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EAN : 9782258199958
160 pages
Presses de la Cité (24/08/2023)
3.71/5   51 notes
Résumé :
Ma mère est morte le jour où fut achevée la maison de ses rêves. C’est mon père qui l’avait construite de ses mains. Pour elle. Et nous y avons emménagé, le lendemain de son enterrement. Sans elle.
Ce contretemps signa nos vies. Ni mon père, ni ma petite sœur, ni moi-même ne devions nous en remettre. Nous avons alors appris la mélancolie, sentiment si inapproprié au caractère des gens du peuple.
Toute cette histoire, ma vie d’enfant, je l’ai oubliée pe... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (21) Voir plus Ajouter une critique
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Un titre , une couverture, un résumé, qui m'ont amenées, à lire cette autobiographie.Une histoire émouvante, poignante, racontée tout en finesse, pudeur, d'une extrême fluidité, qui nous prend aux tripes, et impossible à lâcher cette lecture jusqu'à la fin, Il n'y a aucun voyeurisme, l'auteur nous partage un moment de sa vie , cela a du lui du prendre du temps pour qu'il puisse en parler, il est toujours difficile de ce mettre à nu face à des lecteurs , cette autobiographie, est une sorte d'exécutoire, utiliser les bons mots pour exorciser ses démons. Loin de ses talents de dessinateur, il nous livre son vécu douloureux,
Son récit débute avec son père , dans une EPHAD,où la mort le guette . Ce père , avec depuis son enfance, a toujours eu du mal à communiquer. Un récit familial qui remonte sur plusieurs générations, une famille ouvrière, un père communiste, sa rencontre avec sa mère Renée, un mariage des enfants, tout ce qui aurait pu être synonyme d'une vie heureuse,Son père, maçon de métier, décide de construire pour sa femme, la maison de ses rêves, Cette femme, cette mère qui n'aura pas le temps de connaître , de vivre dans cette demeure, Atteinte d'un cancer, elle décédera à 39 ans . Un père, un fils une fille qui seront marqués à jamais par ce triste drame. L'auteur décide de quitter la France pour l'Angleterre, se reconstruite, fonder une famille , et devenir un excellent dessinateur, sa soeur, totalement détruite psychologiquement qui n'arrivera pas à accepter le décès de sa mère . Ce père , avec qui, le narrateur n'arrivera pas à communiquer, un père avec qui , il réfute toute ressemblance, surtout ne pas s'identifier à lui.Un récit qui ne tombe pas dans le pathos,bien au contraire, tout est narré finesse, nous ressentons toutes les émotions de l'auteur. Un livre qui nous met dans le questionnement, apprendre à aimer, profiter, de la vie avec nos proches,après il sera trop tard, et les regrets pourront prendre l'ascendant . Une histoire qui m'a émue le titre prend tout son sens, au fil de la lecture. Une lecture que je vous recommande.
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Comment j'ai fini par ressembler à mon père

Régis Franc a délaissé la table à dessin pour dresser la chronique familiale, raconter les drames et l'incompréhension qui ont jalonné son parcours et rendre un bel hommage à son père. Un récit plein de pudeur, mais à fleur d'émotion.

