Homme de la terre et de la mer, de la pierre, Guillevic offre dans ce recueil, publié alors qu'il a une cinquantaine d'années, des textes bruts, clairs et courts, à son image.
La concision des textes, le désir d'aller à l'essentiel, au coeur des choses avec peu de mots ne confine pas nécessairement à la simplicité, certains poèmes peuvent même sembler hermétiques. Mais ce qui est sûr, c'est que ce poète nous reconnecte à la nature, à l'humilité que l'on doit avoir face à elle, aux merveilles intactes qu'elle présente:
" Autour du tilleul,
Près de la pervenche,
Dans l'air qui s'émeut
D'être à leurs côtés,
Il doit y avoir un chemin
Pour aller vers eux,
Les accompagner."
Oui, l'être humain s'imprègne du paysage, vit en lui, à travers sa poésie. Et cela fait un bien fou de lire ces vers lumineux, tournés vers le minéral, le végétal. Ces vers d'une fulgurante beauté :
" Pas d'aile, pas d'oiseau, pas de vent, mais la nuit,
Rien que le battement d'une absence de bruit."
Je trouve que Guillevic fait entendre une voix unique, reconnaissable entre toutes, une approche et une compréhension remarquables de notre environnement naturel.
" L'azur est loin
Qui m'envahit"
Superbe image...
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Ce n'est pas vrai que tout amour décline,
Ce n'est pas vrai qu'il nous donne au malheur,
Ce n'est pas vrai qu'il nous mène au regret,
Quand nous voyons à deux la rue vers l'avenir.
Ce n'est pas vrai que tout amour dérive,
Quand les forces qui montent ont besoin de nos forces.
Ce n'est pas vrai que tout amour pourrit,
Quand nous mettons à deux notre force à l'attaque.
Ce n'est pas vrai que tout amour s'effrite,
Quand le plus grand combat va donner la victoire.
Ce n'est pas vrai du tout,
Ce qu'on dit de l'amour,
Quand la même colère a pris les deux qui s'aiment,
Quand ils font de leurs jours avec les jours de tous
Un amour et sa joie.
Je t’ai cherchée
Dans tous les regards,
Et dans l’absence des regards,
Dans toutes les robes, dans le vent,
Dans toutes les eaux qui se sont gardées,
Dans le frôlement des mains,
Dans les couleurs des couchants,
Dans les mêmes violettes,
Dans les ombres sous les hêtres,
Dans mes moments qui ne servaient à rien,
Dans le temps possédé,
Dans l’horreur d’être là,
Dans l’espoir toujours
Que rien n’est sans toi,
Dans la terre qui monte
Pour le baiser définitif,
Dans un tremblement
Où ce n’est pas vrai que tu n’y es pas.
Tenir
Tout ce qu'on a tenu
Dans ses mains réunies :
Le caillou, l'herbe sèche,
L'insecte qui vivra,
Pour leur parler un peu,
Pour donner amitié
À soi-même, à cela
Qu'on avait dans les paumes,
Que l'on voulait garder
Pour s'en aller ensemble
Au long de ce moment
Qui n'en finissait pas.
Tout ce qu'on a tenu
Dans ses mains rassemblées
Pour ajouter un poids
De confiance et d'appel,
Pour jurer sous le ciel
Que se perdre est facile.
Tout ce qu'on a tenu :
L'eau fraîche dans les mains,
Le sable, des pétales,
La feuille, une autre main,
Ce qui pesait longtemps,
Qui ne pouvait peser,
Le rayon de lumière,
La puissance du vent,
On aura tout tenu
Dans les mains rapprochées.
p.67-68
VARIATIONS SUR UN JOUR D'ÉTÉ
JE T'ÉCRIS
Qu’importe après cela
Qu’il reste encore du noir
Dans la grande lumière,
Au fond de la lumière,
Puisque tu seras là
Pour tâtonner ensemble
Et que je t’écrirai
Avec mes lèvres sur ton corps.
En attendant j’écris
Sur le mur qui doit être au fond du noir :
« Je bénis tes genoux,
« Je pense au jour
« Où sous mes mains ils trembleront
« Comme font les feuillages
« Avec moins de raison. »
Et nous irions
Vers la lumière guérissable.
p.110
Et m'endormir après
Vous avoir vus longtemps
Qui jouez entre vous,
Ciel, toit, rameaux, gouttière
Et la bergeronnette,
M'endormir en restant
A jouer avec vous,
Aussi léger que vous,
Aussi content que vous,
Comme j'aime à dormir.
VICTOR POUCHET - LA GRANDE AVENTURE - 18 questions sur la vie et la poésie
« le fil c'est peut-être une histoire très simple : tragi-comédie en cinq actes et deux personnages. L'un régulièrement menace de partir. L'autre se contente d'écrire des poèmes, dans l'espoir absurde de l'en empêcher. » Dans le roman-poème La Grande aventure, Victor Pouchet déroule une histoire à la fois bouleversante et légère en vers : une rencontre, des micro-aventures qui prennent des proportions de l'univers, des angoisses cosmiques, chansons tristes et verres de vin. Cette conférence-performance est l'occasion de traverser le livre et l'aventure de son écriture à travers une série de questionnements poétiques (ou presque) qui concerneront entre autres choses l'hypnose, Georges Perros, les récits épiques, Eugène Guillevic, les imprimantes laser avec option wifi, le doute et les chips au vinaigre.
À lire – Victor Pouchet, La grande aventure, Grasset, 2021.
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