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EAN : 9782246853015
400 pages
Grasset (04/03/2015)
3.75/5   6 notes
Résumé :
Quel rapport entre Sade et le Palazzo Fortuny ? Barbey d’Aurevilly et le nain de cour Boruwlaski ? les aventuriers des Lumières et les excentriques anglais, sinon la passion de l’écart, de l’extrême liberté qui fait tout le sel de l’art et de la vie ?
A la suite de Sans entraves et sans temps morts, Cécile Guilbert poursuit d’une plume critique et incisive sa traversée personnelle et toujours cohérente de la littérature - de l’âge baroque à la “Société du spe... >Voir plus
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critiques presse (1)
Telerama
22 avril 2015
Une constellation hétéroclite, élégante et radieuse, qui rassemble, autour de Cécile Guilbert, qui enjambe les siècles et que fédère ce qu'on ne peut désigner d'un autre mot que le style.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Il faut craindre le public cultivé comme la peste. Bien davantage que la cohorte chaque jour plus nombreuse des illettrés. Car l’ignorance crasse mais claire de ces derniers, dépourvue des prétentions de ceux qui croient tout connaître et n’avoir plus grand-chose à apprendre quand l’expérience prouve chaque jour le contraire, possède au moins les mérites de l’innocence.
Engeance particulièrement redoutable, le critique « professionnel » incarne à merveille cette (im)posture de surplomb où l’ignorance travestie par le masque du savoir dissimule sous l’empathie la pulsion basique du meurtre.
C’est ainsi que mutiler à mort l’art sous couvert de la culture est aujourd’hui l’une de ces opérations quotidiennes et multiples qui nous submergent et nous empoisonnent, au même titre que la pollution de l’air, l’infection des aliments ou la falsification des statistiques.
Confronté de son temps à semblables manoeuvres de « jivarisation » quoique sous des formes très différentes, Artaud, lui, n’hésitait pas à utiliser le terme bazooka d’« envoûtement ». Mais il est vrai qu’il n’avait peur de rien quand beaucoup ont encore peur de lui. La preuve ? L’indifférence générale qui accueille aujourd’hui la réédition de son Van Gogh le suicidé de la société [5].

Si les livres capitaux pouvaient dangereusement osciller sur les tables des libraires comme des grenades dégoupillées, nul doute que ce volume fiévreux flanquerait à coup sûr par terre les piles voisines. Et s’il était possible que de tels livres se métamorphosassent illico en torches, celui-ci suffirait sans doute pour foutre le feu à toute la boutique.
Fruit de l’étrange délire d’une raison comme toujours extralucide et paranoïaque (la paranoïa des « hautes natures », dit Artaud), ce brûlant brûlot offre un curieux dispositif : un texte sans titre, suivi de deux pages de post-scriptum, puis d’un autre texte intitulé « le suicidé de la société » auquel s’ajoute un second post-scriptum...
Mais quelle importance ? Prenez-le, lisez-le, et voici qu’aussitôt ses phrases rouge sang grondent et se lèvent comme des insurrections, tels les étendards de l’armée sans âge de ces « suicidés de la société » qui ont pour nom Baudelaire, Poe, Nerval, Nietzsche, Kierkegaard, Hôlderlin, Lautréamont, Van Gogh bien sûr, et Artaud lui-même — chacun ayant incarné à sa façon une « funèbre et révoltante histoire de garrotté d’un mauvais esprit ».