C'est en voyant son reflet dans une vitrine de Londres que le narrateur a compris qu'il avait désormais l'apparence et la démarche de son père défunt. Rattrapé par le temps qui passe en quelque sorte. L'occasion de dresser un premier bilan, de raconter aussi la vie de tous les défunts qui ont jalonné sa vie, et en particulier celle de son père qu'il a mis en terre dans le caveau familial de Lézignan-Corbières. Sa mort aura provoqué chez lui, qui a vécu sa dernière année dans la maison de retraite qu'il avait surnommé "le chenil",
On a porté le corps dans la tombe où il a retrouvé sa fille, ma mère, son père, sa mère, sa soeur. du bord de la fosse j'ai contemplé tous ceux-là, leurs boîtes usées par le temps. Ils étaient posés au fond. Tous les miens."
Tous les siens qu'il ne peut laisser. Faisant fi de ses obligations, il décide de passer encore quelques jours dans ce sud où il a grandi et où désormais il sera toujours seul. "Sans but véritable, j'allais vers la mer, je suivais les collines, les garrigues, les chemins des étangs. Les salins, les roseaux. (...) Et devant moi, la Méditerranée, notre mer, ma mère étaient là. Eh bien, puisqu'il s'agissait de commencer. Commençons".
L'écrivain va alors plonger dans ses souvenirs et faire revivre ceux qui l'ont accompagné et qui ont forgé sa personnalité, quelquefois par affection, quelquefois en réaction et aussi quelquefois par le grand vide qu'ils ont laissé. C'est notamment le cas de sa mère qui après avoir partagé les années noires avec son mari, l'a vu s'en sortir à force de travail, gagner sa vie comme maçon et construire la maison dont elle rêvait et qu'elle n'habitera jamais. "Ma mère s'éteignit le 24 juillet 1960, on l'enterra le 27, la maison fut terminée le 1er août et nous déménageâmes. Ce contretemps signa nos vies. Voilà comment nous entrâmes épuisés et vaincus dans une maison moderne, si moderne et si désirée par elle. Sans elle. Ni mon père, ni ma petite soeur, ni moi-même ne devions nous en remettre."
Le petit garçon devient rebelle, délaisse une scolarité qui l'ennuie, sa soeur plonge dans une dépression qui l'entrainera dans une spirale mortifère et son père cherchera refuge dans le travail, oubliant sa famille, alors même qu'il lui apportait là une preuve d'amour. Mais ses enfants ne le comprendront pas, ne voyant que le grand vide qu'il laissait.
Comme il le confiait à Romain Brethes dans les colonnes du Point à l'automne dernier: «Je fonctionne par cycle de dix ans. Après le Café de la plage, j'ai continué la bande dessinée quelque temps, puis je me suis lancé dans le cinéma, entre 1985 et 1995 environ. J'ai beaucoup espéré du cinéma, et j'ai été beaucoup déçu. Puis, jusqu'en 2004, j'ai livré pour ELLE une page qui s'intitulait "Fin de siècle". Ce sont mes derniers exploits dans le dessin. Et, un jour, j'ai accompagné la femme que j'avais rencontrée pour un tournage à Londres qui devait durer trois mois. Nous y sommes restés finalement quatorze ans!» La littérature a suivi avec un premier roman, du beau linge, paru en 2001. Un cycle qui se poursuivra jusqu'en 2012 avec London Prisoner.
Après une petite récréation sous forme d'un album hybride rassemblant textes, photos, pastels et crayonnés, et qui raconte l'histoire du domaine viticole de son épouse, La Ferme de Montaquoy, le voilà donc reparti dans un cycle d'écriture, pour notre plus grand plaisir.
Servi par une plume élégante, toute de pudeur contenue, Régis Franc dépose ici la quête d'un fils à la recherche de son vrai père, raconte la France des Trente glorieuses qui aura vu la classe ouvrière ramasser les miettes d'une prospérité économique qu'elle a pourtant construite de ses mains et dresse en creux un autoportrait tout en nuances, plein de tendresse et de mélancolie.

