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EAN : 9782956562689
72 pages
Le Cadran ligné (01/03/2022)
4.83/5   3 notes
Résumé :
Après Le Sacret (éditions Corti) et Le Soufi (éditions Le Cadran ligné), Marc Graciano donne une suite à
son projet du « Grand Poème ». On y retrouve la même atmosphère médiévale et on y découvre une description par le menu du château du Seigneur, un Christ en bois peint de vrai sang, une étrange créature tirée du fond des eaux. On y assiste également à une scène de charivari, où le grotesque et le burlesque prennent soudain le pouvoir au sein d’un récit mené... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Vrai-faux jour des fous sous le château fondateur, et rappel subreptice d'un ordre social et politique toujours omniprésent – dans la langue englobante et quasiment totale du Moyen Âge intemporel de Marc Graciano.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/04/19/note-de-lecture-le-charivari-marc-graciano/

D'abord, au démarrage de cette immense phrase aussi panoramique que désireuse d'épouser chaque détail qui se présentera à la vue, il faudra parcourir le château (celui-là même dont on avait aperçu une dépendance bien spécifique, celle où l'on prenait soin des différents faucons du seigneur, dans « le Sacret »).

Dès l'amorce : « D'abord il y eut le charivari et le charivari venait du bas-village et il remontait vers le château, et le château avait été édifié au sommet d'un coteau calcaire terminé d'un crêt peu haut auquel l'arrière du château s'adossait ». de manière aussi insidieuse que lorsqu'il s'agissait, officiellement, de l'art d'élever les oiseaux de proie pour la chasse, la description du charivari sera sociale et politique, sans que jamais Marc Graciano n'évoque ces mots autrement que par pur implicite : même la transgression sociale qu'implique le Jour des Fous sous sa forme « locale » procèdera comme en descente de chez le Maître du Château.

Publié en 2022 aux éditions le Cadran Ligné, « le Charivari » appartient au même vaste ensemble en cours d'écriture et de construction qui comprend aussi, déjà, « le Sacret » (2018), « le Soufi » (2020) et désormais « La Nacelle / L'Oiseleur » (2024). Il doit en constituer la pierre fondatrice, celle où les lieux déterminants de l'enfance, à savoir le château, ses dépendances et le village qu'il domine (à plus d'un titre), ont droit à leur description globale et, déjà, à certains zooms auxquels l'écriture de Marc Graciano est particulièrement propice.

La chapelle et la fontaine, dont tous les détails (y compris sous forme d'anecdotes historiques saillantes) se mettent ainsi subrepticement à incarner ici deux formes de sacré qui ne sont peut-être pas tant opposées que complémentaires (si la chapelle faisant fonction d'église semble à sa place naturelle, si l'on ose dire, il faut se souvenir comme l'auteur du rôle fantastique joué traditionnellement par l'eau commune assemblée en un lieu : la fée Mélusine, dont surent se souvenir le moment venu aussi bien Gérard de Nerval que Mathias Énard, n'est souvent jamais très loin – même lorsqu'un poisson-chat vient prétendre le contraire). Et c'est bien ce sacré non directement religieux (le choix de l'espèce du faucon retenu pour le texte cité ci-dessus ne pouvait ainsi être un pur fruit du hasard) qui occupe la place centrale de l'oeuvre immense toujours en train d'être bâtie.

Plus même que le Carnaval (dont la mascarade tenait le rôle principal chez Brueghel et donc dans le magnifique « Cendres : des hommes et des bulletins » de Sergio Aquindo et de Pierre Senges) à la fois rabelaisien et bakhtinien, le charivari (jadis étudié notamment par le grand médiéviste Jacques le Goff) tient une place à part parmi les rituels conjuratoires de l'ordre social établi – tel qu'il s'illustre au Moyen-Âge réel, et davantage encore dans celui, intemporel et minutieusement trafiqué, imaginé par Marc Graciano grâce à une langue bien spécifique. Prétendu objet même de ce texte, où il apparaît dès la première ligne, il n'y fait son véritable retour qu'à la page 48 (sur 68) : aucune innocence, ici, mais bien la marque d'un statut objectif, secondaire, malgré les espoirs subversifs éventuellement placés en lui.

