Poupée de marbre

I

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Paul venait de pousser la porte à tambour d’un rade si branché qu’il n’accéda au bar que difficilement !… Tant il y avait de monde !… Il avait envie de s’évader… Dès le premier coup d’œil, le lieu lui plut, à la fois par la fantaisie du décor et ses dimensions hors du commun : on y respirait en dépit de la foule !

Aucune femme fatale en vue !… Tant mieux ! songea-t-il. Il pourrait boire plus que de raison, pour oublier les turpitudes de la journée. Il commanda une Adelscott. Trois balles, lui dit-on. En bon français, on aurait parlé d’euros, mais, ici, c’étaient des balles !… Pourquoi ?… C’était sans doute « chébran » !

Les yeux vagues, rivés sur des bulles qui s’épanchaient, il méditait, insouciant de l’agitation des noctambules. Il jeta subrepticement un regard vers un halo fade sur le mur, y représentant la pendule : minuit dix ! À quelle heure était-il entré ?… Peut-être aux douze coups de minuit, comme dans un conte singulier !…

Tandis qu’il observait la promptitude des barmaids et barmans, une blonde était arrivée auprès de lui. Devait-il lui faire la causette, ou passer pour un goujat ?… À cette heure, il n’avait nullement envie de pérorer ! Il la regarda néanmoins par politesse. Elle lui sourit. Il lui rendit sa marque de courtoisie.

— Alors, poupée, tu baises ? !…, entendit-il soudain à proximité, fortement et bien clairement exprimé…

La fille ne broncha point. Cette question lui était pourtant adressée ; et par un gus qui avait visiblement, ce soir, pété les plombs !… Lequel réitéra son offre ! Elle ne sourcilla guère. Après tout…, quelques banalités…, projetait déjà Paul…, et il pourrait, qui sait ?, l’inviter… Or il se fit souffler le joyau. Il replongea donc dans sa mousse et ses pensées. Mais soudain étonné du silence à son côté, il leva les yeux pour voir la jeune femme se singulariser comme sourde et muette… Et lui qui ne connaissait rien de la langue des signes !

Pourquoi son colis n’était-il pas encore arrivé ?…, se demandait-il. Il tentait d’y trouver maintes explications. Se serait-on trompé d’adresse ? Le lui aurait-on volé dans sa boite aux lettres ? Impossible !… Il ne pouvait pas même y glisser sa fine main !… Y aurait-il des grèves larvées ?… On n’en entendait toujours pas parler !… Aurait-on oublié d’y faire figurer le pays ? Mais qui ne connaissait pas Paris ? Quoique… Allez savoir !…, un original qui ne prendrait pas la tour Eiffel pour le centre du Monde !… En attendant, son contenu lui était primordial, autant ce soir que quelques mousses qui le feraient, d’ici quelques heures, planer !…

Il redemanda une Adelscott, et, ce faisant, dut se tourner vers sa voisine. Elle semblait dans quelque rêverie, sirotait un cocktail. Putain, qu’elle était bien roulée !… La bière arriva. Il tendit un billet.

Bon, ce colis…, qui occupait malgré lui son esprit !… Après tout, s’il était ici, c’était pour ne plus penser…, oublier… Mais on lui tapait à l’instant sur l’épaule pour lui suggérer…, et par signes…, de faire attention à quelques effets personnels, le temps de faire un tour aux toilettes… Force fut de s’intéresser à la « poupée ». Tiens, un roman ouvert, et en russe, apparemment ! Au jugé, vu le physique et l’habillement, elle aurait pu sans conteste venir du froid !… Quasi rien sur le dos par une température avoisinant le zéro !… Il dut « se battre » deux fois pour protéger les affaires de la demoiselle, dont on faisait fi ! Elle reparut sous peu, le remerciant d’un sourire. Il lui offrit un verre. Elle refusa gentiment, elle devait partir.

Une heure plus tard, elle était toujours ici, entourée de guignols et de gugusses !… Pour lui, il était temps de s’échapper, de prendre quelques minutes le frais, avant de rallier son gite, à pied ou en taxi ; à cette heure, le dernier métro était passé depuis belle lurette !… Comme il s’en allait, il sentit son regard… Il lui adressa un salut discret. Une qui resterait ce soir en filigrane !…

Dehors, il hésita : rentrer chez lui ou faire la foire ?… Le froid le saisit, le faisant d’ores et déjà greloter. Se mettre au chaud l’emporta.