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Alors que son père vient de mourir en EHPAD, le narrateur (l'auteur) qui s'était éloigné depuis ses 18 ans, retrouve la maison de son enfance en Occitanie, la Méditerranée, le souffle du vent, les odeurs de la pinède et se remémore sa famille, sa jeunesse à la faveur de photos jaunies retrouvées dans une boîte à chaussure. Encore une fois, j'ai été attirée vers ce roman par le tableau de la couverture qui montre deux enfants souriants, ce qui invite à l'optimisme et au bonheur mais la couverture de ce roman autobiographique est trompeuse.
On sent les regrets d'un fils qui n'a jamais su communiquer avec son père, ancien maçon, militant communiste, félibre (écrivain, poète en langue d'Oc) auquel il s'aperçoit qu'il ressemble physiquement, ce qu'il ne souhaite pas.
On sent la profonde tristesse que déclenche encore l'évocation de sa mère, morte à 39 ans, alors que sa jeune soeur et lui étaient encore des enfants. Alors que dans de très nombreux romans, la maison est synonyme d'enfance heureuse, de moments joyeux, ici elle ne rappelle que la mort de la mère qui est décédée quelques jours avant qu'elle ne soit terminée et que le père du narrateur avait construite de ses mains pour l'amour de sa vie. Il n'a eu de cesse de s'en éloigner, ce qu'il a fait après avoir fait son service militaire en Allemagne pour devenir dessinateur, illustrateur à Paris.
On sent la mélancolie d'une période révolue, même si l'auteur ne tombe pas dans le travers du "c'était mieux avant"; certaines descriptions m'ont rappelé mon enfance et j'ai souvent souri à ces souvenirs : attendre la fin de la digestion avant de se baigner pour ne pas risquer l'électrocution, les pique-nique sur la plage, les horribles maillots tricotés (si, si !!!!) qui absorbaient l'eau et pendaient lamentablement, qui piquaient la peau.
Ce texte est pudique mais fort et émouvant comme le sont tous les rendez-vous ratés de la vie, teinté de mélancolie, voire de tristesse au souvenir de la mère, ce qui nous le rend proche.
#Jevaisbien #NetGalleyFrance
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Je vais bien. Tout un programme. C'est exactement le genre de phrases que je dis en ce moment et qui ne reflète pas du tout mon état d'esprit. C'est ce titre qui m'a tout de suite attirée lorsque j'ai vu ce livre. Puis le résumé a continué de faire son travail d'attirance. Je me suis tout de suite sentie proche de ce livre et surtout de l'histoire. J'avais donc très envie de la découvrir et en même temps de lire un nouvel auteur.

Le résumé commence par le fait que la mère du narrateur est morte, et en fait le livre commence par la mort de son père. le narrateur est l'auteur, il va raconter sa vie, et celle de ses parents. Au début du livre, le père du narrateur est en EHPAD et est en fin de vie. L'auteur a déjà perdu sa mère, très tôt, il n'avait que 12 ans. Et c'est l'histoire de toute la vie de cette famille, car le mauvais sort s'en est mêlé. Son père, Roger, maçon, construisit la maison que sa femme Renée rêvait. Elle est malade d'un cancer, il se dépêche de construire cette maison, elle est morte le 24 juillet, enterrée le 27, et la maison terminée le 1er août. Coup du sort, peut-être, en tout cas, cela va marquer à vie le jeune garçon, sa petite soeur et son père. le narrateur n'aimera pas vivre dans cette maison où l'absence de sa mère est trop forte. Il revient sur les origines de ses parents, fils d'ouvrier en Occitanie, on suit déjà le grand-père au début du siècle, puis pendant la guerre. Puis il retrace la naissance de son père, de son enfance, des études qu'il aurait pu faire, mais il fallait travailler. Il est communiste, il a le verbe haut, son franc parler. Il rencontre Renée et en tombe tout de suite amoureux, puis ils ont un premier fils, puis une fille.

On va suivre cette famille sur plus d'un siècle, au travers de tous les changements qui ont eu lieu, les deux guerres, les reconstructions, les années folles, les trente glorieuses, les années 60, la liberté retrouvée. Au travers de son père, Régis Franc se raconte aussi, son enfance avec sa soeur, ses parents, les belles années qu'ils ont vécu ensemble. Puis la déchirure avec la mort de sa mère, son père qui s'en remet très mal, les non-dits qui vont exister entre le père et le fils et les malmener toute leur vie. Sa soeur, qui va très mal supporter ce deuil traumatisant. Jusqu'à la fin de son père, le fils vit à Londres, a sa propre famille, son métier de dessinateur. Et cet événement le fait revenir dans la région de son enfance, et remuer bon nombre de souvenirs, d'odeurs familières. Se retrouver orphelin fait remonter en lui tous les événements qu'il a vécus.