Le sacré que l'auteur cherche à matérialiser au fil de ses pages et de sa longue phrase unique – où les virgules et les conjonctions de coordination tiennent lieu de marques géographiques de fortune – ne naît jamais, au fond, des processions-processus, officielles ou contre-officielles, mais bien de la juxtaposition sans fin des détails qui font le monde tel qu'il est, mystère d'accumulation sans prééminence déclarée : et c'est bien ainsi que la langue, seule, est à même de révéler quelque chose de ce fouillis sublime qui nous sidère et nous enchante.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
et c’était l’assemblage des jeunes gens du village avec une troupe de baladins de passage, et des villageois plus vieux accompagnaient la cohorte en frappant bruyamment des cuillères en bois sur des écuelles en bronze, et, lointainement et de manière changeante selon les caprices du vent ou la puissance elle-même variable des sons, la rumeur du charivari était audible pour les habitants du château, c’est-à-dire le mélange de huées et sifflets et bruits de tocsin des sonnantes écuelles frappées à coups violents et irréguliers, et qui formait un brouha très inquiétant, et certains jeunes gens du village portaient une grande peau d’ours, de laquelle la tête avait été conservée intacte hormis la mandibule inférieure qui manquait, permettant aux porteurs de la toison de mieux se casquer du crâne d’ours, et, ainsi affublés de la pelisse, ils se déplaçaient lentement et maladroitement en signe que la station debout leur était pénible et que les muscles des jambes postérieures de l’ours tétanisaient pendant l’effort de marcher debout, et ils agitaient leurs bras en une amplitude étriquée, comme tout quadrupède a du mal à écarter ses antérieurs une fois placé en station debout, et ils tournaient régulièrement la tête vers l’arrière et vers le haut, ce qui donnait un regard torve aux hommes, et ils bramaient un grand mugissement d’ours furieux et outragé, et d’autres portaient des peaux de loup, et ceux-là couraient parfois en station debout, et d’autres fois ils couraient à quatre pattes dans la pente des rues montant vers le château, et la tête du loup, mêmement que pour l’ours, avait été presque intégralement conservée, et elle ballottait sur le crâne des hommes durant leur course, et la grise queue lupine ondoyait entre leurs jambes, et les yeux des hommes, sous la gueule du loup, luisaient dans l’ombre produite par les deux pans de la toison, c’est-à-dire les anciennes places des épaules du loup réunies devant la bouche des hommes par une fibule en os, et ces hommes avec les peaux de loup cahulaient de grands hurlements sinistres ou ils grondaient bestialement, ou ils soufflaient des gémissements paniques, et d’autres encore portaient des survêtements en fibres végétales qui étaient des filets en lierre tissés de brindilles et de feuilles, et de portions de mousse, et de morceaux d’écorces, et, ainsi survêtus, ces hommes paraissaient des arbres qui se mouvaient, et ils donnaient à leurs bras rendus plastiques des positions figées et différemment angulées en signe qu’ils étaient de vieilles branches tortues, et d’autres jeunes gens du village encore s’étaient déguisés en démons et esprits ou autres personnages issus de fables locales, et affublés de masques, et d’autres hommes encore étaient intégralement nus avec le crâne rasé de frais, et leur corps partout épilé était complètement poudré de cendre, c’étaient les hommes de la troupe de baladins, et ces hommes intégralement grimés, par le moyen de jarretières en cuir, s’étaient équipé l’entrejambe d’un tube creux où ils avaient introduit leur appareil génital, et ces étuis avaient été sculptés en forme de phallus énorme, et ces hommes progressaient dans des positions lascives et grotesques avec le bas du dos exagérément cambré et en faisant tourner et basculer les hanches pendant leur marche, ce qui faisait baller l’ithyphalle, et ils donnaient à leurs bras, après les avoir placés en des postures bizarres au-dessus de la tête, de réitératives et cloniques secousses en signe qu’ils étaient en proie à une danse de Saint-Guy, et ils écarquillaient outrageusement leurs yeux qui avaient été fardés de noir, et, mêmement nues, il y avait des femmes dans le cortège, et c’étaient les femmes de la troupe de baladins et le corps nu des femmes était glabre hormis le pubis, et les pieds des femmes étaient fortement cornés, ce qui était preuve de leur habitude d’aller toujours pieds nus, et le corps nu des femmes était graissé d’une pâte d’oxyde ocre, et la peau des femmes intégralement nues était rendue fauve et luisante par ce fait, et certaines femmes portaient