Ce recueil de Hanns Ewers commence par la plus célèbre de ses nouvelles,
l'Araignée. Quand je dis célèbre, c'est très relatif, Ewers étant un des auteurs de littérature fantastique le plus méconnu. Côté érudition fantastique, il est blindé. Il traduit les oeuvre d'Auguste de Villiers de l'Isle Adam. Il écrit un court ouvrage sur
E.A. Poe. Je gage qu'il connaît
Maupassant et la plupart de ses contemporains. Il admire
Oscar Wilde sur qui il écrit une nouvelle assez originale. D'ailleurs, il est apprécié d'Huysmans, entre autres. C'est dire l'aura, à l'époque, d'Ewers. Côté érudition "ethnique", il parcourt le monde en tous sens. L'Amérique du Sud, du Nord, les Antilles, etc. Il se sert de ses connaissances pour étoffer ses nouvelles. On pourrait, par analogie à notre époque, parler d'un baroudeur... très dandy quand même, mais il roule sa bosse. D'ailleurs, ses nouvelles sont très souvent écrites à la première personne, comme s'il nous racontait un souvenir de voyage. C'est très fort.
Dans les biographies qui sont consacrées sur le Net à Hanns Ewers, on met le manque de notoriété d'Ewers sur un passage "à vide" de l'auteur. Quand il se laisse attirer par les sirènes du nazisme. Clairement, l'âme romantique d'Ewers va être attirée par l'impérialisme nazi. Il est à New York en 1914 et il est courtisé par l'Ambassade allemande. Il va s'ensuivre une période où il se rapproche du pouvoir, pour finir par tomber en disgrâce. Ses oeuvres seront interdites, même. Il aidera des amis juifs à échapper au régime. Dans ses nouvelles, pas d'antisémitisme, mais fort souvent des critiques à l'encontre des Allemands et une piètre opinion de ses concitoyens.
Revenons à
l'Araignée... une nouvelle assez claire sur des suicides étranges qui ont lieu dans une chambre d'hôtel. On va suivre un jeune homme chargé d'écrire un journal, de manière à trouver l'origine des suicides. Par la fenêtre, il voit une jeune femme dans la maison d'en face et il est séduit. Il va tomber sous l'emprise de cette beauté, comme une mouche dans une toile d'araignée. On est dans du Sheridan le Fanu, à mon avis, ou dans
le Repaire du Ver Blanc de
Bram Stoker. C'est bien écrit, mais cela m'a fait l'effet de déjà-vu. Il y a bien mieux dans le recueil.
L'intérêt des nouvelles d'Ewers réside dans l'observation de
l'âme humaine, des ressorts comportementaux, des relations entre les personnes, de la vie en société. C'est en ce sens qu'on dit de
lui qu'il préfigure la psychanalyse. Il y a un côté romantique, "fin-de-siècle", chez Ewers. Et de l'expressionnisme. Il était très attiré par le cinéma. Mais il se base sur de la science aussi, fort souvent. Et il le fait pour mieux amener l'explication fantastique, comme dans les nouvelles gothiques. Comme chez
Poe, qui est clairement un modèle.
La qualité des nouvelles doit surtout au climat malsain, occulte et souvent teinté d'érotisme latent. Beaucoup de non-dits. Une recherche esthétique, ce qui l'a sans doute projeté dans le nazisme aussi. Il aime raconter l'épouvante au quotidien. Il distille les éléments pour arriver à un climax, à une chute, souvent bien pensée.
Les nouvelles qui se détachent distillent une horreur qui préfigure
Lovecraft et les Grands Anciens. Une sur le vaudou, pleine de sexe brut, de stupre et de sacrifices. Une sur des corps momifiés. Une où le personnage principal déterre le cadavre d'un suicidé pour gagner les faveurs de la fille du décédé. Et une sur un peintre tombé amoureux d'une jeune femme morte des milliers d'années auparavant et prisonnière d'un bloc de glace. Ce sont des nouvelles d'une modernité de ton, pleines d'imagination et de punch. Au-delà de cela, il va traiter l'homosexualité et l'intolérance dans la nouvelle où
Oscar Wildelui parle. Il aborde aussi la schizophrénie (avec la transsexualité également) de manière fort scientifique avec une chute pleine d'humour. Il n'y a pas suicide, vu qu'une personnalité à voulu tuer l'autre...
Le hic vient surtout du recueil
lui-même. Pas de préface, à peine une postface. Pas de titres originaux des nouvelles. Pas de dates où elles ont été écrites. C'est très chiche pour une anthologie d'un auteur injustement méconnu.