Je me suis tellement reconnue dans le narrateur. Je n'ai pas vécu les mêmes choses que lui dans son enfance, mais le récit de son père malade et mourant, est exactement le même que j'ai vécu au début de l'année avec ma maman. Je savais en commençant ce livre qu'il allait remuer en moi beaucoup d'images, j'en ai eu une appréhension, et en fin de compte, je me suis rendue compte que ça me faisait du bien, c'était une façon pour moi de repenser à ma maman. Lire l'histoire de quelqu'un inconnu pour moi, qui a vécu la même chose, m'a fait me rendre compte que ce que je me reprochais de ne pas avoir fait était aussi vécu par d'autres personnes dans la même situation. J'ai énormément pensé à ma maman, et ça m'a fait du bien. L'auteur a perdu sa maman bien plus tôt que moi, on ressent encore l'énorme tristesse qu'il vit lorsqu'il en parle, c'est une blessure qui ne se refermera jamais totalement. C'est ce que je ressens également.

J'ai été extrêmement touchée par ce récit. J'ai aimé découvrir la vie des parents de l'auteur. En le lisant, je me disais qu'il avait de la chance de pouvoir retracer aussi bien l'histoire familiale, j'ai plein de lacunes de mon côté, et ce vide est souvent difficile à vivre, j'ai l'impression qu'il me manque des racines et de ne pas être complète. J'ai ressenti beaucoup de compassion pour l'auteur. J'ai suivi la vie de sa famille et la sienne avec beaucoup d'avidité. le roman n'est pas très long, et j'ai eu beaucoup de mal à le quitter. J'avais tellement envie de savoir que je ne voulais pas le lâcher sans avoir de réponses. Car il arrivera d'autres graves événements dans la vie de l'auteur et de son père qui les marqueront encore plus.

J'ai beaucoup aimé le style de l'auteur, une très belle fluidité dans les phrases. Parfois, le rythme est plus saccadé, les phrases plus courtes, et cela rend la lecture encore plus intense. La narration est émouvante. L'auteur sait faire passer au travers de ses mots l'intensité de ses sentiments, mais aussi les odeurs de sa région, l'accent chantant de ses grands-parents, le vent, la mer. Je ne connais pas cette région et ce livre m'a donné très envie de la découvrir. J'ai ressenti aussi toute la mélancolie de l'auteur, toute la tristesse ressentie, toute la nostalgie que le départ de son père a créée. Lorsque nos parents partent avec leurs secrets, cela provoque un vide en nous, une sensation d'inachevé, et l'auteur le montre bien. On ressent toute l'amour que cette famille ressentait pour chacun d'entre eux, même s'ils n'ont pas réussi à mettre de mots dessus. Avant, il ne fallait pas montrer les sentiments, ceux-ci s'exprimaient par un regard, un sourire qu'il fallait alors capter. J'ai connu ça avec mes parents, qui étaient des taiseux, ce n'est pas facile pour l'enfant de décrypter tout cela.

J'ai passé un excellent moment avec le récit de Régis Franc. Il m'a beaucoup émue, touchée. J'ai aussi aimé les souvenirs du passé, de la guerre, ou des années d'après, j'ai retrouvé certaines expressions que ma grand-mère disait sur les Allemands de la guerre. J'ai aimé découvrir la plume de l'auteur, très poétique, très sensible. Je le relirai avec plaisir, et surtout, je vais garder ce livre précieusement dans ma bibliothèque pour le relire, ou tout du moins certains passages. Je ne peux vraiment que vous le recommander, ce n'est pas une histoire triste, mélancolique oui, mais très belle, et qui fait aimer la vie. Et surtout, surtout, elle laisse aussi le message de ne pas taire nos sentiments à ceux qui nous sont chers. C'est ce que je retiendrais de primordial de la lecture de ce livre.

