Avec le recueil
Caisse claire, je poursuis ma découverte de l'oeuvre d'
Antoine Emaz, découverte tardive mais essentielle d'un très grand poète.
Choisis par l'auteur lui-même, en vue de l'édition en 2007 chez Points,
Caisse claire regroupent des poèmes écrits de 1990 à 1997 et publiés séparément chez plusieurs éditeurs.
Le recueil commence par un texte intitulé Poème du mur.
Le mur,
c'est l'image de l'existence indépassable, de notre insurmontable condition. Ce poème donne la tonalité du recueil tout entier.
Face à ce mur, à cette impasse, quelle place reste-t-il pour la parole ? Que faut-il attendre et espérer de la parole ? Dans cette attente presque imprévue,
Antoine Emaz écrit sur cet instant
de peu, temps refermé en lui-même.
C'est à la rencontre de ce mur imposant et du regard posé sur lui que naît l'écriture. D'abord hésitante, la parole finit par se déployer, composant avec d'autres lieux que sont un jardin, les bords d'un fleuve ou ceux d'un océan, avec d'autres temps, ceux de la solitude et de la vieillesse.
« Il y a du fleuve dissous dans cette lumière, et
de l'air
et des arbres, mais pas de vent.
C'est très calme – et
pourtant le pays passe, continûment bouge, emporte
les mots avec le reste. L'eau nous laisse, avec dans
les mains des mots qui coulent, plus lents. »*
Dans une alternance de poèmes en vers et en prose, de lignes brèves et plus longues,
Antoine Emaz évoque ce mouvement, cet effort de projection des mots du dedans vers le dehors, des mots au dehors de nous-mêmes, de notre corps, au-delà de notre souffle.
Chez Emaz, dire les choses permet de s'ancrer en soi, d'être au présent, d'éprouver le rythme de ce qui est et de ce qui n'est pas sans nous. Cet ancrage de la parole donne à l'écriture son épaisseur, sa raison d'être.
« Soir. Peu à voir sauf le ciel et la lumière qui baisse. Se
perdre et descendre, chuter lentement dans la couleur
trop légère pour porter plus que l'oeil. Passer dans la
teinte calme, quelque chose d'enrobant léger pas
blanc mais déjà plus vraiment bleu. Plus loin, il n'y a
Rien d'épais mais comme sans fin une suite de voiles
bleutés qui bougent. Aucun vertige. »**
Les poèmes d'
Antoine Emaz ont une temporalité sans mesures, sans repères. Elle n'apparait que dans le rythme, les décalages syntaxiques, les espaces
entre les mots. Comme le rythme apaisé d'une respiration.
Tous les poèmes de
Caisse claire touchent au mystère mais aussi au sublime. Dans un dépliement de la conscience, la poésie d'
Antoine Emaz est une t
erre colorée de belles sensations, comme une parole revenue en nous-mêmes.
« On revient sur les lieux
dans ce qui n'a pas été dit
et pourtant n'est pas silence
Violence dormante
On essaie de ne pas trop voir
ce qui nous regarde. » ***
(*) extrait de « Poème, Loire », 1996
(**) extrait de « Autant que possible », 1995
(***) extrait de «
Boue », 1997
.