J'aime bien Ferrari, même quand il me contrarie ou quand il délire sur les toilettes sèches. Je le voie comme un petit frère imaginaire, doué et fantasque. Ces entretiens révèlent plus le lecteur passionné que l'auteur passionnant. Je vois mal un apprenti écrivain s'inspirer des schémas de Jérôme. J'ai pris des notes sur les livres à lire ou à relire à la lumière des commentaires de ce philosophe. Je lis systématiquement les écrits de Ferrari. Ils me font du bien. Avis sans aucune garantie d'objectivité.
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Aujourd'hui, y a-t-il une véritable urgence à parler des photos et des images ? De l'usage qu'on en fait ? Et de la manière dont on les reçoit ?
Ce serait bien. L'urgence n'est pas seulement là. Il y a aussi la réception critique des informations. C'est catastrophique.
En pesant vraiment mes mots, je tiens dans son usage le plus répandu, Internet en général, et Facebook en particulier, pour d'abominables calamités. Des dangers majeurs pour l'exercice de la pensée, pour l'avenir d'un minimum d'intelligence.
Comme quoi, le pire est toujours sûr parce que j'ai toujours cru que la télévision était le pire instrument d'abrutissement imaginable, Mais Facebook vient de reléguer la télévision à l'âge de pierre.
Les gens, sur Facebook, et toutes sortes de gens, se comportent, pour la plupart d'entre eux, ni plus ni moins que comme des demeurés et des demeurés narcissiques par-dessus le marché.
On peut dire n'importe quoi, montrer n'importe quoi, il n'y a aucun recul critique même de la part de gens qui sont très certainement intelligents. C'est d'ailleurs très intéressant d'utiliser soi-même un outil qu'on déteste pour mesurer la facilité avec laquelle il nous transforme en imbéciles. Je ne pense donc même pas que l'intelligence individuelle soit en cause et je ne suis pas en train de traiter mes contemporains d'abrutis du haut de ma supériorité : je pense qu'on a affaire à un poison. (pages 149 et 150)
Vous n'avez pas de lecteur extérieurs ?
Si, bien sûr, j'ai des lecteurs extérieurs, mais je pense que, quand on en a besoin, c'est simplement pour valider le bon avancement du texte, ce n'est pas pour des conseils. Mon lecteur le plus habituel, c'est ma femme et, la plupart du temps, elle ne dit rien. Et je ne lui demande pas de me dire quoi que ce soit.
La plupart du temps, quand on fait lire son texte à quelqu'un, c'est pour s'entendre dire que c'est bien. Pas pour avoir des conseils. Mais si on ne prend pas le risque de la critique, il est inutile de le faire lire à quelqu'un, sauf si on cherche une petite gratification narcissique. C'est très difficile de trouver un lecteur de confiance, quelqu'un dont on sait qu'il n'hésitera pas à se montrer critique et qui, sans donner de conseils, se contentera de dire là, ça ne va pas et, éventuellement ça ne va pas pour telle et telle raison. (pages 133 et 134)
Je ne peux pas écrire quelque chose en quoi, d’une certaine manière, je ne crois pas. Je sais bien que c’est de la fiction mais, en même temps, il faut que j’y croie. Il faut que j’y croie parce que sinon pourquoi irais-je l’écrire ? Il faut que j’y croie et que ce soit comme si je regardais quelque chose qui se déroule dans une espèce de petit monde.
Ce que peut faire un roman, c’est justement poser un problème au niveau qui est le sien. c’est-à-dire pas dans les concepts. Pas dans l’analyse abstraite. Mais dans la singularité et l’incarnation.
Les Corses ne vous liraient pas ?
Je dois être lu à peu près dans les mêmes proportions ici qu'ailleurs, je pense. Je ne connais pas les chiffres. Et puis ici, à cause de cette solidarité clanique, les gens achètent systématiquement les livres de ceux qu'ils connaissent personnellement. Ce qui ne signifie pas nécessairement qu'ils les lisent. C'est un acte de soutien. (page 21)
Jérôme Ferrari, prix Goncourt 2012, est à l'honneur de cette nouvelle séance du cycle « En lisant, en écrivant ».
Qui est Jérôme Ferrari ?
Professeur de philosophie, Jérôme Ferrari obtient en 2012 le prix Goncourt pour le Sermon sur la chute de Rome, saga familiale inspirée par une phrase de saint Augustin : « le monde est comme l'homme, il naît, il grandit, il meurt.» Son dernier roman, À son image (2018), se penche, à travers l'histoire d'une photographe de guerre, sur le pouvoir évocateur – mais aussi l'impuissance – de la photographie.
En savoir plus sur les Masterclasses – En lisant, en écrivant : https://www.bnf.fr/fr/master-classes-litteraires
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