Je pense que Régis Franc ne lira jamais cette chronique, mais je tiens, à travers elle, à le remercier pour tous les souvenirs qu'il a fait revivre en moi, et pour ce très bon moment de lecture. Et je remercie également les éditions Les Presses de la Cité pour cette très belle découverte et pour ce service presse de qualité.
Lien : http://marienel-lit.over-blo..
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Encore un récit familial qui n'a d'intérêt que pour celui qui l'écrit. Pas de phrases qui déroutent, pas de pensées déroutantes. de son grand-père à lui même, et tous les morts qui les accompagnent, les année passent comme les pages de ce livre. Tant pis. On est bien content qu'il aille bien, et après ?
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critiques presse (3)
LeMonde
06 novembre 2023
Des phrases modestes, précises et délicates à la fois, retenues. Une très grande acuité sociologique, doublée d’un infini respect pour les maçons, les vignerons, tout le petit monde dont il est issu. Avec Je vais bien, Régis Franc signe un splendide récit autobiographique.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeFigaro
17 octobre 2023
Le dernier livre de l’écrivain français est un geste familial d’une dignité et d’une sobriété splendides.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
SudOuestPresse
09 octobre 2023
L’auteur de BD, cinéaste et écrivain revient avec un livre bouleversant. Il se souvient de son enfance à Lézignan-Corbières et fait revivre ses chers disparus.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
C’est arrivé d’un seul coup. Comme une apparition. Il se peut que, sidéré, je me sois exclamé à voix haute : « Oh mon Dieu… » J’eus l’impression de traverser le miroir. Oui, il était là, dans le reflet de l’imposante vitrine du magasin vers lequel je me hâtais comme tous, au passage piéton, dans la foule de Brompton Road. Il venait, j’allais vers lui. Un léger effroi m’a saisi. « Eh bien, nous y sommes », ai-je murmuré. Car ce mirage dans la vitrine, cet homme engoncé dans mon pardessus, mon cher vieux manteau usé de Muji, fabricant japonais, n’était plus moi. Ou l’idée que j’avais de moi, je veux dire ce type qui habitait mon corps et que, vaille que vaille, toujours un peu agacé, je m’étais, avec le temps, habitué à côtoyer. Désormais je marcherais, je le voyais bien, de ce pas chaloupé. Mains calées au fond des poches. Regardant sans rien voir, confit dans une sorte de méditation hasardeuse puisque ainsi il chemina tout au long de sa vie. À mon tour, j’irais de ce pas. Un pas dansant. Même taille, même tête, j’étais devenu lui. Lui, « Bataillé »… Je n’ai pas trouvé là une nouvelle qui puisse me réjouir. Jamais, oh je le jure, je n’ai voulu ressembler à mon père. Si bien que, face au miroir, pris dans le flux des Londoners, je me suis rappelé ce commentaire trouvé je ne sais où à propos de tribus primitives, de leurs rituels. Pourquoi enterraient-elles leurs morts sous un tas de pierres ? La réponse m’avait fait sourire : Pour qu’ils ne se relèvent pas. Mort en paix, et depuis enfoui sous la terre, mon père relevé était là, il habiterait désormais mon manteau. Bon. Il me faudrait faire avec…

Tout alla de travers durant le mois de décembre. Depuis l’automne son corps avait commencé à l’abandonner et si sa tête, sa volonté restaient intactes, ses jambes maintenant refusaient de le porter. Il était épuisé. Il tombait. Il avait honte, il se sentait humilié. La dignité lui commandait de rester debout. Un genou à terre, il s’excusait, grommelait que ça n’était rien, interdisait qu’on l’aide, se redressait tant bien que mal. Exigeant d’une voix qui ne supportait pas de réplique qu’on lui foute la paix. « Il n’y a rien à voir », disait-il, tamponnant son visage en sang avec un torchon trouvé là, et son médecin accouru me rapportait qu’il était furieux.

