J'aime avoir les bouquins pour moi tout seul, mais le budget des étudiants est ce qu'il est. À la méritante bibliothèque de Tarentaize, je chine mes prochaines lectures. le coeur me dit d'aller fouiller les auteurs contemporains, la raison m'ordonne de dégotter des classiques, l'estomac se réjouit de partir bientôt d'ici pour déjeuner chez ma grand-mère. Et puis il y a cette novella 100% franco-française des éditions Terre de Brume pour qui je n'ai pas de sympathie particulière mais qui a quand même édité du
Asimov et du Silverberg… La couverture est belle, ça ne devrait pas me prendre trop de temps, on me dit que l'autrice est férue de médiévisme donc j'apprendrais peut-être quelques trucs. Je sais que je vais être déçu, mais bon, c'est pour ma culture…
1890. Éléanore est une ancienne ballerine internée à l'asile de fous. Complètement traumatisée, elle va croiser la route d'un mystérieux infirmier qui va avoir la bonne idée pour la consoler de l'envoyer dans la peau d'une femme au Moyen Âge juste avant une vague de carnages…
Le bon côté des choses, c'est que la psychologie des héroïnes est très bien retranscrite. En même temps, quand on a un livre dédié à un certain
Bernard Simonay, on est sûrs de se retrouver face à une plume pleine de sensibilité. Paragraphes courts, langue élégiaque, mine de rien, ça fonctionne très bien. Mais comme on pouvait s'y attendre, l'auteure tombe dans le piège de tu-l'as-vu-mon-style-il-est-bien-mon-style en en rajoutant un peu (beaucoup) trop : « point » au lieu de « pas », « moult » au lieu de « beaucoup de », « dextre » au lieu de « droite », « mantal » au lieu de « manteau »…
Alors oui, user d'archaïsmes pour retranscrire le souffle d'une époque, ça peut être bon si c'est fait subtilement (et par ailleurs, je les trouve vraiment pertinents dès lors qu'ils décrivent des objets n'existant plus plutôt que d'utiliser un équivalent moderne), mais pour ça, mieux vaut ne pas complexifier inutilement les descriptions et rendre les dialogues ampoulés. Il serait temps que les auteurs français comprennent que notre langue évolue et n'est plus la même qu'il y a cent ans. Sinon, pour aller jusqu'au bout du parti pris, il faudroylt s'exprimoyer tesles Françoilx Rabelayz, non ? de nouveaux mots apparaissent, d'autres s'en vont. Je suis contre l'acharnement thérapeutique en vocabulaire.
Et avec ça, on peut souligner le soin apporté à la relecture des éditions Terres de Brume : « Par où passerons-nous ? chuchota-t-il ? », « Les deux évadés gravissent quelques marches, (…) franchirent plusieurs pièces », ça et le fait que la typographie change d'une citation à l'autre ou même qu'un paragraphe s'arrête en plein milieu pour marquer ce qui aurait dû être une note de bas de page… Rien de très significatif, mais autant de détails qui me donnent l'impression de lire du Wattpad.
Pour ce qui est de l'histoire, le soufflé met un temps fou à décoller pour nous livrer finalement une énième élue sauvée par la maîtresse Yoda locale pour combattre une secte d'adorateurs du diable. Envolé dès lors le style délicat comme la rosée matinale, sauf pour décrire quelques réactions candides face à la violence des combats qui émeuvent tout juste le vieux briscard que je suis. le côté « vie d'artistes au Moyen Âge » fait penser à du Gallica rushé en moins bien. On ne peut pas dire non plus que l'originalité soit à son comble du côté des méchants : l'ésotérisme médiéval nous est resservi dans ses grandes lignes, avec une gouroute qui plutôt que manipuler les arcanes de la politique préfère tuer et baiser tout ce qui bouge. Trop de questions restent en suspens : qui sont les gens aidant Hilaire à s'évader ? qu'advient-il de Samson ? Dans un souci d'honnêteté, rapportons tout de même quelques instants de féérie et de poésie amoureuse, devant hélas cohabiter avec un cunnilingus sataniste décrit sans concession…
Mais je serais franchement cruel de m'acharner sur cette oeuvre tant l'autrice raconte qu'elle a sué sang et eau à l'écrire, tout ça pour un message qui résonne profondément en moi : l'art peut nous sauver. Il y aurait eu tant de thématiques à approfondir dans ce texte, que ce soit la danse et la musique, la vie des troubadours, des sujets délicats comme le viol d'un homme (car oui, il y en a un, et je pense
Céline Guillaume tout à fait capable de traiter ce traumatisme avec finesse)… Pour moi encore une fois, il ne s'agit pas tant d'un mauvais livre que d'un brouillon de bon livre. Une part du cheminement de l'écrivaine vers quelque chose de mieux. Une étape.
Bref, un récit qui émouvra les plus sensibles d'entre vous, mais clairement pas ma came. Signalons également comme qualités secondaires que le récit fait la part belle aux femmes et reste solidement documenté. La perle rare et méconnue en fantasy française, désormais je le saurais, ça n'existe pas. Dernière fois que j'y touche. Enfin, sans doute jusqu'à la prochaine. Bah, si c'est pour votre culture…
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