des fourrures d’animaux sauvages en guise de coiffe, et l’une portait une peau de renard sur des cheveux tondus, et la tête du renard trônait au-dessus du front de la femme, et les yeux du renard étaient absents, et, à leur place, des agates bleues avaient été glissées dans les orbites de cuir fripé et sec, et les iris de la femme sous la gueule du renard étaient du même bleu minéral et trouble que les agates, et la gueule du renard était figée dans un rictus crispé, celui de son agonie, et la queue du renard frissonnait dans le dos nu et rouge de la femme pendant sa marche, et une autre femme avait une chevelure faite de plusieurs longues mèches lâchement tressées en une queue qui avait été relevée et nouée et maintenue en chignon à l’arrière du crâne par un long peigne de corne à trois dents, et le sommet du peigne était finement ciselé et la figure ciselée représentait la tête d’une femme à longue chevelure et maintenue en chignon par un peigne duquel le sommet reproduisait à nouveau, mais encore davantage en miniature l’image d’une tête féminine à la chevelure maintenue en chignon par un peigne, ainsi trois fois en tout, et cette même femme portait en usage de calot, ce qui laissait bien voir le chignon maintenu par le peigne orné en abyme, la fourrure d’une hermine, et la queue bicolore de l’hermine était ramenée et rabattue gracieusement sur le front de la femme, et son extrémité noire était fixée par une fibule en bronze sur la toque d’armeline, et une autre femme encore portait la cape d’un brocard et le massacre de l’animal se dressait sur le crâne de la femme, et la cape du brocard avait été épilée, et elle avait été taillée de telle façon que le pan arrière constituât comme un camail de peau dans le dos de la femme et qu’il recouvrît sa chevelure, et nul doute que la peau avait été beaucoup travaillée et longuement corroyée à cause que le cuir en était souple à l’extrême et tellement plissé qu’il paraissait de prime abord la chevelure de la femme, chaque pli du cuir imitant une mèche de la chevelure, et une autre femme encore portait la fourrure d’un lynx qui était entière et de laquelle la tête aux yeux clignés était dirigée vers le haut, et peu visible aux spectateurs par ce fait, et qui cachait la chevelure de la femme, et une autre femme encore portait une peau d’âne avec le long crâne asin posé en masque sur son visage et la peau d’âne possédait une longue et sombre raie longitudinale en son milieu, à l’ancienne place du sommet de l’échine, et les oreilles molles de l’âne ballaient au sommet du crâne durant la marche de la femme, comme si l’âne encore vivant eût chauvi des oreilles pour mieux capter les différents sons qui constituaient le vacarme autour de lui, pour mieux discriminer et déterminer les éléments du monde sonore dans lequel il évoluait et mieux comprendre sa composition, et le toupet de crins gris à l’extrémité de la queue traînait sur le sol loin derrière les talons cornés de la femme
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et, un jour, tous les gens du château furent ameutés devant le bassin par les cris aigus et anxieux d’une jeune servante venue y puiser, à cause qu’elle y avait découvert une créature étrange et hideuse provenue des profondeurs souterraines et emportée jusque là par le flux de la source, et, bien que ce fût visiblement un être pisciforme, c’était un poisson d’espèce parfaitement inconnue de tous et qui leur parut grandement monstrueux, et c’était un poisson de la taille d’un immense brochet, mais au corps très serpentiforme, comme celui d’une anguille, et qui ne possédait de gueule rostriforme, mais une large gueule obtuse avec, autour des lèvres, de gros et nombreux barbillons qui ondulaient dans l’aigue, non comme s’ils étaient les simples terminaisons susceptibles de ce poisson, ce qui eût déjà paru à tous hautement répulsif, mais comme des êtres autonomes, comme de petits reptiles anguilliformes qui eussent été la propre géniture du poisson, et qui eussent tous niché leur tête dans une loge prévue à cet effet dans le cartilage sur la gueule de leur mère, et le poisson était dépourvu d’écailles, et sa peau lisse, complètement blanche hormis sur le ventre où elle possédait des ocellures grises, était colonisée de sangsues qui elles aussi étaient blanchâtres, et les yeux du poisson étaient rouges et petits, et ronds, comme deux billes de rubis, et le poisson albinos les faisait tourner lentement en tous sens, comme qui dirait circonspectueusement, et un pêcheur que le vieux seigneur fit venir, et qui était un homme de grande taille et hirsute, et aux cheveux broussailleux, et qui portait une longue robe en toile de sac beaucoup