À son arrivée au « chenil » – il appela ainsi la maison de retraite où il avait choisi de terminer sa longue course –, il ne s’émut pas. Sans se retourner, il venait de quitter sa chère maison, sa vie d’avant, toute sa vie, emportant dans un sac plastique à 20 centimes, spécialité de Carrefour, un de ces pauvres pyjamas rayés dont les vieillards ont si souvent le goût. Il avait ajouté quelques chemises repassées.
« Au cas où le soir, il y aurait dancing », précisa-t-il.
J’ai toujours aimé chez lui cette fausse tranquillité. Son humour. Ceci par exemple :
« Bon, puisque me voilà dans un nouveau quadrille parfumé à la soupe aux choux, n’y aurait-il pas ici quelque raison de se réjouir ? Salue-t-on ceux qui sortent les pieds devant par des salves d’applaudissements, une haie d’honneur ? Il faudra y penser… Nous créerons le comité Adieu à la Vie. »
Afin qu’il se sente un peu à la maison dans cette chambre si commune, où, avant lui, étaient venus s’éteindre d’autres de son âge, j’avais couvert les murs de photos, témoignages de ce qu’il avait été. On l’y voyait jeune et « vaillant ». Joyeux. Vivant.

Ainsi s’écoula cette année où il vécut au « chenil », s’asseyant le soir au réfectoire pour manger la purée de pois cassés sans sel parmi ses nouveaux camarades, arrivés pour la plupart sans bien savoir comment, eux que leurs familles n’avaient pas pris la peine de secourir au seuil de la pause éternelle et qui recréaient ici, vaille que vaille, une sorte de société. Un pittoresque club de cabossés. De sourds. De béquillards. Mme Lucette Fabre-Petit ne quittait pas sa chambre sans ses boucles d’oreilles en plaqué or 18 carats, serties de brillants. Patiente, Lucette la dorée attendait un silence pour entamer un épisode glorieux, déjà dix fois répété, de sa vie mignonnette « quand elle habitait Toulon ». À sa droite, M. Martinelli Gregorio, « son fiancé », ancien garde-chasse. Et aussi Mme Bonnet, considérablement tordue, abîmée, tremblante, montrait un petit museau où se devinait une réelle bonté, un vrai grand cœur, une âme claire, paisible. Tous, doux, perdus, déjà éloignés du monde, gardant un bon sourire. Dans cette ménagerie sans barreaux vécut mon père. Un an où, parmi tous ceux-là, il peaufina sa légende.

Quand vint l’automne, il était pensionnaire depuis janvier, glissant sans illusions vers l’ombre, curieux, il ne quittait presque plus son lit, souffle court, protégeant son front d’une main tachée de fleurs de cimetière et moi, maladroit venu le visiter, je baissais la tête, perclus de culpabilité. Il voyait que je voyais tout ça, « la tôle rouillée, usée », haussait les épaules et me lançait, ironique :
« Pas mal, non ? »
J’avais le cœur serré. Il m’arrivait de m’éloigner de sa chambre pour me réfugier dans le couloir, incapable de supporter longtemps la vue d’un vieil homme à la peine.

J’aurais dû être doux et compatissant, je restais sans voix, sans chaleur, incapable de trouver le bon tempo. Submergé par de lourdes envies de fuite, je résistais, adossé au mur de la loggia où trottaient les employées poussant des fauteuils dans lesquels gémissaient de pauvres choses accablées. Je tâchais de faire bonne figure face aux autres grands vieillards passant par là, des au-bout-du-rouleau, des ex-êtres humains qui nous connaissaient depuis toujours et se fendaient d’un sourire édenté en me parlant naturellement dans la langue d’oc, celle d’ici :
« Eh bien ? Ton père ? Comment va-t-il aujourd’hui ? Ne t’en fais pas. Il s’en sortira, vaï. On le connaît. C’est un Bataillé, non ? Un combattant. »

