Isaac et de Babet Bailey, qui étaient tous deux nègres et d'un teint très foncé. Ma mère était plus noire que ma grand-mère, ou mon grand-père. Quant à mon père, il était blanc. Tous ceux à qui j'ai entendu parler de ma parenté admettaient ce fait. On disait tout bas que mon maître était mon père. Cette opinion était-elle fondée, c'est ce que je ne puis dire ; car les moyens de le vérifier me furent enlevés.
O, why was I born a man, of whom to make a brute! The glad ship is gone; she hides in the dim distance. I am left in the hottest hell of unending slavery. O God, save me! God, deliver me! Let me be free! Is there any God? Why am I a slave?
A city slave is almost a freeman, compared with a slave on the plantation. He is much better fed and clothed, and enjoys privileges altogether unknown to the slave on the plantation.
Slaves sing most when they are most unhappy. The songs of the slave represent the sorrows of his heart; and he is relieved by them, only as an aching heart is relieved by its tears.
By far the larger part of the slaves know as little of their ages as horses know of theirs, and it is the wish of most masters within my knowledge to keep their slaves thus ignorant.
Frederick Douglass (1818-1895), le lion d’Anacostia : Une vie, une œuvre (France Culture). Photographie : American abolitionist and former slave Frederick Douglass. (Credit: Corbis/Getty Images). Production : Perrine Kervran. Avec la collaboration de Claire Poinsignon. Diffusion sur France Culture le 19 décembre 2015. Né d'une esclave noire et d'un maître blanc, lui-même esclave affranchi, Frederick Douglass devint l'une des plus grandes voix abolitionnistes américaines du XIXème siècle. Par Virginie Bloch-Lainé. Réalisation : Clotilde Pivin. Attachée de production : Claire Poinsignon. Avec la collaboration d'Annelise Signoret. Au 19ème siècle aux Etats-Unis, au cours des trente années qui précèdent l’abolition de l’esclavage en 1865, de nombreux esclaves affranchis racontent leur histoire. Publié et diffusé par les sociétés abolitionnistes, le récit d’esclave devient un genre littéraire. Steve McQueen a réalisé un film à partir de l’un de ces récits, “Twelve years a slave”, écrit par Solomon Northup. Mais la plus célèbre de ces autobiographies, depuis sa publication en 1845 jusqu’à aujourd’hui où elle a le statut de texte classique lu et étudié, c’est l’autobiographie de Frederick Douglass.
Né en 1817 d’une mère esclave et d’un maître blanc, Douglass connaît vingt années d’esclavage, sur une plantation d’abord, puis en ville, à Baltimore il parvient à s’échapper. Surdoué, sachant lire et écrire, Douglass raconte la violence dont il fut victime. Il donne des conférences très remarquées car il est un orateur exceptionnel. Rapidement, Douglass est davantage qu’un témoin de l’esclavage. Il s’engage en politique auprès des Républicains et conseille Lincoln pendant la guerre de sécession. Il fonde trois journaux, dirige une banque réservée aux esclaves affranchis, s’enrichit, fait faillite, épouse deux femmes dont une blanche en seconde noce. Douglass est un self-made man américain jusqu’au bout des ongles, irascible et génial.
Avec :
Claire Parfait , professeur de civilisation américaine à l’université Paris-Diderot.
Marie-Jeanne Rossignol,professeur de civilisation américaine à l’université Paris-Diderot.
Agnès Derail, maître de conférences en littérature américaine à l’ENS (Ulm).
Cécile Roudeau, professeur de littérature américaine à Paris III.
Hubert Haddad, écrivain, auteur de “Théorie de la vilaine petite fille” (éd. Zulma), un roman dans lequel apparaît Frederick Douglass.
Bibliographie :
Frederick Douglass, “Vie de Frederick Douglass, esclave américain, écrite par lui-même”, traduit de l’anglais (États-Unis) par Hélène Tronc (Gallimard).
Hubert Haddad, “Théorie de la vilaine petite fille” (Zulma).
François Specq, “De l’esclavage en Amérique”, (éditions rue d’Ulm).
William Wells Brown, “Le récit de William Wells Brown, esclave fugitif, écrit par lui-même”, traduit, introduit et annoté par Claire Parfait et Marie-Jeanne Rossignol (Publications des Universités de Rouen et du Havre).
Solomon Northup, “12 ans d’esclavage”, traduit de l’anglais (États-Unis) par Philippe Bonnet et Christine Lamotte (éditions Entremonde).
Source : France Culture
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