Là, justement, les esprits dits forts s’affolent. Qu’est-ce que ces histoires d’« opérations d’alchimie sombre », de « grandes passes d’envoûtement globaux » et de « vampirisme » peuvent bien vouloir dire ?
Eh bien, qu’une lutte à mort a lieu, entre par exemple un ordre social « tout entier basé sur l’accomplissement d’une primitive injustice » et « les investigations de certaines lucidités supérieures ». Entre les médecins, via « les conciliabules puants des familles », et les prétendus « malades ». Entre « l’humanité de singe lâche et de chien mouillé » et « le timbre supra-humain, perpétuellement supra-humain » que ces corps singuliers font sonner. C’est-à-dire entre deux délires dont le plus délirant n’est pas celui qu’on croit. En d’autres termes une « scission humaine de fond » a lieu : celle d’un corps particulier, d’une vie ne recoupant pas exactement l’existence générique et punie pour cette raison d’être même.
On l’aura compris, Artaud n’écrit pas sur Van Gogh : il est Van Gogh. Et s’il semble comparer le docteur Gachet d’Auvers-sur-Oise avec les docteurs Ferdière ou Latrémolière de Rodez, ce n’est évidemment pas aux fins d’historiciser son propre cas et celui du peintre mais bien pour faire sentir à travers le temps l’incarnation d’un tropisme identique :

« Il y a dans tout psychiatre vivant un répugnant et sordide atavisme qui lui fait voir dans chaque artiste, dans tout génie, devant lui, un ennemi. »

Van Gogh, Vieux souliers aux lacets Manet, Lola de Valence, 1862.
automne 1886.
Ce qui fascine Artaud chez Van Gogh ? Son génie à « passionner la nature et les objets ». Sa révélation de l’Etre par les moyens de la « pure peinture » — l’Etre saisi en « pure énigme » qui « vient en avant de la toile fixe » et dont Artaud pointe l’« oubli » en le désignant comme

« cette force d’inertie dont tout le monde parle à mots couverts et qui n’est jamais devenue si obscure que depuis que toute la terre et la vie présente se sont mêlées de l’élucider ».
On pense évidemment à Heidegger, lequel n’a médité un tableau qu’une seule fois dans son oeuvre et comme par hasard un tableau signé Van Gogh [6].
Là, il faut lire (boire, ai-je envie de dire) les extraordinaires phrases d’Artaud comme autant de pépites en prise directe avec le geste du peintre,

« avec la couleur saisie comme telle que pressée hors du tube, avec l’empreinte, comme l’un après l’autre des poils du pinceau dans la couleur, avec la touche de la peinture peinte, comme distincte de son propre soleil, avec l’i, la virgule, le point de la pointe du pinceau comme vrillée à même la couleur, chahutée, et qui gicle en flammèches »...
La peinture est un opéra sensible, une musique « remise à même la vue, l’ouïe, le tact, l’arôme ». Mais elle est aussi la révélation la plus vraie de la nature, ne serait-ce que parce que le motif ouvre la porte d’une réalité permanente possible. Artaud insiste beaucoup là-dessus :

« Van Gogh est peintre parce qu’il a recollecté la nature, qu’il l’a comme retranspirée et fait suer, qu’il a fait gicler en faisceaux sur ses toiles, en gerbes comme monumentales de couleurs, le séculaire concassement d’éléments, l’épouvantable pression élémentaire d’apostrophes, de stries, de virgules, de barres dont on ne peut plus croire après lui que les aspects naturels ne soient faits. »
Tiré à trois mille exemplaires en 1947, Van Gogh le suicidé de la société obtint le prix Sainte-Beuve de l’essai en janvier 1948. Deux mois plus tard, son auteur était retrouvé mort au pied de son lit.
La légende veut qu’il l’ait rédigé en état de choc, après avoir visité l’exposition du Hollandais qui se déroulait à l’Orangerie au début de l’année 1947.
Comment ne pas songer à Proust qui, un an avant sa mort, en 1921, sortit de sa réclusion pour aller voir l’exposition Vermeer du Jeu de Paume et rédigea à son retour l’épisode célèbre de la mort de son double Bergotte, défaillant comme lui devant « le petit pan de mur jaune » ?

« Nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, martelait l’interné de Sainte-Anne, de Ville-Évrard, de Rodez et d’Ivry, que pour sortir en fait de l’enfer. »

Gageons qu’Artaud a enfin atteint le Paradis.
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