Le soir venu, je quittais sa chambre avec l’impression d’avoir accompli un devoir majeur comme un minable. Et j’allais de l’autre côté de la ville pour dormir dans sa maison, cet ancien rêve parfait de sa femme. Ma mère. Maison d’ouvrier qu’il avait, pour elle, bâtie de ses mains. Et qui n’avait pas bougé. Dessinée dans l’esprit des années 1960, telle que de malins architectes l’avaient inventée quand les Français sortant des troubles du siècle avaient découvert la modernité, salle de bains et frigo compris. Des « villas » (on les appela ainsi) avec pierres taillées apparentes sur la façade, rampes en fer forgé et de larges ouvertures pour rôtir au soleil, contresens d’experts du Nord à l’usage des gens du Sud. Maison où jamais, hélas, hélas, hélas, ma mère qui en avait tant rêvé n’était entrée, malgré les efforts que lui, le maçon, avait déployés, travaillant quinze heures par jour afin de finir ce palais dédié à celle qu’il aimait de tout son cœur. Et morte une semaine avant la fin des travaux, à 39 ans, comme c’est triste. À quelques jours près, ça aurait pu aller, oh, quelques jours, ça n’était pas grand-chose.
Mais non.

Ma mère s’éteignit le 24 juillet 1960, on l’enterra le 27, la maison fut terminée le 1er août et nous déménageâmes. Ce contretemps signa nos vies. Voilà comment nous entrâmes épuisés et vaincus dans une maison moderne, si moderne et si désirée par elle. Sans elle. Ni mon père, ni ma petite sœur, ni moi-même ne devions nous en remettre. Nous apprîmes alors la mélancolie, sentiment si inapproprié au caractère des gens du peuple. On note ça sur les photos. Si tous les trois nous affichons un demi-sourire, c’est que la joie s’était pour moitié glissée dans la tombe : elle ne remonterait plus. Il se pourrait qu’ici, je finisse par ce court récit un si long deuil.

Mon père, Roger Alphonse Franc, était maçon. Il avait les mains courtes, dures. Et militant, il avait le verbe haut, ne laissait personne parler à sa place. Et poète, il écrivait des vers interminables dans la langue du Sud, cette merveille oubliée qui m’embrumera toujours les yeux.
Des poèmes de félibre à la gloire du Languedoc. Des hymnes à la fraternité ouvrière. Il aimait Marcel Pagnol d’Aubagne, la Catinou du Grenier de Toulouse, Charles Trenet de Narbonne, notre capitale, Gruissan Plage au bord de la mer, ses chalets sur pilotis, Lézignan-Corbières, sa « ville » de 3 500 habitants et, comme tous ceux de son âge, il connaissait et respectait Victor Hugo, le grand Français. Mon père lisait, il écrivait. Les femmes assuraient qu’il avait une belle voix, il chantait « du Tino ». Quand il plâtrait une pièce vide, il chantait « … et je vous dis que je vous aime, mon amour… ». Dans la pièce à côté, le carreleur aussi chantait. Et plus loin, le plombier chantait. L’électricien ne chantait pas, impossible pour lui qui avait toujours une vis dans le bec et des doigts trop gros pour de si petits écrous.