rapiécée et serrée à la taille par une cordelette de chanvre, et qui était prestement venu pieds nus du ponton de sa pêcherie où il était occupé à repriser des filets quand il avait été mandé, et qui avait encore sur les pieds, jusqu’à hauteur des chevilles, une gangue de vase qui avait verdi en séchant, et qui était un homme à l’allure d’ogre qui effrayait ordinairement les femmes et les enfants, mais qui, en la présente circonstance, fut accueilli avec reconnaissance et empressement, déclara connaître nullement cette espèce de poisson, même par ouï-dire, hormis qu’il aurait ressemblé à ces poissons à face de chat que l’on pêchait parfois dans les profondes aigues des rivières de plaine, mais qui n’étaient de si grande taille ni de corps tellement en forme de serpent, et qui étaient toujours de teinte bistrée, et le pêcheur entra jusqu’à la taille dans l’aigue du bassin sous le récri d’effroi de toute l’assistance, sauf le vieux seigneur et ses gens d’armes qui s’obligèrent à une attitude placide, à cause que tous voyaient le poisson comme une créature du diable, comme une malebête, comme qui dirait un maupoisson, si ce n’était le maufait lui-même, et le pêcheur qui n’eut frisson l’air d’éprouver l’extrême froideur de l’aigue s’approcha doucement du poisson et avança lentement ses deux mains vers lui, presqu’en un geste d’invite ou de prière, voire de supplication, et se saisit de lui un peu après les ouïes, ce qui fut facilité par l’extrême alentissement, et comme hébétude de ce poisson habitué aux ténébreuses profondeurs, mais compliqué par la lubricité de son corps lisse enduit d’une glaire hautement visqueuse, si bien que le pêcheur après qu’il eut sorti le poisson de l’aigue en le tenant contre son ventre ne put l’y maintenir malgré la prise des ouïes, en surcroît que le poisson donnait de profonds et lents soubresauts entre ses bras, et le poisson retomba plusieurs fois dans l’aigue où il se laissa reprendre sans difficulté, puis le pêcheur, en embrassant étroitement le grand corps du poisson lubrique, réussit enfin à le rapprocher du bord et à l’y jeter, faisant brusquement reculer tous les gens assemblés, même le seigneur et ses gens d’armes cette fois, et, dès qu’il fut au sol, le poisson rendit son corps très raide, et eut plusieurs tressauts puissants qui firent comme des bruits de coups assénés au sol avec le plat d’un pied humain, puis il se raccalmit en donnant seulement quelques sonores coups d’une queue qu’il faisait claquer comme un fouet mouillé, et tous se rapprochèrent prudemment afin de l’observer mieux, partagés entre une vive curiosité et la répulsion, et reculant brusquement un peu chaque fois qu’il soubresautait, puis le vieux seigneur fit porter le poisson dans un coin de la cour du château afin d’être exposé à la vue et connaissance des gens du village, ainsi que ceux des campagnes environnantes, qui tous avaient été prévenus de l’existence de ce poisson grandement monstrueux et affreux, et nul doute que c’était un poisson d’espèce très vivace et longévive, pour laquelle les membres peuvent survivre enfouis dans la vase craquelée d’une berge lors d’exceptionnels assecs, à cause, durant deux jours, qu’il persista à vivre, étalé à l’air libre sur la pierre de la cour où, après sa mort, l’on l’y laissa jusqu’à ce que sa peau séchât et brunoyât, et se momifiât en un cuir couleur châtaigne, et que les sangsues accrochées à elle et y étant demeurées fixées, se fussent desséchées et racornies, et parussent de hideuses verrues, et que ses yeux rouges rendus d’abord purulents et blancs par la putréfaction crevassent puis disparussent, et que ses lèvres rétractées sur sa gueule ouverte laissassent voir les innombrables petites dents qu’il possédait sur la voûte palatine, et qui étaient faites d’un cartilage originellement translucide, mais qui ternit vite durant la mortification, et avant que sa tête fût décollée et qu’elle fût piquée en office de protection ou de charme sur un des battants de la grande porte des écuries en compagnie d’une effraie qui depuis plus longtemps déjà y avait été crucifiée
