Abraham Lincoln, 16e président des États-Unis d'Amérique, est un personnage iconique de l'Histoire et la mémoire de son pays, mais il est aussi sans doute plus fondateur de sa nation que les pères fondateurs eux-mêmes... Pur self-made man il incarne à lui tout seul le rêve américain, car modèle de réussite sociale il a été et reste une figure de légende : ici on nous raconte sa vie des campagnes de l'Illinois aux bureaux de Washington avec comme pivot le Discours de Gettysburg qui inaugure et clôt le récit !
Aîné d'une famille recomposée, Abe s'est brouillé avec son père au point de prendre la poudre d'escampette pour être épicier, batelier, postier, fendeur de pieux, ouvrier agricole et apprenti arpenteur avant en bon autodidacte de devenir avocat... Acteur malgré lui des guerres indiennes et opposant à la guerre contre le Mexique, c'est au sein du Parti Républicain qu'il fait carrière avant d'accéder à la magistrature suprême grâce à la concurrence stérile de deux aristocrates du Parti Démocrate. Pas de chance pour lui, il devient le président d'un nation scindée en deux parties qui couraient à toute allure vers la guerre civile : le Nord fer de lance de l'industrie et du progrès, terre d'immigration et d'opportunité, mais protectionniste, le Sud société rurale et patricienne, sa douceur de vivre, son aristocratie et sa prospérité fondée sur l'esclavage, mais libre-échangiste...
C'est un personnage plus ambivalent que dans la légende nationale américaine qui est présenté ici, qui pense à relier l'Est et l'Ouest en même temps qu'il décide de suspendre l'Habeas Corpus, une force de la nature qui meurtrie dans son âme et dans chair devient un cadavre ambulant, un chef de guerre qui agit en leader pacifiste ou un leader pacifiste qui agit en chef de guerre, un homme intègre qui agit en manipulateur ou un manipulateur qui agit en homme intègre... Sans parler de son assassinat par John Wilkes Booth : Gandhi, Kennedy,
Yitzhak Rabin, décidément les défaillances des services de sécurité arrangent toujours les petits intérêts bien calculés des vautours ploutocrates...
Beaucoup de bonnes choses dans cet album : le souci de véracité historique, un effort de narration, un refus des clichés, les chouettes dessins de
Roberto Meli, les chouettes couleurs de Chiara Zeppegno, les bons appendices de
Farid Ameur, et le fait d'essayer de montrer l'homme derrière la légende... C'est là que le bât blesse, car comment entrer dans l'intimité de l'homme qui est tombé 7 fois pour se relever 8 fois en moins de 48 pages ? Une enfance difficile, la volonté de s'évader pour ne pas dire de rêver les yeux grands ouverts, la mort de son fils, la folie de sa femme, ses problèmes de santé, ses nombreux épisodes dépressifs voire psychotiques : on touche du doigt un individu bigger than life, et personnellement il m'a manqué un petit truc au final pour être complètement épaté et c'est vraiment bien dommage...
PS: comment une telle âme a pu être le leader et le fondateur d'un nation impérialiste et hypercapitaliste qui s'est donné comme dirigeant ce gros con populiste et suprématiste de Biff Tannen, euh pardon de
Donald Trump ? C'est un vrai mystère ! (ou pas, avec le culte de la connerie propre aux États-Unis)