Là était le charme de la classe ouvrière.
Celle aperçue dans Jean Renoir, Duvivier ou Grémillon. Carné, bien sûr. Tous ceux-là, « la belle équipe », étaient « rouges ». Ils n’en faisaient pas une histoire. Ils lisaient en diagonale L’Humanité, un point c’est tout. Demande-t-on aux gens des beaux quartiers de qualifier leur allure, de justifier leurs souliers vernis ? Qui oserait ? Ces rouges-là étaient frères, ils avaient « fait la jeunesse » ensemble, connu des grappes de filles au bal, à la rivière, des qui gloussaient déjà en les voyant venir. Des filles d’ici, sœurs, voisines, cousines en pique-nique, assises sur le bord de la nappe blanche, des filles qui leur criaient :
« Eh, dis donc ! Elle te plaît ma cousine ? Attention là ! Tiens-toi donc tranquille ! Je t’ai repéré, tu es un rouge !
— Eh bé, c’est-à-dire que…
— Vas-y ! Tu la fais danser, tu as le béguin, ne mens pas, tié tout rouge le rouge… »
On avait bu du panaché, de la grenadine, du Picon, les couples s’étaient trouvés. Comme la guerre avait brisé le cours des choses, on avait attendu en faisant pénitence et puis, la guerre finie, on avait rattrapé le temps. On eut des enfants. L
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Regis Franc signe là un beau récit familial, un livre sur la condition ouvrière , un texte sur le deuil et le manque.C’est un livre empli de sincérité, particulièrement touchant .
L’auteur a la nostalgie de cet « Éden ouvrier »des années 1950 où ses parents, sa sœur et lui vivaient modestement à Lézignan corbières mais vivaient ...
Le père c’est Roger Alphonse Franc, ouvrier maçon et militant, il écrit de longs poèmes en patois languedocien .D’ouvrier, il devient patron, il construit des maisons pour les autres et pour sa famille il bâtit «  L’ensouleiado ».
La mère c’est Renee Angely. Roger et elle se marient en 1941.Elle décède d’un cancer à 39 ans , 6 jours avant d’emménager dans la maison neuve.Sa disparition plonge son fils et sa fille dans un profond abîme qui les habitera toute leur vie, la sœur cadette de l’auteur ne s’en remettra jamais .
L’auteur quant à lui trahit, il quitte le sud à 20 ans pour trouver sa voie dans le dessin.Comment le père et le fils vont-ils communiquer ?
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Incipit :
C’est arrivé d’un seul coup. Comme une apparition. Il se peut que, sidéré, je me sois exclamé à voix haute : « Oh mon Dieu… » J’eus l’impression de traverser le miroir. Oui, il était là, dans le reflet de l’imposante vitrine du magasin vers lequel je me hâtais comme tous, au passage piéton, dans la foule de Brompton Road. Il venait, j’allais vers lui. Un léger effroi m’a saisi. « Eh bien, nous y sommes », ai-je murmuré. Car ce mirage dans la vitrine, cet homme engoncé dans mon pardessus, mon cher vieux manteau usé de Muji, fabricant japonais, n’était plus moi. Ou l’idée que j’avais de moi, je veux dire ce type qui habitait mon corps et que, vaille que vaille, toujours un peu agacé, je m’étais, avec le temps, habitué à côtoyer. Désormais je marcherais, je le voyais bien, de ce pas chaloupé. Mains calées au fond des poches ? Regardant sans rien voir, confit dans une sorte de méditation hasardeuse puisque ainsi il chemina tout au long de sa vie. A mon tour, j’irai de ce pas. Un pas dansant. Même taille, même tête, j’étais devenu lui. Lui, « Bataillé »… Je n’ai pas trouvé là une nouvelle qui puisse me réjouir. Jamais, oh je le jure, je n’ai voulu ressembler à mon père. Si bien que, face au miroir, pris dans le flux des Londoners, je me suis rappelé ce commentaire trouvé je ne sais où à propos de tribus primitives, de leurs rituels. Pourquoi enterraient-elles leurs morts sous un tas de pierres ? La réponse m’avait fait sourire : Pour qu’ils ne se relève pas. Mort en paix, et depuis enfoui sous la terre, mon père relevé était là, il habiterait désormais mon manteau. Bon. Il me faudrait faire avec…
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À quel moment s'éclipsent en douce nos vies, faites d'instants magiques, aventureux, où l'inattendu, l'émerveillement, l'effroi, le cœur qui bat nous bousculent ou nous débarquent à vive allure ? Serait-ce quand une photo abandonnée dans une boîte à chaussures indique, à la coupe d'un chandail trop porté, à la terrasse du café d'une ignoble banalité, aux sourires d'amis dont on a oublié le nom, que rien n'avance plus, que demain sera aussi bête qu'aujourd'hui, que c'est fini ? Vieillir. 
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Affectueux ? Je ne l'avais été ni dans mon jeune âge, ni plus tard. Toujours, j'ai déçu les miens, comme c'est triste.
Mais quels espoirs bâtissent donc père et mère, scrutant les premiers pas de leurs enfants ? Qui sait reconnatre l'instant où nos destins, une fois venu ce « plus beau jour de la vie », basculent vers l'ombre, l'oubli. 
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