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La porte à présent close, la cabine était partie…

— Nadège… Nadège !… Y’en a combien comme ça, d’enquiquineuses !…, murmura-t-il.

Paul voulut néanmoins la rattraper. Il dévala quatre à quatre les escaliers, au risque de se briser les os ! L’ascenseur avait été plus rapide… Il se rua au-dehors ! La femme avait disparu… Dans la cabine trainaient encore quelques effluves d’un capiteux parfum.

Il rentra peu après chez lui, intrigué, après avoir dû attendre quelque peu l’ascenseur qui, entretemps, était reparti. Se concentra aussitôt sur une commande urgente – le commentaire d’un reportage vidéo sur les luttes ethniques en Afrique –, en espérant qu’il ne serait plus dérangé de la journée ! Or, le vacarme d’un marteau-piqueur le gêna bientôt si fort qu’il préféra monter le son de la chaine stéréo qui diffusait de la musique sacrée et profane du XIIe au XVe siècle. Mais un bruit d’eau capta néanmoins son attention : il semblait provenir de la salle de bain ! Il craignait d’ores et déjà un dégât des eaux venant du logement du dessus… Lorsqu’il ouvrit la porte, il resta cloué de stupeur : Sonia prenait un bain !

— Bonjour ! lui dit-elle. Laissez-vous toujours la porte d’entrée béante, ou l’on vous a encore cambriolé ?…

— Que fais-tu là ? !

— Ça se voit pas…, je trempe !…

— Nadège sort d’ici… Elle te cherchait !

— Laquelle ? J’en connais deux !… Nadège Ravel ou Nadège Pédrono ?…

— J’en sais rien…, enfin, si…, je l’ai entraperçue…, une assez grande femme aux cheveux bouclés, je crois…

— Elles sont toutes les deux bouclées et assez grandes… Mais peut-être avec un petit diamant sur le nez ?… Ce serait alors Nadège Ravel…

— J’en sais rien, pas fait attention !…

— Avec des yeux noisette ?

— J’en sais rien, pas fait attention !…

— Avec une frimousse sympa ?

— C’est quoi, une frimousse sympa ?…

— Alors, avec un léger accent du sud de la France ?… Bien qu’elles soient toutes deux du Sud !…

— J’en sais rien, pas fait attention !…, ou si peu prononcé…

— Mais à quoi fais-tu attention ? !

— En ce moment, devine ? !…

— Eh bien, n’y fais pas attention !…, d’autant plus que j’ai un rendez-vous urgent !

Il s’éclipsa. Ces femmes, pensa-t-il, sont toutes plus énigmatiques les unes que les autres !… C’est vrai, ce qu’elle disait, à quoi pouvait bien ressembler l’autre meuf ?… Il s’en voulait de n’avoir pas même la moindre description à donner de celle-ci… Devait-il être accaparé pour qu’il en fût ainsi ? !… D’accord, brève avait été l’entrevue !… Et cette autre femme : Sabine Meyer – celle que l’on avait enlevée –, qui était, malgré lui, venu le perturber…, comment était-elle ?…

Il fit donc un effort pour se souvenir de cette Nadège – Ravel ou Pédrono ?… En vain… Et s’il interrogeait madame Barnabé ? ; elle qui avait l’œil !… Il descendit à la loge… La gardienne n’y était pas !… Elle avait même mis un petit mot sur la vitre de sa porte pour justifier son absence exceptionnelle. C’est bien ma chance ! pensa Paul. Il en profita pour relever son courrier, prit d’ailleurs connaissance des quelques missives sur place… Il allait à présent remonter. L’ascenseur avait été appelé et redescendait… En sortit Sonia, qui s’était par le fait aussitôt habillée…

— Avez-vous vos clés ? demanda-t-elle en le vouvoyant, dans l’intention de le perturber.

Il tâta sa poche de pantalon.

— Oui.

— Par sécurité, j’ai pris celle qui était sur ton bureau ! Puisque tu n’en as pas besoin, je la garde !

Elle avait déjà franchi le hall d’entrée…

— Mais…, balbutia-t-il.

— Bisous. À ce soir ! S’il y a du nouveau pour Sabine Meyer, on s’appelle !

— Mais… je ne veux surtout pas lui donner ma clé !…, marmotta-t-il, un rien dépité.