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et, sur un tableau, l’on voyait le prophète Jean-Baptiste qui immergeait et baptisait des gens dans le trou d’aigue d’une rivière à l’onde pure et vive, comme celle d’ici, quoique moins torrentueuse, et dotée de berges de terre ocreuse et non caillouteuse, et, sur l’autre, l’on voyait Saint-Martin qui prêchait debout sur le plateau d’une carriole tirée par un ours qui avait été représenté de bien plus petite taille que ceux qui hantaient les montagnes au nord et qui venaient parfois rôder par ici, mais ce n’était que le pur effet d’optique produit par le dessin qui, comme chacun pouvait le comprendre, ne respectait point les justes proportions, afin de démontrer que l’homme avait plus de grandeur que la bête, et qu’il la dominait bien, eu égard à son statut dans la Création, outre que les ours n’ont point en vérité une taille tellement formidable que l’on leur imagine, puis l’aigue du bassin faisait un gros ru qui traversait tout le château, et le sol qui, en cet endroit et comme partout dans le château, ainsi encore qu’il a déjà été décrit, était celui originaire, c’est-à-dire constitué de grandes strates de calcaire, avait été lissé et creusé en canal par le flux variable, et, au moment du redoux printanier et que la neige qui fondait sur le haut et lointain pays, celui aperçu du haut de la guérite, alimentait surabondamment les grands réservoirs souterrains dans les fondements de la montagne, l’aigue pure et glaciale qui resurgissait en ce pays de moindre altitude jaillissait en force de la paroi du crêt au fond de la chapelle, en un jet parfaitement horizontal, en un anomal geyser, puis giclait avec fracas dans la vasque réceptaculaire qu’elle avait creusée depuis un temps immémorial, puis inondait la chapelle où l’on avait retiré à la hâte la statue du christ pour la porter vers le lieu plus élevé du château, dans la salle dite des réjouissances, soit qu’il y fallût trois porteurs, deux placés de chaque côté, à l’intersection des branches de la croix basculée presque à l’horizontale et placées sur leurs épaules rendues molles, après que la couronne de ronces eut été ôtée de la tête du christ afin de ne prendre le risque qu’elle chût durant le transport et fût piétinée par les porteurs, ou les gens du cortège qui accompagnait ce déménagement et y assistait avec ferveur, à cause qu’il était considéré par tous les gens du château comme bien plus rempli de religiosité, voire de sacralité, que la plus grande et pompeuse messe, assavoir celle donnée par l’évêque du diocèse durant les fêtes de Pâques, le corps incliné de la statue mêmement disposé que celui d’un homme alité et mourant, avec son visage tout près de l’oreille d’un des porteurs, comme un malade agonisant qui voudrait faire sa dernière confession avant de recevoir l’extrême onction, quoique ce fût lui le Christ médecin, ce qui ne manquait idée de troubler l’esprit des suiveurs, et quoiqu’un homme agonisant n’ait les bras ouverts, mais repliés sur sa poitrine en une posture de protection, ou propice à obtenir du répit dans sa douleur, comme qui dirait en une position antalgique, ou permettant à son esprit de se tourner vers lui-même, afin de procéder à cet ultime examen qu’un agonisant est tenu de porter sur sa conscience, et le troisième portant le pied de la croix contre son ventre, avec ses deux mains amollies qui faisaient office de support, et ses deux bras éminement détendus, afin d’œuvrer au portage comme qui dirait sans effort, à la différence de ses deux acolytes qui ployaient un peu sous la charge, ou soit que ce fût le vieux seigneur lui-même, qui, en guise d’une pénitence prescrite par sa jeune épouse, pour une vie dissolue qu’il aurait eue avant ses deuxièmes noces, la traînait exactement comme le Christ avait traîné la sienne
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Vidéo de Marc Graciano
Avec Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti & Martin Rueff Table ronde animée par Alastair Duncan Projection du film d'Alain Fleischer
Claude Simon, prix Nobel de Littérature 1985, est plus que jamais présent dans la littérature d'aujourd'hui. Ses thèmes – la sensation, la nature, la mémoire, l'Histoire… – et sa manière profondément originale d'écrire « à base de vécu » rencontrent les préoccupations de nombreux écrivains contemporains.
L'Association des lecteurs de Claude Simon, en partenariat avec la Maison de la Poésie, fête ses vingt ans d'existence en invitant quatre d'entre eux, Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti et Martin Rueff, à échanger autour de cette grande oeuvre. La table ronde sera suivie de la projection du film d'Alain Fleischer Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde.
« Je ne connais pour ma part d'autres sentiers de la création que ceux ouverts pas à pas, c'est à dire mot après mot, par le cheminement même de l'écriture. » Claude Simon, Orion aveugle
À lire – L'oeuvre de Claude Simon est publiée aux éditions de Minuit et dans la collection « La Pléiade », Gallimard. Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde (colloques du centenaire), sous la direction de Dominique Viart, Presses Universitaires du Septentrion, 2024.
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